Et si l’Iran se retirait du TNP...

Le groupe des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne, et l’Iran ont décidé de prolonger de six mois les négociations sur le programme nucléaire de Téhéran, après avoir échoué à trouver un accord définitif à l’automne dernier. Les pourparlers n’avancent pas et la situation risque de devenir de plus en difficile en raison de la nouvelle majorité républicaine au Sénat américain. Les Iraniens pourraient jouer une carte qui aggraverait les relations, en se retirant du TNP, le Traité de non prolifération nucléaire qui légitime les inspections internationales. Un commentaire de François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran.

Le risque d’échec de la négociation nucléaire en cours avec l’Iran a repris quelque substance après l’émergence des difficultés mises en lumière lors des dernières réunions d’Oman et de Vienne. La solution des principaux points de désaccord, portant notamment sur la capacité d’enrichissement de l’Iran, et plus encore, sur le calendrier de levée des sanctions, va réclamer des deux parties des décisions politiques courageuses, allant à contre-courant des positions dominantes dans leurs classes politiques respectives. La nouvelle majorité du Congrès américain, en particulier, souhaite clairement s’inviter dans le processus. Elle pourrait à tout moment, en adoptant de nouvelles sanctions, soit entraîner l’échec de la négociation soit, si celle-ci était déjà moribonde, en provoquer la mort définitive.

L’espoir d’un accord permanent et global ainsi ébranlé, l’idée a été lancée de s’accrocher à une sorte de moindre mal, en renouvelant indéfiniment l’accord provisoire en cours. Après tout, le Plan commun d’action adopté le24 novembre 2013 offre aux États-Unis et à ses partenaires au sein du groupe dit P5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne) un contrôle effectif des ambitions nucléaires iraniennes en contrepartie d’un très modeste allègement des sanctions. Aussi longtemps que l’activité iranienne d’enrichissement demeurera plafonnée au faible taux de 5%, loin des 90% nécessaires pour une arme nucléaire, et aussi longtemps que le réacteur de recherche d’Arak restera inachevé, les deux voies vers la bombe (uranium hautement enrichi et plutonium de qualité militaire) seront parfaitement verrouillées.

Mais pour l’Iran, l’acceptation d’une telle formule signifierait le gel du développement de ses capacités nucléaires et la renonciation à tout espoir de retrouver à un horizon déterminé une liberté de décision dans le cadre de règles permanentes et clairement établies. Il est donc douteux que Téhéran attende passivement que les États-Unis fassent leur choix dans la gamme des options qui s’offrent à leurs yeux : prolongation, ou non, de cet accord provisoire, signature ou non, d’un accord global et à long terme, imposition, ou non, de nouvelles sanctions à l’Iran… voire déclenchement, ou non, de frappes contre les installations nucléaires iraniennes.

Les responsables de la négociation du côté du groupe P5+1 devraient donc se garder de l’illusion qu’ils sont enfin parvenus à coincer l’Iran sous le poids des sanctions, aggravé en ce moment par la chute spectaculaire des prix du pétrole. Téhéran dispose encore de cartes majeures à jouer. Américains et Européens pourraient se retrouver poussés à un réexamen de leur comportement si, par exemple, l’Iran en venait à annoncer qu’il étudie l’opportunité de lancer dans un futur proche une procédure de retrait du Traité de non-prolifération.

L’article X du Traité stipule : « Chaque Partie…aura le droit de se retirer du Traité si elle décide que des évènements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. » L’Iran est en position d’avancer que le blocus à peu près intégral imposé à son économie et à sa population a tous les aspects d’une mesure extraordinaire, discriminatoire, heurtant profondément ses intérêts suprêmes. Bien entendu, le vote de nouvelles sanctions par le Congrès américain ne ferait qu’aggraver les choses. Et Téhéran pourrait souligner qu’un tel comportement venant de membres du TNP autorisés à conserver un arsenal nucléaire à l’encontre d’un cosignataire ayant renoncé à la bombe est contraire à l’esprit et à la lettre du Traité.

Derrière la ligne de départ

Dans la même veine, l’Iran pourrait ajouter que quelles que soient les infractions commises dans le passé aux obligations découlant de son accord avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) – infractions pour la plupart admises et corrigées -, personne, même au sein des nombreux inspecteurs de l’Agence ayant procédé à des milliers d’heures de contrôles, n’a pu apporter un élément matériel pointant vers la fabrication d’un engin nucléaire explosif ou la préparation d’un premier test.
Téhéran pourrait aussi avancer que l’accent mis dans la négociation en cours par le groupe P5+1 sur le fameux « breakout time » ou temps de la course à la bombe, montre que l’Iran reste à ce jour positionné derrière la ligne de départ d’une telle entreprise. Il pourrait conclure que le Conseil de sécurité n’avait aucun droit d’imposer à l’Iran des sanctions du type prévu par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies uniquement en cas de « menace à la paix » ou de « rupture de la paix ». A plus forte raison, pourrait-il aussi conclure que certains des membres les plus éminents du Conseil n’avaient aucun droit à mettre en place leurs propres sanctions dans le sillage des premières.

Dans le même temps, l’Iran, s’il veut apparaître comme un acteur responsable, devrait, dans une telle hypothèse, clairement affirmer que son retrait éventuel du TNP n’aura aucune influence sur la pérennité de son accord de garanties passé avec l’AIEA, non plus que sur son intention de ne jamais acquérir la bombe. Conformément aux clauses de cet accord, les matières nucléaires actuellement placées sous contrôle de l’AIEA demeureraient alors soumises à exactement les mêmes contrôles et inspections. Les nouvelles installations, telles que les réacteurs supplémentaires que les Russes prévoient de construire sur le site de Bouchehr, seraient également l’objet de la même surveillance de la part de l’AIEA.

De fait, dans la nouvelle situation juridique qui serait créée, l’Iran, pour s’exonérer légalement des contrôles de l’Agence, devrait construire et faire fonctionner de nouvelles installations nucléaires sans aucune assistance extérieure, en utilisant exclusivement de l’uranium extrait de son sol et des éléments combustibles fabriqués en Iran. Pour écarter toutes craintes sur ce dernier point, l’Iran aurait alors intérêt à assortir son éventuel retrait du TNP d’une déclaration selon laquelle il continuerait à appliquer sur une base volontaire les engagements contenus dans ce traité en maintenant notamment sous contrôle de l’AIEA toutes ses installations et matières nucléaires, présentes et à venir. Une telle démarche n’est pas sans précédent. La France, qui n’a rejoint le TNP qu’en 1992, avait exposé dès 1968 aux Nations-Unies à la fois les raisons de principe qui la retenaient d’adhérer au Traité et sa détermination, au nom de la non-prolifération, à se comporter exactement comme un signataire. En même temps, l’Iran serait sans doute enclin à rappeler que tout projet d’attaque contre ses installations placées sous garanties de l’AIEA mettrait fin à l’ensemble de ces gestes de bonne volonté.

Enfin, dans le fil de tels engagements, l’Iran aurait tout intérêt à déclarer qu’il serait prêt à réintégrer le TNP le jour même où seraient levées les sanctions qui le frappent. Considérant l’importance de ne pas laisser se créer un précédent susceptible d’affecter la cohérence et l’efficacité du dispositif de non-prolifération construit autour du Traité, le risque d’un retrait de l’Iran devrait conduire les principaux membres du groupe P5+1 à faire face à leur responsabilité de gardiens principaux du TNP. Avec un peu de chance, cette perspective pourrait aussi donner à réfléchir au Congrès américain, et contribuer à accélérer la conclusion de l’accord général en cours de discussion avec l’Iran.