La candidature de Joachim Gauck à la présidence : une défaite pour Angela Merkel

Sous la pression de ses alliés libéraux, Angela Merkel a finalement accepté le candidat à la présidence de la République fédérale qu’elle avait refusé il y a moins de deux ans. Après la démission de Christian Wulff, c’est son adversaire malheureux de 2010, l’ancien pasteur et militant des droits de l’homme originaire d’Allemagne de l’Est, Joachim Gauck, 72 ans, qui devrait être élu le 18 mars par l’Assemblée fédérale, avec les voix de tous les partis à l’exception de la gauche radicale, Die Linke.

Une chancelière et un président de la République venus tous les deux d’Allemagne de l’Est. L’une fille de pasteur, l’autre ancien pasteur lui-même. Ces coïncidences pourraient conduire à des conclusions trompeuses. Par exemple que, un peu plus de vingt ans après la réunification, les « Ossis » (ex-Allemands de l’Est) vont déterminer la politique de la RFA. Ou que les protestants l’ont emporté sur les catholiques dans un pays où, jusqu’en 1990 à l’Ouest, les deux Eglises comptaient à peu près le même nombre de fidèles (En Allemagne, l’impôt ecclésiastique permet une statistique à peu près fiable). Même s’il est vrai que la démocratie-chrétienne ouest-allemande, du temps des chanceliers Adenauer et Kohl, était dominée par les catholiques.
Angela Merkel et Joachim Gauck ont des origines semblables et des parcours parallèles mais ils ont peu de points communs.
La première a grandi avec un père qui a quitté la RFA alors qu’elle était bébé pour répondre à l’appel de l’Eglise protestante est-allemande qui manquait de pasteurs. Horst Kasner, mort l’année dernière, appartenait à cette tendance appelée « l’Eglise dans le socialisme » qui recherchait le contact avec les autorités communistes, ne fut-ce que pour gagner une certaine tranquillité. Après son baccalauréat, Angela Merkel, a dû adhérer à l’organisation de jeunesse du Parti (FDJ) et même devenir secrétaire de section, afin de pouvoir continuer ses études de chimiste et passer son doctorat. Avant 1989, elle ne s’était pas manifestée par une distance critique vis-à-vis du régime et la chute du mur de Berlin, le 9 novembre, l’a surprise… au sauna. C’est après qu’elle a commencé une vie politique, avec le succès qu’on connait, en y appliquant, loin des débats intellectuels, les méthodes des sciences exactes.

Sans nouvelles du père

Le second a une tout autre histoire personnelle. Le père de Joachim Gauck était capitaine dans la marine. Après la prison britannique à la fin de la Deuxième guerre mondiale, il fut arrêté, sous des prétextes futiles, et condamné à deux fois 25 ans de camp par les communistes. Pendant longtemps sa famille resta sans nouvelles. Pas question pour le jeune Joachim de militer chez les Pionniers ni plus tard au FDJ. Pas question non plus pour le bachelier de faire des études supérieures de lettres ou de journalisme. C’est pourquoi il se tourna vers la théologie et devint pasteur dans le Mecklembourg, à la campagne puis à Rostock.
Par la prédication et par le service auprès des fidèles, Joachim Gauck a toujours insisté sur la liberté individuelle, intérieure certes mais si possible politique. Tout naturellement, comme nombre de ses confrères, il se retrouva au cœur du mouvement de protestation qui, dès le printemps 1989, a saisi une partie de la société est-allemande. L’Eglise protestante, la seule organisation quelque peu indépendante de l’Etat et du Parti, a servi de lieu de rencontre, d’abord pour des soirées de prières puis pour des manifestations pacifiques contre le régime communiste. Dans la révolution est-allemande de 1989, elle a joué le même rôle que l’Eglise catholique en Pologne, le pape en moins.

Premières et dernières élections libres

Joachim Gauck a été élu député lors des premières élections libres de RDA, le 18 mars 1990. Premières et dernières puisque quelques mois plus tard la RDA cesserait d’exister. Il se présentait alors sous l’étique Bündnis 90, un mouvement écolo-intellectuel qui se fondra avec les Verts après la réunification.
Les Verts ne l’avaient pas oublié quand en 2010, ils ont proposé Joachim Gauck comme candidat à la présidence de la République fédérale. Ils n’avaient pas oublié non plus que l’ancien pasteur avait dirigé pendant dix ans l’administration chargée de gérer les archives de la Stasi (la police politique est-allemande). Avec succès, en évitant à la fois la dénonciation et l’oubli. Non qu’il était toujours d’accord avec les thèses des écologistes. Loin s’en faut. Mais par son histoire et par ses prises de position, Joachim Gauck leur semblait le « président naturel », comme le titrera le magazine Der Spiegel, après le démissionnaire Horst Köhler qui venait de la Banque mondiale.

Le choix d’Angela Merkel

Les sociaux-démocrates se rallièrent à cette proposition. Angela Merkel, qui avait fait l’éloge de Joachim Gauck quelques mois auparavant lors des cérémonies marquant le vingtième anniversaire de la chute du Mur, la considéra comme un piège. Forte de sa majorité à l’Assemblée fédérale, elle imposa le ministre-président de Basse-Saxe, Christian Wulff. Elle estimait faire d’une pierre deux coups. Elle se débarrassait d’un éventuel concurrent pour la direction de la démocratie chrétienne et elle plaçait un des siens à un poste certes sans grands pouvoirs politiques mais pas sans influence dans les situations délicates.
En Allemagne, le pouvoir du président est essentiellement le pouvoir du verbe. Et sur ce plan, Joachim Gauck ne le cède à personne. Doué d’un grand talent oratoire, cultivé dans sa vie pastorale, il sera sans nul doute un président dérangeant pour ceux qui se sont ralliés tardivement à sa candidature, comme pour ceux qui l’ont soutenu dès le début. Il sera plus conservateur que ne le souhaite la gauche et plus impertinent que le voudraient les conservateurs. N’étant pas un politicien de profession, il devrait être un président très politique, au meilleur sens du terme, cherchant à réconcilier les citoyens avec la chose publique. Car son expérience est-allemande l’a convaincu que la démocratie vit seulement de cet engagement.
Le quotidien de Munich Süddeutsche Zeitung souligne que de nombreux anniversaires historiques jalonnent les prochaines années qui seront celles du mandat de Joachim Gauck. Une occasion pour lui d’imprimer sa marque sur la lecture de l’histoire allemande, depuis la révolution bourgeoise avortée de 1848 jusqu’à celle de 1989 qui a réconcilié unité et liberté, en passant par les drames du XXème siècle. La marque officielle d’un Allemand venu de l’Est. Une première depuis la réunification.

 

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