Dilma à Paris

La présidente du Brésil, Dilma Roussef, a effectué une visite officielle à Paris le mardi 11 et le mercredi 12 décembre. Gilles Lapouge l’a suivie pour le quotidien brésilien O Estado de Sao Paolo. Nous publions ci-dessous son article.

 

 Dilma à Paris. Drapeaux vert et or sur les Champs lysées pour Dilma, discours de Dilma à l’Assemblée nationale, dîner de gala pour Dilma à l’Elysée, la France « met les petits plats dans les grands » pour recevoir celle qui a succédé à Lula qui fut tant admiré des Français, celle qui dirige le Brésil, pays tant aimé des Français, depuis Jean de Léry, le chevalier de La Touche, Blaise Cendrars, Fernand Braudel et Roger Bastide.

En ce II décembre 2OI2, il y a un e raison supplémentaire de fêter Dilma : celle-ci appartient au P.T. et celui-là au P.S., deux formations de gauche. Certes, il y a entre Dilma et Hollande quelques petites différences : Dilma plus appréciée encore que Lula, a une popularité de 77 %, chiffre prodigieux et qui doit faire rêver le pauvre François Hollande dont la côte réussit l’exploit, de semaine en semaine, de descendre un peu plus vers le fond.

Si on était méchant, mais ce n’est pas le cas, on pourrait ajouter qu’il y a une autre différence entre Dilma et Hollande : l’une réussit et l‘autre rate, mais il ne faut pas « pousser l’œuvre au noir ». Hollande n’est là que depuis six mois. Demain est un autre jour.

D’ordinaire, du temps de Sarkozy, chaque fois que le Président français allait à Brasilia ou en Amazonie, il n’était question que de la vente des 36 avions Rafale, de Dassault, de leur vertus et des milliards que leur vente allait faire tomber dans l’escarcelle des Français, avec l’espoir aussi qu’une vente au Brésil débloquerait dans le monde entier les achats de cet avion dont tous les experts disent qu’il est sublime, même si personne n’en veut.

Cette monomaniaque insistance française était ridicule. Malsaine. Elle laissait croire que, pour la France, le Brésil n’était rien d‘autre qu’un acheteur d’avions Rafale. Le fait que ce pays avait d’autre vertus et d’autres secrets, des richesses inouies, on n’en voulait rien connaître à Paris. Sarkozy ressemblait à ces Français obsédés pour qui le Brésil se réduit à Copacabana et à un string. Le Rafale, c’était le string de Sarkozy. On disait « Brésil » et l’écho répondait, interminablement, « Rafale, Rafale »..

Résultat : les 36 Rafale sont toujours en attente. Alors que l’affaire était, aux yeux de la France, « dans le sac » dès le 7 septembre 2OO9, après un plaidoyer de Sarkozy à Brasilia, les discussions s’ensablaient. A qui la faute ? Les méandres brésiliens ? L’impatience de Sarkozy ? La maladresse folle des Français ? Chacun se fera une idée de la réponse en lisant le papier que consacre à cette longue partie de « cache-cache » l’excellent correspondant du Monde au Brésil, Nicolas Bourcier.

Donc, un « bon point » à Hollande : son silence sur le Rafale. S’il n’oublie sûrement pas le Rafale ( et heureusement ! ), il a l’art de ne pas « casser les pieds » du monde entier, y compris les pieds des Français, avec son avion délicieux. Tout se passe comme si le Brésil apparaissait enfin aux yeux des Français avec ses savoir- faire, sa sagesse, son histoire, ses usines, ses bœufs, sa joie, ses succès, ses générosités et des promesses immenses.

Cette discrétion sur le Rafale permet d’élargir les relations entre les deux pays, de les fonder sur d’autres bases. En particulier, une conviction est commune aux deux délégations. Dilma et Hollande sont d’accord sur un point fondamental : l’austérité, c’est bien, mais il ne faut pas exagérer ! La rigueur aveugle que l’Europe s’impose n’est pas une bonne chose. C’est une fausse solution à la crise, une erreur et peut- être une marche vers la catastrophe.

C’est là une conviction de François Hollande. Alors que Sarkozy s’associait sans nuances à la purge que Merkel administrait aux pays européens en ruines, quitte à « ruiner un peu plus leurs ruines » ( Grèce etc… ) F. Hollande a, dès sa prise de pouvoir, et non sans courage, tenu tête à Merkel et plaidé pour que l’Europe lutte contre la crise grâce à deux armes : un effort de rigueur doublé d’un effort de relance. Il a jusqu’à un certain point été entendu, avec le soutien de l’Espagne, de l’Italie, d’autres pays.

Or, Dilma est, elle aussi, consciente du danger de l’austérité délirante chère à Merkel. Le mois dernier, Dilma le rappelait en Espagne ( pays justement laminé par l’austérité à la Merkel-Sarkozy ) au Sommet ibéro américain de Cadix : « Penser que la consolidation budgétaire collective, simultanée et accélérée est bénéfique et apporte une réelle solution, est une erreur ».

Certes, d’autres voix, celle d’économistes célèbres, celles de plusieurs chefs d’Etat européens se sont déjà exprimés dans ce sens. Mais la voix de Dilma porte plus loin que les autres. A la fois parce que sa stature intellectuelle est impressionnante et qu’elle n’est pas une théoricienne. Elle est « aux manettes » comme l’était Lula qui avait opté, dans des conditions dures, pour le renforcement du marché intérieur à travers la distribution de revenus supplémentaires et pour une politique offensive de crédit des établissements publics. 

.C’est aussi en ce sens que la visite de Dilma n’est pas seulement un échange de tendresses, ou une occasion de « fourguer » de jolis avions, mais peut jouer un röle dans le destin, bien abîmé cette saison, de l’Europe.