Angela Merkel fragilisée par l’attentat de Berlin

Alors que la police allemande était toujours, le mercredi 21 décembre dans la soirée, à la recherche du Tunisien suspecté d’être l’auteur de l’attentat terroriste qui a coûté la vie à 12 personnes sur un marché de Noël à Berlin, le parti populiste AfD (Alternative für Deutschland) et la droite bavaroise tentent de tirer un profit politique de l’amalgame entre réfugiés et terroristes. C’est pour eux l’occasion de mettre en cause Angela Merkel, ouvertement pour l’AfD, implicitement pour la CSU. La chancelière doit répliquer pour éviter que la campagne électorale en vue du scrutin national de septembre 2017 ne soit empoisonnée par des surenchères sécuritaires.

Dans la brève allocution qu’elle a prononcée, le mardi 20 décembre en milieu de journée, moins de vingt-quatre heures après la tuerie de la Breitscheidplatz à Berlin, Angela Merkel a évoqué en deux phrases le dilemme auquel elle fait face. A ce moment-là, la police soupçonnait un réfugié pakistanais d’être l’auteur de l’attentat. S’il s’avérait que le coupable est quelqu’un qui a demandé la protection de l’Allemagne, a déclaré la chancelière, ce serait « particulièrement déplaisant » pour tous ces Allemands qui se sont mobilisés pour accueillir les réfugiés et, a-t-elle ajouté, pour les personnes qui ont vraiment besoin de notre protection et qui veulent s’intégrer.

Un avertissement contre l’amalgame

Dans les commentaires, souvent seule la première partie de la phrase a été retenue comme pour illustrer une forme de mea culpa de la part d’Angela Merkel, parce qu’elle aurait décidé d’ouvrir les frontières aux réfugiés syriens, irakiens, afghans, qui fuyaient la guerre. La seconde partie est une sorte d’avertissement contre toute forme d’amalgame et un rappel que la majorité des réfugiés ne doit pas être a priori soupçonnée. Ce sont les deux bouts de la chaine que doit tenir la chancelière et qui l’amènent parfois à faire le grand écart.
La réaction de certains responsables de l’AfD, à peine moins délirante que celle de la « fachosphère », ne s’est pas fait attendre. « Ce sont les morts de Merkel », a tweeté Markus Pretzell, président de la formation populiste en Rhénanie-Westphalie et compagnon de la présidente Frauke Petry. Ce genre de déclaration correspond à une tactique évoquée dans un document de l’AfD adopté quelques jours avant l’attentat. Pendant la campagne électorale, dit ce texte, il convient pour l’AfD de briser les tabous avec des "provocations soigneusement planifiées", qui agacent les autres partis et provoquent de leur part des réaction excessives. Plus l’AfD est stigmatisée, "plus c’est positif pour l’image du parti".
Les dirigeants de l’AfD ne sont pas les seuls à chercher à tirer un profit politique du drame. « Nous devons aux victimes, aux blessés et à la population de revoir l’ensemble de notre politique d’immigration et de sécurité », a déclaré Horst Seehofer, ministre-président de Bavière et président de la CSU bavaroise. Il n’a donc pas tardé à rouvrir un débat sur la politique d’accueil des réfugiés au sein de la démocratie-chrétienne.

Vers un durcissement

On croyait la question sinon tranchée, du moins ajournée le temps de la campagne électorale. Avant le congrès de la CDU début décembre, Horst Seehofer avait donné son accord à une nouvelle candidature d’Angela Merkel à la chancellerie. Il ne va pas la remettre en question mais il va faire monter les enchères pour durcir le programme commun à la CDU et à la CSU. Une rencontre est prévue pour le mois de février.
La demande de révision de la politique envers les réfugiés apparait d’autant plus comme une manœuvre tactique dirigée contre Angela Merkel que la ligne gouvernementale a beaucoup changé en un an. Des lois restreignant le droit d’asile et limitant les allocations versées aux réfugiés ont été adoptées par le Bundestag, d’ailleurs avec le soutien des sociaux-démocrates. Le problème est qu’Angela Merkel s’est refusé à utiliser ces nouvelles dispositions pour contrecarrer les attaques de ses adversaires au sein comme à l’extérieur de son parti. Comme si elle craignait de donner l’impression de se déjuger après avoir affirmé des mois durant « Wir schaffen das », c’est-à-dire nous arriverons à intégrer les quelque 900 000 réfugiés arrivés en Allemagne entre fin 2015 et début 2016.

Dérive à gauche

Angela Merkel voit sa position fragilisée à un moment où sa cote de popularité était en train de remonter et où son parti grappillait quelques points dans les sondages. Les accusations d’avoir fait dériver la CDU vers le centre gauche et d’avoir ainsi ouvert un espace sur sa droite, un espace dans lequel les populistes se sont engouffrés, risquent de repartir de plus belle. Y compris dans la CDU. Déjà au congrès de Essen, les résolutions adoptées marquent un nouveau durcissement vis-à-vis des migrants – expulsions facilitées, interdiction de la burqa, etc. – et suppression de la double nationalité pour les enfants nés en Allemagne de parents étrangers. Sur cette dernière proposition Angela Merkel, qui s’y opposait, a été mise en minorité.
Selon le magazine der Spiegel, une « bande des quatre » serait à la manœuvre dans la CDU et jusque dans le gouvernement pour imposer une politique migratoire plus stricte à la chancelière. Le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, serait l’inspirateur de ce travail de sape, avec trois jeunes loups de son entourage : Jens Spahn, secrétaire d’Etat au ministère des finances, Thomas Strobl, vice-président de la CDU et ministre de l’intérieur dans le Bade-Wurtemberg, par ailleurs gendre de Schäuble, ainsi que Martin Jäger, secrétaire d’Etat dans le même Land après avoir été le porte-parole de Schäuble. Ce sont eux qui ont été à l’origine des résolutions « sécuritaires » sur l’immigration au congrès de Essen.

Encore le meilleur atout

Wolfgang Schäuble a abandonné l’idée, s’il l’a jamais eue, de prendre la place d’Angela Merkel. En revanche, il n’a renoncé ni à influencer sa politique, notamment vis-à-vis des réfugiés, qu’il n’a jamais approuvée - en septembre 2015, il avait comparé l’ouverture des frontières à une « avalanche » - ni à ramener la CDU vers le centre droit. Ce ne sont pas les prémices d’une révolution de palais car Angela Merkel reste jusqu’à nouvel ordre le meilleur atout de la démocratie-chrétienne pour les prochaines élections, à condition qu’elle change d’attitude, pense une fraction de la CDU qui risque de croitre avec l’attentat de Berlin. Et qu’elle cesse de caresser l’idée d’une coalition avec les Verts. Ce groupe peut compter sur le soutien de la CSU bavaroise pour pousser la chancelière à se soumettre, c’est-à-dire à renier ses convictions sur l’asile, ou à se démettre, c’est-à-dire renoncer à briguer un quatrième mandat.