Angela Merkel sera-t-elle encore chancelière à Noël ?

Les critiques se multiplient en Allemagne contre la politique d’ouverture à l’égard des réfugiés, notamment syriens, décidée par Angela Merkel à la fin de l’été. « Il n’y a pas de limite numérique au droit d’asile », avait déclaré la chancelière. Les difficultés d’hébergement rencontrées de plus en plus par les autorités locales et quelques incidents impliquant des réfugiés ont provoqué un changement dans l’opinion favorable à l’origine à l’accueil des étrangers. Si les élections avaient lieu dimanche prochain, la démocratie chrétienne n’aurait, selon les sondages, que 36% des suffrages, le résultat le plus mauvais depuis 2012.

Il y a quelques semaines, la question aurait paru iconoclaste. Aujourd’hui elle est ouvertement posée par plusieurs commentateurs. Angela Merkel sera-t-elle encore chancelière à Noël ? Sa popularité a chuté de 9 points entre septembre et octobre, même si avec 54% de personnes satisfaites elle obtient un score que pourraient lui envier bien des dirigeants en Europe.
Si la question peut être posée sans paraitre totalement incongrue, c’est parce que le climat politique s’est détérioré en Allemagne depuis la fin de l’été. Dans un premier temps, les Allemands ont manifesté un grand élan de générosité et de solidarité avec les réfugiés, en particulier syriens, et à un moindre degré afghans, qui fuient leur pays en guerre. On se souvient de l’accueil quasi-enthousiaste, réservé spontanément à la gare de Munich aux étrangers après leur traversée des Balkans et de la Hongrie.

Des attentats d’extrême-droite

Les difficultés d’hébergement de plus en plus souvent dénoncées par les autorités locales, le flot croissant des arrivées dont on ne voit pas la fin, des incidents impliquant des réfugiés dans les foyers d’accueil ont douché les bonnes volontés. Une majorité d’Allemands continuent de soutenir le principe du droit d’asile mais elle fond quand les sondeurs posent des questions précises sur l’intégration, les possibilités de logement et d’emploi, la scolarisation des enfants, etc.
Les attentats commis par des individus isolés mais se réclamant en général de l’extrême-droite contre des centres d’hébergement qui sont incendiés, ou contre des bénévoles qui sont agressés dans la rue, contribuent à pourrir l’atmosphère. La candidate à la mairie de Cologne, Henriette Reker a été victime d’un individu qui lui a porté un coup de couteau à la gorge. Elle est sortie d’affaires et a été élue mais son agresseur se voulait une sorte de justicier en s’en prenant à une femme qui avait été responsable de l’accueil des migrants. « J’ai agi pour vous tous ! », a-t-il crié à l’adresse des passants au moment de son acte.

La montée d’un petit parti populiste

Le mouvement Pegida, pour Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident, a été créé à Dresde, il y a un an. Après une phase d’éclipse quand son inspirateur, Luz Bachmann, est apparu sur Facebook grimé en Hitler, il a repris ses manifestations du lundi soir et rassemble toujours plusieurs milliers de personnes. Le ton s’est durci. La chancelière Merkel et son vice-chancelier, le social-démocrate Sigmar Gabriel, sont pendus en effigie dans les cortèges.
Pour le moment, ces manifestations populistes extrémistes n’ont pas de débouchés politiques. Toutefois, l’AfD – Alternative für Deutschland —, une petite formation créée avant les élections de 2013 par des professeurs et des industriels à la retraite pour dénoncer l’euro et prôner un retour au deutschemark, s’est rapprochée de la mouvance anti-immigrés. Les chers professeurs ont claqué la porte, une direction plus radicale, a été désignée. Et le parti marque des points. En 2013, il avait échoué sur la barre de 5% qui permet d’avoir des élus au Bundestag. Selon les derniers sondages, il serait crédité de 7% des voix si les élections générales avaient lieu dimanche prochain.

