Bernard Kouchner : erreur de casting ou erreur de politique ?

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères depuis 2007, a été remplacé au Quai d’Orsay par Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux dans le précédent gouvernement de François Fillon.

Après son élection en 2007, Nicolas Sarkozy avait hésité, pour occuper le ministère des affaires étrangères, entre Hubert Védrine et Bernard Kouchner. Tous les deux représentaient deux conceptions opposées de la diplomatie. Le premier incarnait ce qu’il avait appelé lui-même « le compromis gaullo-mitterrando-chiraquien », c’est-à-dire une politique extérieure française classique, fondée sur l’appréciation des rapports de force internationaux, la défense des intérêts nationaux, une alliance critique avec les Etats-Unis et une méfiance vis-à-vis du « droit de l’hommisme » (encore une expression d’Hubert Védrine). Le second au contraire s’était rendu célèbre comme inventeur des « french doctors », comme héraut des causes humanitaires et promoteur du droit d’ingérence contre l’affirmation de la souveraineté des Etats.

Pour le nouveau président de la République, la tentation était trop forte de pratiquer la « rupture » en matière diplomatique comme en politique intérieure. Outre le refus d’Hubert Védrine de participer au gouvernement Fillon, elle a emporté la décision du nouvel élu. Bernard Kouchner a été accueilli avec soulagement, sinon enthousiasme. Il le devait d’abord à son prédécesseur sous les ors du Quai d’Orsay. Philippe Douste Blazy n’avait pas laissé que de bons souvenirs chez les diplomates français et étrangers. Symbole, parmi d’autres, de « l’ouverture », Bernard Kouchner n’était pas un total inconnu au ministère. Il avait déjà été sous-ministre aux questions humanitaires, au temps où François Mitterrand régnait à l’Elysée et Roland Dumas au Quai. Ce denier l’avait trouvé « agité », « frétillant dans tous les sens » et lui avait conseillé « de se calmer ».

Ce n’était pas assez pour décourager Nicolas Sarkozy, lui-même adepte du mouvement perpétuel. Mais surtout, les positions que Bernard Kouchner avait toujours défendues sur la scène internationale, du Biafra au Kosovo, correspondaient assez bien au discours qu’il voulait imposer à la diplomatie française.
Nicolas Sarkozy avait fait part de ses idées en la matière dans un long entretien accordé pendant la campagne électorale au magazine Le Meilleur des Mondes, qui passait, à tort ou à raison, pour la voix des néoconservateurs français. Il y était interrogé notamment par le philosophe André Glucksmann, infatigable contempteur de la Realpolitik. Le futur chef de l’Etat déclarait vouloir mettre la défense des droits de l’homme au centre de sa politique étrangère. Serrer la main ensanglantée des dictateurs lui semblait inacceptable. Il critiquait l’indulgence de son prédécesseur pour des dirigeants peu sensibles aux vertus de la démocratie, citant nommément Vladimir Poutine.

Flanqué d’une secrétaire d’Etat aux droits de l’homme en la personne de Rama Yade, Bernard Kouchner était l’homme de la situation. Pour mener la politique étrangère ainsi décrite pendant la campagne électorale, il n’avait nul besoin de se renier.

Caution

Certes, Nicolas Sarkozy avait pris soin de s’entourer à l’Elysée de diplomates aux conceptions plus traditionnelles. S’il entendait mettre un brin d’idéalisme, voire de morale, dans sa diplomatie, il ne voulait pas pour autant abandonner le réalisme inhérent aux relations entre Etats. Et il a montré très vite ce qui l’emportait dans son action internationale. En dehors des partenaires européens, le premier chef d’Etat étranger reçu avec tous les honneurs à Paris fut le colonel Kadhafi, qui ne passe pas pour un parangon de démocratie. Bernard Kouchner s’absenta opportunément de Paris au moment de la visite mais il la cautionna. Il chercha à compenser le rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine par des entretiens avec les contestataires moscovites, notamment les journalistes. Pour ne citer que quelques exemples. Il fit ce qu’il reprochait jadis aux « réalistes », passer des compromis sous prétexte de « faire avancer les choses ». Au moment de l’expulsion des Roms, c’est encore l’argument qu’il avancera publiquement pour expliquer qu’après avoir songé à démissionner, il restait au gouvernement.

Très vite, Nicolas Sarkozy a abandonné ses velléités « droit de l’hommistes ». Avec Vladimir Poutine — « un homme intelligent, ouvert au dialogue » —, avec les dirigeants chinois, avec les potentats africains, il a mis ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, tantôt au nom de l’efficacité, tantôt au nom des intérêts commerciaux supérieurs de la France. Si au début du quinquennat, on pouvait craindre le mélange des genres, la crainte s’est rapidement dissipée. La rupture annoncée en politique étrangère n’a pas eu lieu. Toute autre considération mise à part, Bernard Kouchner n’avait plus sa place au gouvernement. Et ce depuis longtemps.