Bilan d’une présidence tchèque agitée

Le lancement de la présidence tchèque de l’UE se voulait artistiquement provocant. Une panne à mi-parcours l’a compromise. Enfin, un gouvernement d’experts a assuré une conclusion honorable de la présidence tchèque. Jacques Rupnik est Directeur de recherches au CERI-Sciences Po et auteur des Banlieues de l’Europe (Presses de Sciences Po).  

Pour le lancement de sa présidence de l’UE, on s’en souviendra, le gouvernement tchèque avait présenté « Entropa », une œuvre originale et provocante commandée à l’artiste David Cerny qui, pour s’en prendre au stéréotypes nationaux, s’empressait de les confirmer ou d’en inventer. La Bulgarie : des toilettes turques. L’Allemagne : des autoroutes en forme de croix gammée. La France : "la grève". Le gouvernement de Prague assurait que l’artiste était indépendant, mais ce dernier retira son œuvre après la chute du gouvernement, confirmant ainsi involontairement sa proximité avec l’équipe Topolanek contrainte au départ.

Deux périodes

La chute du gouvernement après un vote de censure au parlement, fin mars 2009, permet de diviser la présidence tchèque de l’UE en deux périodes. L’ancien premier ministre Mirek Topolanek (du parti libéral ODS) déclara dès la fin mars qu"’il était tout à fait évident qu’avec la fin de ce gouvernement et son départ c’était aussi la présidence tchèque qui prenait fin, d’une certaine manière". Ce thème de l’honneur et du prestige tchèques victimes des calculs de politique intérieure de l’opposition social-démocrate fut exploité avec succès par l’ODS dans la campagne des élections européennes. Le gouvernement d’experts formé sous la direction de Jan Fischer, directeur de l’Institut de statistiques, considère au contraire que la continuité a été assurée et que le bilan est excellent. "En tant que statisticien j’évaluerais, en forçant le trait, la réussite de la présidence tchèque ainsi : 100% de positif/5% de négatif" a déclaré Fischer au lendemain du sommet européen de Bruxelles. La présidence tchèque, dit-il pour étayer sa satisfaction, a accompagné le consensus sur les dérogations accordées aux Irlandais pour le traité de Lisbonne et pour le soutien à un nouveau mandat de M.Barroso à la tête de la Commission.

En réalité l’analyse du bilan se doit de distinguer deux niveaux : la capacité de la présidence d’influencer l’agenda politique de l’Union et la coordination des travaux des ministres des pays membres avec la Commission. Pour le second aspect, la présidence tchèque, l’administration gouvernementale et l’équipe formée pour gérer la présidence à Bruxelles s’acquitta de sa tâche honorablement et mérite les remerciements de M. Barroso. Pour le premier aspect, l’agenda politique, le bilan est plus mitigé. Il y eut dès janvier l’épreuve de la gestion de crises, sur l’énergie avec la Russie et le conflit de Gaza. Dans les négociations menées avec la Russie M. Topolanek a fait preuve de « réactivité » et de persévérance. Il est depuis présenté dans certains médias tchèques comme un « expert » en matière d’énergie qui ne dédaignerait pas un poste de commissaire européen…

Le soutien apporté par le ministère des affaires étrangères tchèque à Israël pendant le conflit à Gaza en janvier fut jugé par plusieurs pays membres de l’UE comme outrepassant les prérogatives de la présidence tchèque. Il est vrai que celle-ci s’était fixée pour objectif de rehausser (upgrade) la relation UE-Israël. Gaza, puis l’élection d’un gouvernement de droite avec l’extrême-droite (entrée de Avigdor Liberman aux affaires étrangères) en Israël, rendait assez improbable la mise en œuvre de cette priorité de la présidence tchèque.

Porte-à-faux

Au-delà de la gestion des crises il restait la crise économique et financière. La présidence tchèque avait affiché avant de prendre la présidence comme projet la dérégulation et l’abolition des entraves au marché dans le cadre d’une « l’Europe sans barrières ». A l’heure ou tous les gouvernements, même les plus libéraux se ralliaient à la veille du sommet du G20 à l’idée d’une nécessaire régulation des marchés et la nécessité (à des degrés divers) de stimuler l’économie, les priorités de la présidence tchèque se trouvèrent en porte-à-faux.

L’illustration la plus flagrante de ce décalage fut le discours du 28 mars devant le Parlement européen de Strasbourg de M.Topolanek en tant que président de l’UE, mettant en garde contre la politique du nouveau président américain : « un chemin qui mène en enfer » ! Le climat du sommet euro-américain s’en ressentit d’autant plus que les propositions du président Obama en matière de désarmement nucléaire formulées à Prague furent reçues plutôt fraîchement dans la capitale tchèque.

Restait le dernier acte du gouvernement Topolanek au nom de la présidence tchèque : le sommet à Prague (9 mai) du partenariat oriental de l’UE. Initiative polono-suédoise présentée en mai 2008 comme contre-poids au projet euro-méditerranéen de la France, reprise par la présidence tchèque, ce projet a eu le mérite de lancer un grand chantier important pour l’avenir de la politique de l’UE envers ses voisins de l’Est avec des implications importantes pour la relation UE-Russie.

Il reste que le sommet fut marqué par les absences : Gordon Brown, José Luis Zapatero, Silvio Berlusconi, mais aussi Julia Timoshenko , premier ministre d’Ukraine ainsi que les présidents moldave et biélorusse. Mais le gouvernement et la presse tchèque ne stigmatisèrent qu’un absent de marque : le président Sarkozy. Le vice-premier ministre Alexandre Vondra, chargé des questions européennes, en profita pour régler quelques comptes : "il n’a pas facilité notre présidence de l’union. Son style impérial a compliqué la présidence collective. Quand il se lève le matin on ne sait pas de quel humeur il sera". La presse tchèque répète depuis janvier que La France n’apprécie pas la présidence tchèque. Il semble que la réciproque soit aussi vraie.