Pas d’ennemi à droite

C’est une menace que la démocratie-chrétienne doit prendre au sérieux. De tout temps sa stratégie a consisté à occuper tout l’espace politique entre le centre et la droite, et à ne pas laisser émerger une formation à sa droite. C’était essentiellement la fonction de la CSU, le parti frère bavarois de la CDU. Et ce n’est pas un hasard si le premier et le plus virulent critique d’Angela Merkel dans la crise des réfugiés a été le ministre-président de Bavière et chef de la CSU, Horst Seehofer. Non seulement parce que la Bavière était la plus exposée au flot de réfugiés, comme porte d’entrée en Allemagne de ceux qui arrivaient de Hongrie et d’Autriche, mais aussi parce que Horst Seehofer voulait capter à son profit le mécontentement qu’il sentait monter dans une partie de la population. A la fois rival et allié d’Angela Merkel, il n’a pas laissé passer l’occasion de se mettre en avant. Les sondages montrent cependant que sa popularité n’en a pas vraiment bénéficié.
Il n’en reste pas moins que le climat est « dramatique » à la base de la démocratie chrétienne, selon le mot de Wolfgang Schäuble. Le ministre des finances soutient la politique de la chancelière mais en bon connaisseur de son parti – il en est député depuis plus de quarante ans – il s’alarme de l’érosion du soutien apporté à la chancelière par les militants de son propre parti. Des lettres ouvertes circulent qui attirent l’attention du gouvernement sur les difficultés des communes et des régions à accueillir les réfugiés. Certaines fédérations demandent un changement de politique et la fermeture des frontières. Depuis l’été, Angela Merkel répète « l’Allemagne est un pays fort, nous y arriverons ». Les responsables sur le terrain lui répondent : « Nous n’y arrivons pas ! ».
Ce malaise diffus se reflète dans les sondages. A la question « si les élections générales avaient lieu dimanche prochain », 36% seulement des personnes interrogées voteraient pour la CDU-CSU. Au scrutin de septembre 2013, le parti d’Angela Merkel avait recueilli plus de 41% des suffrages.

Sans rival

Pour autant, penser qu’Angela Merkel pourrait être obligée de démissionner ou qu’elle serait poussée dehors par ses propres amis, serait aller un peu vite en besogne. Elle demeure la personnalité la plus populaire dans son camp, voire dans l’ensemble de l’opinion allemande. Elle n’est guère concurrencée que par Wolfgang Schäuble, auréolé de sa réputation de gardien des dogmes budgétaires. Mais le ministre des finances n’a plus l’ambition du pouvoir. Ou par le président de la République Joachim Gauck, qui excelle dans ses fonctions représentatives.
Depuis qu’elle a pris la présidence de la CDU, en 2000, après avoir poignardé dans le dos et son mentor Helmut Kohl, et Wolfgang Schäuble, mis en cause à tort ou à raison dans une affaire de caisses noires, Angela Merkel a pris grand soin de ne laisser émerger aucun rival. Ceux qui s’y sont essayé, ont tous été éliminés politiquement les uns après les autres. La ministre de la défense, Ursula von der Leyen, est parfois présentée comme une candidate sérieuse à la succession. Elle reste d’autant plus discrète sur ce sujet, soutenant publiquement la politique de la chancelière vis-à-vis des réfugiés, qu’elle a quelques handicaps. D’abord elle est à la tête d’un ministère très exposé, touché par des scandales dans les achats de matériels. Ensuite, elle est toujours empêtrée dans une affaire de plagiat, à propos de sa thèse de médecine, qui est peut-être anodine mais qui pourrait lui coûter son poste si la tricherie est avérée.
Après les élections générales de 2017, Angela Merkel a de fortes chances de succéder à Angela Merkel. A moins que, comme le note un vieux connaisseur de la politique allemande, la générosité vis-à-vis des réfugiés se transforme en entêtement.