Algérie : la démocratie bafouée

Dans un pays qui ne connaît pas l’Etat de droit, l’élection présidentielle du 9 avril a été une mascarade. Ce simulacre de démocratie relève d’une imposture qui n’a rien à voir avec l’expression du peuple souverain. Mais ce qui compte pour les « décideurs » comme pour la « communauté internationale » ce n’est pas la démocratie mais la stabilité.

Comme le vainqueur du scrutin ne pouvait être que le président sortant, l’enjeu des élections du 9 avril n’était pas le résultat qu’Abdelaziz Bouteflika allait obtenir, mais uniquement la participation électorale. Celle-ci a été estimée par le ministre de l’intérieur à 74,5%, bien au-dessus du score de l’élection présidentielle de 2004 (58%) ou des élections législatives de 2007 lorsque la participation avait été très faible (35,5%). Grâce à ce « vote massif » que la propagande avait préparé avec acharnement, le président a été plébiscité avec plus de 90% des voix. Les deux chiffres sont trop gros pour ne pas être le résultat d’une manipulation.

Les deux grand partis berbères, le FFS d’Ait Ahmed et le RCD de Said Sa’adi, ayant appelé au boycottage du scrutin, le « vote massif » devait surtout démontrer la marginalisation de ces partis et le soutien presque inconditionnel dont jouit Bouteflika auprès de son peuple. Cette harmonie spécifiquement algérienne était déjà apparue lorsque l’Assemblée Nationale avait, à la quasi-unanimité, amendé la constitution afin de rendre possible un troisième mandat pour « Boutef ».

En vérité, ce vote est la preuve de la farce démocratique qui se joue en Algérie. Et puisque les Algériennes et Algériens ne sont pas dupes, il est fort probable que la participation électorale a tourné, en réalité, autour de 20%, comme l’affirment certains journaux et comme le montrent les résultats dans nombre de grandes villes comme Tlemcen, Sétif, Jijel …

Bouteflika : état des lieux après dix ans de pouvoir

Qu’ont apporté dix ans de règne de Bouteflika ? L’état d’exception est toujours en vigueur depuis le putsch du 11 janvier 1992. L’énorme manne gazière est utilisée à des achats de matériels militaires coûteux – avec les dessous de table d’usage. La dépendance par rapport à l’importation pour les denrées alimentaires de base et les produits pharmaceutiques est quasiment totale – accompagnée d’une dégradation constante de la production agricole et de l’augmentation des commissions encaissées par les quelques importateurs licenciés. Le chômage, chiffré officiellement à 30% de la population active, devrait toucher la moitié de la force de travail disponible, sans parler des emplois précaires qui concernent notamment les jeunes (70% de la population ont moins de 30 ans). Les prix de consommation sont en hausse constante. Malgré une décennie de promesses, la situation du logement n’en finit pas de s’aggraver. Il n’est pratiquement pas un jour sans révolte dans un douar ou une ville. Des bâtiments publics sont attaqués, mis à feu, pillés, des routes sont bloquées. Ces révoltes touchent des grandes villes comme Oran ou des régions entières comme le Mzab ou la Kabylie. De plus en plus de jeunes cherchent à fuir le pays en s’embarquant sur des embarcations de fortune – parfois à partir du Maroc, de la Tunisie ou même de la Libye - pour tenter de trouver un moyen de survivre en Europe. Beaucoup d’entre eux payent ce voyage de leur vie. Ceux qui sont pris en mer vont en prison.

" Votons pour l’Algérie » était un des slogans de cette campagne - comme si les Algériennes et Algériens ne savaient pas quel cauchemar était devenu leur patrie. Le « vote massif » en faveur de Bouteflika cache mal la réalité du pouvoir en Algérie. Le président a formellement tous les pouvoirs. Mais où réside le pouvoir réel ? Qui sont les vrais « décideurs », comme on les appelle en Algérie ? Certes, la plupart des généraux ayant organisé le putsch de janvier 1992 sont à la retraite. Mais les structures qu’ils avaient créées sont toujours là. En premier lieu, le DRS (Département de Renseignement et de Sécurité) placé sous la direction du général Mohamed Mediène, dit Tawfiq, qui semble être l’acteur central de la « nébuleuse » dans laquelle agissent les décideurs. Il y a aussi les corps d’armée, des structures régionales et claniques qui agissent dans ce milieu où elles se combattent mutuellement et forment des alliances plus ou moins durables. L’enjeu de ces luttes est l’appropriation de la rente et de ses dérivés sous forme de commissions liées de l’import-export.

 

Un système et ses bénéficiaires

Le vote pour Bouteflika n’était donc pas un vote pour une personne ou pour une ligne politique mais un acte bien orchestré qui avait pour but la légitimation du système existant. Ainsi s’explique le rôle du président élu pour la troisième fois. Ce n’est pas lui qui détient les rênes du pouvoir ou détermine la politique. Il est une figure utile aux détenteurs du pouvoir réel. Le vote sert à cacher le fait qu’il a été placé dans la vitrine du système où il agit en fonction des intérêts qui se dissimulent derrière lui. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne poursuit pas ses propres intérêts. On a pu voir pendant la « campagne électorale » des hommes d’affaires nouveaux riches graviter autour de lui. Mais sa valeur essentielle est qu’il passe pour un civil (malgré son passé dans l’armée) et qu’il est « élu » par le peuple. A cela s’ajoutent ses compétences diplomatiques (il était ministre des affaires étrangères sous Boumedienne) et sa connaissance du milieu international. Et surtout : n’ayant pas été impliqué dans la « sale guerre » des années 1990 contre les islamistes, il est internationalement présentable.

Sa politique de « réconciliation nationale » correspond ainsi tout à fait aux intérêts des décideurs. L’impunité qui, à première vue, est accordée aux personnes ayant accompli des actes terroristes vaut également pour ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité au sein de l’armée ou comme agents du DRS. Toute poursuite judiciaire contre cette catégorie de personnes est exclue par la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Par conséquence, et pour ne prendre que cet exemple, le sort des plus de 10.000 personnes « disparues » ne sera jamais élucidé et les généraux, n’apparaissant pas au grand jour, ne feront probablement jamais l’objet de poursuites de la part des instances judiciaires internationales. 

Ce plébiscite bien organisé ne sert pas que la nomenklatura algérienne. Il est accueilli avec indulgence dans les capitales occidentales. Bouteflika se présente comme l’ami de la France en intégrant l’Algérie dans le cercle des pays francophones et il a soutenu le projet de l’Union pour la Méditerranée, si cher à Nicolas Sarkozy. Par rapport aux Etats-Unis, il s’est présenté comme un vaillant combattant dans la « guerre contre le terrorisme » et il a subtilement soutenu la création de l’Africom, ce nouveau commandement militaire que les Etats-Unis ont mis sur pieds afin de « combattre le terrorisme » dans la région due Sahel – et d’étendre leur contrôle sur les richesses pétrolières et minières de l’Afrique. En lui, l’Occident a trouvé un partenaire fiable. Ces « vertus » pèsent bien plus qu’un vote peu conforme aux critères de la démocratie.

Reste que ce président ne tiendra pas plus ses promesses sociales dans l’avenir qu’il ne les a tenues durant ses deux mandats passés, ne serait-ce que faute de pouvoir réel de décision. La situation sociale des Algériennes et des Algériens ne changera pas, elle risque plutôt de s’aggraver, à cause de la diminution de la rente énergétique due à la crise mondiale.