Grèce, chronique d’une reddition annoncée

Le premier ministre grec Alexis Tsipras se bat à Athènes pour faire accepter par son parti de la gauche radicale l’accord trouvé à Bruxelles avec les dix-huit autres chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, le lundi 13 juillet, après dix-sept heures de marchandages. Il a dû se plier aux exigences de ces pairs qui, sous l’impulsion de l’Allemagne, lui ont imposé un programme de réformes qui équivaut à une mise sous tutelle de la Grèce pour les trois prochaines années. François Hollande s’est battu pour qu’au moins l’apparence de souveraineté du pays soit sauvegardée et qu’une sortie de la Grèce de la zone euro soit écartée. Les créanciers de la Grèce lui ont promis un nouveau plan d’aide de plus de 80 milliards d’euros si les mesures d’économies et les réformes exigées sont effectivement mises en oeuvre.

Alexis Tsipras, Jean-Claude Juncker et François Hollande
Commission européenne

C’est la fin d’une longue nuit de discussions et le début d’une longue histoire qui s’inscrit dans la saga de la crise économique et financière commencée en 2008, avec des prémices remontant à 2002, quand la Grèce est entrée dans l’euro. Les dix-neuf chefs d’Etat et de gouvernement de la zone ont abouti, après dix-sept heures de négociations, à un compromis qui écarte la menace d’un « Grexit » mais qui a bouleversé les relations au sein de l’Union européenne.
L’Allemagne a tenté d’imposer une solution de force, ce à quoi elle répugnait depuis des lustres ; en se posant en médiatrice, la France a regagné une position qu’elle avait abandonnée ces derniers mois ; et le chef du gouvernement grec de la gauche radicale a ravalé ses ambitions de donner un coup d’arrêt à la politique d’austérité de l’UE en acceptant à peu près toutes les conditions posées par les « institutions », le nouveau nom de la « troïka » honnie.

"La drogue de l’endettement"

Quand il est arrivé au pouvoir en janvier de cette année, Alexis Tsipras avait pour but de tourner le dos à la politique imposée par la zone euro aux gouvernements précédents, à travers la « troïka » des créanciers (Banque centrale européenne, Commission de Bruxelles et Fond monétaire international). Il voulait mettre fin à ce que son bouillant ministre des finances, Yanis Varoufakis, appelait « la drogue de l’endettement ». Il voulait mener une politique économique libérée des contraintes de l’équilibre budgétaire pour compenser les sacrifices que les Grecs, et surtout les plus modestes d’entre eux, ont consentis depuis cinq ans : baisse des salaires et des retraites, coupes dans les services publics et les prestations sociales, augmentation du chômage (jusqu’à 50% chez les jeunes), avec une chute de 25% du PIB en cinq ans et une augmentation consécutive du poids de la dette (320 milliards d’euros, soit près de 180% du PIB).
Toutes ces calamités ne sont pas dues seulement à la méchanceté de la « troïka ». La racine du mal est une économie peu productive et peu compétitive, qui a vécu des crédits bon marché distillés dans la zone euro dans la période faste. Une économie où la consommation dépasse la production, où les privilèges fiscaux des armateurs et de l’Eglise orthodoxe limitent les ressources de l’Etat. La corruption, le clientélisme, le népotisme sont des maux récurrents depuis au moins le retour à la démocratie en 1974.

Retour en arrière

La gauche radicale Syriza avait promis de lutter contre ces maladies endémiques de la société grecque. Au cours des premiers mois de son gouvernement, elle n’en a rien fait. La situation économique qui s’était légèrement améliorée à la fin de 2014 avec une timide reprise de la croissance et un excédent budgétaire primaire (avant service de la dette) s’est détériorée au début de cette année à la suite des incertitudes politiques, des premières décisions de Syriza qui tournaient le dos au programme de rigueur et aux aléas de la négociation avec les créanciers.
Alexis Tsipras avait obtenu un prolongement du deuxième plan d’aide jusqu’au 30 juin, à condition que la Grèce honore ses engagements financiers auprès des créanciers internationaux. Son objectif était au contraire une nouvelle réduction de la dette (une première coupe de 100 milliards d’euros auprès des institutions privées avait déjà eu lieu en 2012) et certains de ses ministres allaient proclamant qu’ils préféraient payer les fonctionnaires plutôt que les intérêts de la dette. Ce à quoi il leur était répondu que sans le paiement de ces intérêts, ils ne seraient pas en mesure de verser les salaires des fonctionnaires car ni le FMI ni l’Europe n’accepteraient alors d’assurer les fins de mois de l’Etat grec.

