L’histoire confisquée par le pouvoir algérien

Saïd Sadi, député algérien de l’opposition et leader du Rassemblement pur la Culture et la Démocratie (parti à dominante kabyle), vient de publier un livre sur le rebelle Amirouche. Le « colonel Amirouche » était le chef de la wilaya 3 – la Kabylie – et son combat pour l’indépendance de l’Algérie se doublait d’une lutte pour la primauté du pouvoir des combattants de l’intérieur sur les unités armées constituées dans les pays voisins de l’Algérie. Il a été assassiné en mars 1959 par les troupes de Massu après avoir été livré par les hommes de Boumedienne. « L’armée des frontières est à l’origine du drame algérien  », affirme Saïd Sadi. Il a profité de la présentation de son livre à Paris pour ouvrir les yeux des partenaires de l’Algérie sur la situation dans ce pays.    

Le combat de Saïd Sadi pour la démocratie et pour la culture – terme qui peut être entendu à la fois comme une défense de la pensée et comme une affirmation de l’histoire propre d’une région (la Kabylie) – a lieu dans un pays où « la confiscation et la falsification de la guerre de libération font office de bilan et de projet politique", selon les mots de l’auteur. « L’histoire est un levier de contrôle du pouvoir politique ».

Son analyse est rude. La gangrène de la corruption détruit le système politique, l’Etat est déliquescent, mélange de clanisme et de clientélisme, avec une bonne couche de sécuritarisme, et vu de l’étranger il ressemble à une misérable « clownerie ». Les éventuels investisseurs étrangers sont totalement découragés, les institutions qui tentent d’établir des liens sont rejetées, l’Union pour la Méditerranée ou l’Organisation mondiale du commerce sont traitées avec arrogance, des compagnies étrangères comme une certaine société française des eaux, ou la BNP, rencontrent tant de déboires qu’elles renoncent à leurs projets.

On a doublé le budget national au milieu de l’année, sans explications. A la question du pourquoi, posée à l’Assemblée nationale, les autorités ont refusé de répondre. Il y a trois explications possibles, ironise Saïd Sadi, ou bien une très mauvaise évaluation dans la programmation, ou des imprévus en cours d’exécution, ou bien encore des grosses malversations qui contraignent au silence : la réponse est qu’ils se sont tus. Devant les débordements financiers comme le scandale de la SONATRACH, la toute puissante entreprise pétrolière, le gouvernement n’a pas changé sa manière d’agir.

Frémissement

Quelque chose de nouveau apparait cependant, quelques frémissements de la société, comme les mouvements des syndicats autonomes qui tentent d’échapper à l’UGTA – syndicat majoritaire et obligatoire qui s’approprie toutes les cotisations versées – et aussi, de la part de ces nouvelles organisations, quelques tentatives de contact avec les fédérations internationales, alors qu’avant, tout ce qui venait de l’étranger était diabolisé… La rente pétrolière ne suffit plus à masquer les fractures sociales, les réponses qu’apporte le régime ne sont que du bricolage. C’est un vrai délabrement institutionnel, un repli sur soi où les archaïsmes tribaux prennent le dessus sur la volonté politique. Chaque chef de tribu occupe un segment de l’Etat et le peuple de gens biologiquement de sa secte. Il n’y a plus d’Etat au sens propre de ce terme, mais un conglomérat de clientèles liées par des archaïsmes. Même les services de sécurité, à force de jouer avec le feu, ont fini par se tirer les uns sur les autres !

L’Algérie est une nation fragile, dit Saïd Sadi, la conscience nationale a été cristallisée par la guerre de libération et ce moment est court dans la vie d’un peuple. Il n’y a sur les référents et les valeurs de ce pays aucune patine du temps.

Tout se passe comme si cet Etat autiste se refermait sur lui-même pour se protéger de toute ingérence dans le partage entre initiés de la rente pétrolière. Mais pourquoi les partenaires de l’Algérie, pourtant souvent mal traités, continuent-ils à fermer les yeux sur le scandale ? Il est grand temps, pour Saïd Sadi, de regarder le monde en face, et de comprendre que le jour où la question de la relève se posera enfin –nécessité biologique ! – il sera bon d’avoir des ancrages contre le chaos et le désespoir.