Gauche européenne, la social-démocratie en déroute

Les socialistes ont subi un échec sévère dans l’ensemble de l’Union européenne. Ils ne parviendront à remonter la pente qu’en renouvelant à la fois leurs idées et leurs équipes.

Au lendemain des élections européennes, la social-démocratie est au plus mal dans la plupart des pays de l’UE. Partout ou presque, le socialisme a été désavoué par les électeurs. Il connaît désormais en Europe, selon le député français Manuel Valls, une grave crise d’identité, qui le met en péril de mort. Dans cinq des six Etats les plus peuplés de l’Union, il est en net recul. 

Son score est de 26,3 % en Italie, 20,8 % en Allemagne, de 16,4 % en France, de 15,3 % en Grande-Bretagne, de 12 % en Pologne, soit un peu plus d’un votant sur quatre dans le meilleur des cas, un sur huit dans le pire. Il limite les dégâts en Espagne, où, quoique battu par les conservateurs, il obtient 38,5 % des voix. 

Dans les autres pays, le revers est rude aux Pays-Bas (12,1 %), en Hongrie (17,3 %) ou en Finlande (17, 5 %). Il l’est un peu moins en Bulgarie (19,5 %), en République tchèque (22,4 %), en Autriche (23, 8 %) ou au Portugal (26,6 %). Mais dans tous ces Etats les sociaux-démocrates perdent du terrain. Ils sont devancés, plus ou moins largement, par la droite.

Que sont devenus les électeurs socialistes ? Ils se sont tournés vers l’abstention ou vers des formations de gauche ou de centre gauche plus dynamiques : les écologistes en France, le Parti des valeurs d’Antonio di Pietro en Italie, les Verts et les libéraux en Allemagne, deux petits partis aux Pays-Bas. 

Quelques pays font exceptions dans le paysage désolé de la social-démocratie européenne. Les socialistes l’emportent plus ou moins nettement en Grèce, à Malte, en Suède, au Danemark, en Slovaquie, en Belgique francophone. Mais ces succès partiels ne peuvent masquer la débâcle générale qui consacre, selon le maire de Rome, Massimo Cacciari, dans un entretien à Libération, « l’échec des grandes traditions social-démocrates qui ont construit l’Europe dans la seconde moitié de l’après-guerre mais qui sont en crise depuis les années 80 ».

On a pu croire, souligne M. Cacciari, que Tony Blair avait tracé une nouvelle voie dans les années 90. En réalité, on s’en rend compte désormais, il n’avait pas inventé une politique vraiment nouvelle mais seulement passé un compromis avec le libéralisme, sa forte personnalité contribuant à couvrir les faiblesses de la gauche.

Tout est à refaire. « C’est quoi aujourd’hui la gauche et la social-démocratie ? », demande M. Valls. Le mouvement socialiste européen cherche fébrilement une réponse à cette question. L’ancien ministre travailliste Denis MacShane ouvre des pistes dans un article publié par l’hebdomadaire américain Newsweek (daté 8 juin). Comment se fait-il, interroge-t-il, qu’au moment où la crise du capitalisme, la montée du chômage, la chute de la croissance semblent offrir les meilleurs atouts aux sociaux-démocrates ceux-ci ne sont pas capables de se faire entendre des électeurs ?

La raison, selon lui, est qu’ils sont restés fidèles à leur vieille rhétorique de dénonciation du néolibéralisme et du néoconservatisme, sans comprendre les changements profonds qui affectent les sociétés européennes. Le manifeste du Parti socialiste européen, dit-il, exprime plus de critiques qu’il ne propose de solutions. Les sociaux-démocrates, conclut-il, doivent se mettre au travail pour définir un vrai projet réformateur, porté par de nouveaux leaders, qui accepte la mondialisation comme une chance et donne la priorité à la croissance sur la redistribution. M. MacShane aperçoit déjà quelques signes de renouveau dans les pays nordiques, ce que confirme la bonne tenue des socialistes en Suède et au Danemark.

Ces idées ne plairont pas à tout le monde, notamment dans la gauche française, mais les socialistes européens ne s’en sortiront que s’ils engagent franchement le débat. En France, le PS est au pied du mur. Martine Aubry n’a convaincu personne en opposant inlassablement pendant la campagne l’Europe libérale construite par la droite à l’Europe sociale voulue par la gauche. Elle a feint d’oublier que la droite, en ces temps de retour de l’Etat, est moins libérale que ne le disent ses adversaires et que la gauche, lorsqu’elle était au pouvoir, ne s’est pas opposée à la libéralisation des grands services publics. Le premier devoir de la gauche, en France comme dans le reste de l’Europe, est un devoir de vérité.