"Victoire" au référendum

C’est ce qui s’est produit fin juin. La Grèce n’a pas été en mesure de rembourser 1,6 milliard d’euros qui venaient à échéance auprès du FMI, après que le chef du gouvernement grec eut rompu les négociations sur le prolongement du deuxième programme d’aide. Alexis Tsipras a refusé les conditions posées et a décidé de convoquer un référendum appelant ses concitoyens à repousser les propositions des créanciers. Le résultat a été sans ambiguïté : 61,3% des votants se sont prononcés contre l’austérité. Dans le même temps cependant, les sondages attestent qu’une forte majorité de Grecs reste favorable à l’euro.
Le premier ministre était donc porteur d’un double mandat contradictoire : d’une part, il s’était fait élire en promettant la fin de l’austérité et cette orientation avait été confirmée par le référendum du 5 juillet ; d’autre part, il ne pouvait ignorer le sentiment majoritaire en faveur de l’euro.
Fin juin, la Grèce était en quasi-faillite. Pour empêcher la fuite des capitaux qui s’était accélérée dans les semaines précédentes et face au manque de liquidités, le gouvernement a décidé d’introduire un contrôle des capitaux, de fermer les banques et de limiter à 60 euros par jour et par personne les retraits dans les distributeurs automatiques de billets. L’économie grecque était menacée de paralysie totale quand Alexis Tsipras s’est présenté au sommet de la zone euro, le 7 juillet, au lendemain de son succès au référendum.

Ultimatum

Ses pairs lui ont tenu un discours sans équivoque : Athènes avait quarante-huit heures pour proposer des mesures d’économies et de réformes, sans quoi une sortie de la Grèce de la zone euro – le « Grexit » — serait inévitable. Le chef de la gauche radicale était placé devant un dilemme : rester fidèle à ses engagements électoraux au risque de précipiter son pays dans le chaos ou trouver un arrangement avec les créanciers, au moindre coût politique. Yanis Varoufakis proposait la première voie. Quand il était au ministère des finances il avait déjà préparé un plan en trois points : la création de « IOU », pour I owe you (je vous dois), une sorte de monnaie parallèle à l’euro qui aurait été utilisée pour payer les fonctionnaires, par exemple ; une décote de 30% de la valeur nominale de la dette grecque et un retrait de la Banque de Grèce de la tutelle de la BCE. Ce plan revenait à se mettre en congé de la zone euro mais la décision formelle aurait dû revenir aux autres Européens. Varoufakis a été mis en minorité et c’est la raison pour laquelle il a démissionné au lendemain du référendum.

Aide française

Avec l’aide d’experts français du Trésor, puis de fonctionnaires de la Commission et de la BCE, la Grèce a présenté à l’eurogroupe des propositions de réformes avec une demande d’un troisième plan d’aide de 53 milliards d’euros. Ces propositions revenaient pour Alexis Tsipras à accepter les exigences des « institutions » qu’il avait refusées quelques jours auparavant et qu’il avait fait rejeter par les électeurs grecs.
Capitulation, habile pirouette, coup politique ? Peu importe. L’important est que le gouvernement grec manifestait de manière spectaculaire une rupture avec les illusions d’une « autre politique européenne » qu’à lui seul, il était bien incapable d’imposer. Trois ans plus tôt, François Hollande aussi avait dû rentrer dans le rang après avoir fait campagne pour une « réorientation » de l’Europe.
Ce qu’Alexis Tsipras n’avait pas prévu, c’est que sa crédibilité auprès des ses partenaires, et notamment des Allemands qui sont les plus forts contributeurs aux plans de sauvetage, était proche de zéro. Les foucades de son ministre des finances pendant cinq mois, ses propres déclarations incendiaires contre les propositions « criminelles » des créanciers et ses revirements n’avaient provoqué qu’agacement et méfiance. Les Européens ne voulaient pas se contenter de déclarations de bonnes intentions qui contredisaient les invectives de la veille. Ils exigeaient des actes et des garanties.

La bombe Schäuble

Cette exigence a été portée à son paroxysme par le ministre allemand des finances. Wolfgang Schäuble a présenté au gouvernement grec une alternative simple : ou bien la Grèce confiait 50 milliards d’euros d’actifs à un fond géré au Luxembourg en garantie de sa dette ou bien elle devait quitter « provisoirement » (pour quelque cinq ans) la zone euro. Il a donc fallu plus de dix-sept heures de discussions aux chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro pour éviter un « Grexit » et trouver un compromis qui tienne compte des exigences allemandes – partagées par bon nombre d’Etats d’Europe du nord – et ménage en même temps l’apparence de la souveraineté grecque. Le fond sera bien créé mais il sera domicilié à Athènes et géré par la Grèce sous surveillance européenne. Les demandes de l’eurogroupe qui doivent être satisfaites avant qu’un troisième plan d’aide (de plus de 80 milliards d’euros) soit négocié, vont bien au-delà de celles avancées quelques semaines auparavant. La détérioration de la situation en Grèce et les tergiversations de ses dirigeants ont contribué à ce durcissement. Seule satisfaction pour Alexis Tsipras : les Européens et le FMI acceptent de parler, un jour, du « reprofilage », pour ne pas dire restructuration, de la dette. L’accord de Bruxelles n’est que le début d’un long processus dont la réussite est loin d’être assurée.
Le premier obstacle est en Grèce. Le premier ministre doit faire accepter par les députés grecs l’accord de Bruxelles, leur faire voter les lois prioritaires que les Européens exigent dans les quarante-huit heures et les faire revenir sur les lois votées depuis cinq mois contredisant le plan d’austérité ! Une potion amère dure à avaler pour beaucoup d’élus et de militants de Syriza. Alexis Tsipras devra aller chercher des soutiens dans les partis d’opposition voire former un gouvernement d’union nationale. Son habileté politique qui s’est brisée contre l’intransigeance européenne, fera-t-elle encore merveille à Athènes ?