Coup d’arrêt aux populistes en Slovaquie

Changement de majorité à Bratislava : l’homme fort du pays, le « populiste de gauche » Robert Fico, vient de perdre les élections législatives au profit d’un parti de centre droit qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. La victoire de l’opposition, venant après le succès de Suzana Caputova à l’élection présidentielle de 2019, donne un coup d’arrêt à la montée du populisme en Slovaquie. Le futur premier ministre sera le patron de presse Igor Matovic, chef du parti « Les gens ordinaires et personnalités indépendantes », s’il parvient à réunir une majorité au Parlement.

Bratislava, l’autoroute qui pourfend la ville. Une histoire compliquée

Après avoir perdu l’élection présidentielle il y a un an (« La Slovaquie résiste au populisme », Boulevard Extérieur, 3 avril 2019), les populistes slovaques viennent de subir une nouvelle défaite, le 29 février, en s’inclinant nettement face à leur principal adversaire, le parti de centre droit OLaNO (« Les gens ordinaires et personnalités indépendantes »), allié à un autre parti de même tendance, NOVA (« Nouvelle majorité »), issu d’une scission du Mouvement chrétien-démocrate. Avec 25,02 % des suffrages, l’alliance progresse de 14 points par rapport au scrutin de 2016. Elle devance les populistes du SMER (Direction-Démocratie sociale), au pouvoir depuis 2006 (sauf entre 2010 et 2012), de près de 7 points. Avec 18,29 % des voix, le SMER perd 10 points par rapport à 2016. Son échec est donc clair et net. Pour son chef historique, l’ancien premier ministre Robert Fico, c’est un désaveu sévère.
C’est le président et fondateur d’OLaNO, l’industriel Igor Matovic, patron de journaux de petites annonces, qui sera appelé à former le nouveau gouvernement. Avec 53 sièges (sur 150), il ne dispose pas, au lendemain du scrutin, d’une majorité absolue dans le nouveau Parlement, mais il peut espérer trouver auprès d’autres formations, notamment Liberté et Solidarité (13 sièges) et Pour le Peuple (12 sièges) de l’ancien président Andrej Kiska, les renforts qui lui permettront de franchir le seuil nécessaire de 75 sièges. S’il y parvient, il succédera à Peter Pellegrini, qui a remplacé en 2018 Robert Fico, le leader populiste, à la tête du gouvernement après le scandale provoqué par l’assassinat, en février 2018, d’un journaliste d’investigation, Jan Kuciak, qui enquêtait sur des affaires de corruption impliquant notamment la Mafia calabraise.

La lutte contre la corruption

Ce scandale a bouleversé le paysage politique. Il a eu pour première conséquence, en 2019, l’élection de la candidate de l’opposition libérale, Suzana Caputova (Slovaquie progressiste, centre gauche), à la présidence de la République face au représentant du SMER, le parti de Robert Fico. Il a provoqué ensuite la victoire d’Igor Matovic, dont la campagne a été dominée tout entière par le thème de la corruption. « S’il n’y avait pas eu ce meurtre, je serais aujourd’hui devant vous comme premier ministre avec un soutien de 30% des électeurs », a déclaré Robert Fico quelques jours avant le scrutin. La mort de Jan Kuciak et de sa compagne, Martina Kusnirova, a « réveillé la Slovaquie », a affirmé Igor Matovic. Elle a, en tout cas, porté un rude coup au parti au pouvoir, en raison de ses liens avec le commanditaire présumé, l’homme d’affaires Marian Kocner, en cours de jugement.
A la différence de la plupart des partis populistes européens, le SMER de Robert Fico se réclame de la social-démocratie. Il est membre de l’Internationale socialiste et ses eurodéputés siègent au groupe socialiste. Mais il s’est éloigné de la gauche en adoptant une rhétorique anti-immigrés et anti-Islam qui le rapproche désormais de l’extrême-droite. Il n’est pas le seul, sur l’échiquier politique slovaque, à professer un national-populisme agressif. Trois partis d’extrême-droite se disputent l’électorat nationaliste, mais il est remarquable que ceux-ci progressent peu, voire régressent. Le Parti national slovaque, qui était l’allié du SMER dans le gouvernement sortant, n’a aucun élu. Le Parti populaire-Notre Slovaquie, dont on craignait la forte poussée, n’obtient que 17 sièges, soit 3 de plus seulement qu’en 2016. Même résultat pour le parti Nous sommes une famille, qui gagne 6 sièges de plus qu’en 2016.

Crispations identitaires

L’extrême-droite nationaliste demeure forte en Slovaquie, pour des raisons historiques liées à la domination hongroise, puis tchèque sur le pays, souvent ressentie comme une humiliation. Elle partage les crispations identitaires qui s’expriment notamment en Europe centrale et donnent lieu à des manifestations xénophobes, au prétexte de défendre les cultures nationales et les valeurs européennes contre l’envahisseur étranger. La vague anti-corruption qui vient de donner un coup d’arrêt aux populistes en Slovaquie n’est pas directement liée à la question nationaliste, mais elle sanctionne une démocratie « illibérale » qui fait fi de l’Etat de droit. Elle montre que la montée de l’extrême-droite n’est pas une fatalité en Europe.