La Grèce

Il est difficile de rester insensible à la détresse du peuple grec, qui rejette avec colère le plan d’austérité que lui impose l’Europe en échange de son aide financière et qui manifeste violemment contre ceux qui, selon le célèbre musicien Mikis Théodorakis, « s’apprêtent à condamner à mort la Grèce ». Le drame que vivent les Grecs, victimes d’un coup de massue aux effets dévastateurs, ne peut que susciter dans le reste de l’Europe sympathie et compassion. Quand on sait que le salaire minimum va baisser de plus de 20 %, que quinze mille emplois publics vont être supprimés, que des coupes sévères vont être effectuées dans les pensions de retraite et les salaires des fonctionnaires, que le chômage va atteindre le taux de 20 %, on comprend la révolte d’une population assommée par les sacrifices qui lui sont demandés. Les incendies qui ont embrasé Athènes il y a quelques jours sont autant l’expression d’un désespoir largement partagé que le résultats de provocations incontrôlées. 
Mais en même temps on ne peut nier que les Grecs soient en grande partie responsables du traitement douloureux qui leur est infligé. Faut-il rappeler que les gouvernements successifs ont longtemps falsifié les chiffres transmis à Bruxelles ? Que l’évasion fiscale, la corruption, le clientélisme témoignent de l’extrême faiblesse de l’Etat ? Que « l’irresponsabilité politique des dirigeants politiques atteint des sommets » , selon l’économiste Jean Pisani-Ferry, directeur du centre de recherche bruxellois Bruegel ? 
« Les Grecs se sont mis eux-mêmes dans une position impossible, souligne l’ancien député européen français Jean-Louis Bourlanges. Il y a une armée ruineuse, un clergé abusif, des armateurs qui ont placé leur argent à l’extérieur, un système fiscal inexistant ». Ces carences persistantes justifient la méfiance des partenaires de la Grèce. Elles expliquent que le ministre allemand des finances, Wolfgang Schaüble, hésite à financer « un puits sans fond ». 
On objectera que les plus touchés par la crise, c’est-à-dire les plus pauvres et les moins protégés, ne sont pas les plus coupables. Sans doute. Mais chacun a profité, avec plus ou moins d’ampleur, du laxisme généralisé. Les Grecs ont beau jeu de s’indigner aujourd’hui des atteintes à leur dignité provoquées par la brutalité des Européens, ils leur ont donné des verges pour se faire battre. Ils doivent savoir que des jours difficiles les attendent encore : il faudra en effet beaucoup de temps au pays pour se redresser. 
L’accent mis sur la responsabilité des Grecs ne dispense pas de s’interroger sur celle de leurs partenaires européens. L’Europe a d’abord péché par aveuglement. Elle n’a pas voulu voir que les Grecs n’étaient pas prêts à s’associer à la monnaie unique. « Le vrai problème, affirme Jean-Louis Bourlanges, est que nous n’aurions jamais dû admettre la Grèce dans la zone euro. Pas parce qu’elle était pauvre mais parce qu’elle était mal gérée ». 
Les Européens ont ensuite trop souvent tergiversé face à la crise grecque, faute de s’entendre en temps utile sur la réponse à apporter. Ils ont agi avec retard et, selon Jean Pisani-Ferry, avec « incohérence », sans se montrer assez résolus pour surmonter leurs divergences. L’accord auquel ils viennent de parvenir à Bruxelles n’efface pas leurs erreurs ni leurs contradictions passées. Il est clair qu’ils continuent d’être en désaccord sur les conséquences d’un éventuel défaut de la Grèce. 
Mais la vraie question est surtout de savoir si la médication concoctée par les Européens est appropriée à l’état du malade. Elle va certes lui permettre de survivre en espérant profiter du nouveau délai qui lui est offert pour commencer à se rétablir. Mais le plan de sauvetage, aussi généreux soit-il, ne suffira pas à guérir la Grèce. Ce qui lui manque, chacun le sait, c’est la mise en place d’une économie compétitive. La mise sous contrôle du pays par les Européens pourrait être l’occasion d’y travailler. Le choix contraint de la rigueur budgétaire ne doit pas faire oublier la nécessaire recherche des moyens de la croissance.