La politique étrangère d’Ankara entre alternance et alternative

Deux manifestations à la Brookings Institution de Washington – « Turkish Policy at a Time of Global and Regional Transformation : Vision and Challenges », le 18 novembre 2013, avec le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu, et « CHP’s Vision for Turkey », un discours du président du parti d’opposition, Kemal Kılıçdaroğlu, le 2 décembre, permettent d’essayer de comprendre la politique étrangère d’Ankara et les changements qui pourraient intervenir en cas d’alternance politique.

Que deviendrait la Turquie sans Recep Tayyip Erdoğan ? Il y a encore quelques mois, la question ne se posait pas. De l’eau a depuis coulé sous l’Akköprü, le plus vieux pont d’Ankara.

M. Erdoğan fait aujourd’hui face à la plus grave crise politique de ses dix ans de règne. Les manifestations printanières autour du parc Gezi, à Istanbul, avaient déjà ébranlé l’exécutif. Une affaire de corruption au plus haut niveau du pouvoir met le Premier ministre de nouveau sous pression ; jusqu’à remettre en question son avenir politique. Cette intrigue marque en effet l’effondrement du pacte qui l’avait porté au pouvoir.

Car sous couvert de l’enquête judiciaire se livre une lutte d’influence entre les partisans du « sultan » Erdoğan et les « Gulenistes », du nom du puissant ecclésiaste turque à la tête d’un empire de médias, d’écoles et d’associations caritatives. En 2003, Fethullah Gulen avait soutenu la campagne du Parti pour la justice et le développement (AKP), puis avait apporté un soutien décisif à M. Erdoğan dans son bras de fer avec les militaires. Ironie du sort, ces derniers ont profité du désordre actuel pour réclamer une révision du procès qui s’était conclu par l’emprisonnement de centaines d’officiers, condamnés pour tentative de coup d’Etat. Inquiets, de nombreux investisseurs se sont détournés des actifs turcs, contribuant ainsi à cette atmosphère de crise de régime. Acculé, M. Erdoğan tente de reprendre la main. Il a renvoyé une dizaine de ministres, réorganisé la police, et lancé une campagne de dénonciation de l’autorité judiciaire, accusée de comploter contre les intérêts du pouvoir.

Cet épisode intervient à quelques mois de l’élection présidentielle, pour laquelle le suffrage universel sera pour la première fois sollicité. M. Erdoğan, qui conserve une solide base électorale dans le pays, compterait s’y porter candidat, avec de bonnes chances de l’emporter. Le Parti républicain du peuple (CHP), le premier parti d’opposition, est en effet décrit comme faible et divisé. Mais l’actuel revers de fortune de l’homme fort de l’AKP pourrait bien rebattre les cartes du jeu politique pour les échéances électorales à venir.

Les enjeux internationaux de la nouvelle donne politique

La question de la survie politique de M. Erdoğan est de première importance ; pour le peuple turc, autant que pour les alliés de la Turquie. Plus qu’un îlot de stabilité dans une région en crise, la Turquie est en effet l’avant-poste de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) au Moyen-Orient.

Quelles pourraient ainsi être les répercussions internationales d’une alternance politique en Turquie ?

La Brookings Institution, un think tank de Washington, recevait en novembre dernier Ahmet Davutoğlu, le ministre turc des Affaires étrangères. Dans son intervention, celui-ci s’est attaché à décrire les défis de la politique étrangère turque dans une région et un monde en mutation. Sa visite fut suivie quelques jours plus tard, et de manière opportune, par celle de Kemal Kılıçdaroğlu, le président du CHP depuis 2010, venu présenter sa propre vision pour le pays.

Dans une atmosphère de campagne électorale, et en deux langues différentes – en anglais pour M. Davutoğlu et en turc pour M. Kılıçdaroğlu – les intervenants ont tous deux paru utiliser la tribune pour s’adresser à la nation turque. Ils étaient néanmoins animés de deux ambitions différentes, tenant à la faiblesse de leur position respective. Pour M. Davutoğlu, en charge des affaires extérieures depuis 2009, il s’agissait de défendre la cohérence de son action. Il est en effet l’héritier malchanceux de la politique du « zéro problème » avec les pays voisins, l’épine dorsale du programme de politique étrangère de M. Erdoğan en 2003. Sans pour autant contester l’échec patent de cette approche, il a tenté de poser un cadre sur ce qui était devenu une politique du « coup par coup », c’est-à-dire dérivant moins d’une vision fédératrice que d’une réaction aux réalités de terrain.

Pour M. Kılıçdaroğlu, l’enjeu était plutôt de restaurer la crédibilité du « parti fondateur de la Turquie moderne », créé en 1923 par Mustafa Kemal. Le lointain successeur d’Atatürk a ainsi centré son intervention sur les problématiques domestiques, défendant d’abord la « démocratie forte » et l’« économie forte » promis par son parti de centre gauche.

La Turquie, emportée par le flot de l’Histoire

C’est sur le rôle de la Turquie au Moyen-Orient que le discours d’Ahmet Davutoğlu était attendu. Le ministre des Affaires étrangères de la Sublime Porte a toutefois abordé les crises régionales avec beaucoup de réticence. Dans ses propos liminaires, il a évoqué le poids du fatum pour expliquer les échecs de la politique régionale de l’AKP. La Turquie qu’il décrit avec un accent stoïcien est ainsi moins protagoniste qu’objet de l’Histoire. Le système international, explique-t-il, poursuit sa transition entamée au lendemain de la guerre froide. Et bien loin de s’arrêter, « le flot de l’Histoire accélère », emportant avec lui le ministre qui en devient sujet (« je suis, moi-même un esclave de ce flot de l’Histoire », s’exclame-t-il).

Pour M. Davutoğlu, des tendances de trois ordres structurent cette transformation du monde. D’abord, « l’équilibre des puissances assuré par un système bipolaire est terminé. » Le monde « est toujours à la recherche […] de nouveaux équilibres », avec les conséquences que l’on observe. Le système international de règlement des conflits, en particulier, peine à s’adapter à ce monde en transition. Evoquant la guerre civile syrienne, M. Davutoğlu en appelle ainsi à « un système onusien beaucoup plus réactif, en tant qu’institution ultime de garantie […] de l’ordre mondial ». Ensuite, l’ordre économique mondial est obsolète et ne répond plus aux besoins du présent. « [Ce système] doit être restructuré », conclut-il, elliptique. Enfin, de nouveaux conflits idéologiques renaissent des cendres de la guerre froide.

Simplifiant la thèse de Samuel Huntington (« le choc des civilisations »), M. Davutoğlu voit poindre de nouvelles confrontations culturelles, avec une longitude pour seul point de fracture. Si « le monde est polarisé (sic) sur un clivage Sud/Nord sur la scène économique », il est « divisé par un clivage Est/Ouest sur la scène culturelle, entrainant de nouveaux défis », affirme-t-il. Par son histoire (pays majoritairement musulman mais de tradition laïque), sa position géographique (à cheval entre l’Europe et l’Asie), et son niveau de développement économique (pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure), la Turquie a naturellement vocation à constituer un trait d’union entre ces « blocs » antagonistes. C’est d’ailleurs l’objet des derniers mots de son intervention : « nous souhaitons que notre pays soit, [notamment] par les liens énergétiques, un pont de paix de la [mer] Caspienne à l’Europe, et que notre diplomatie soit un pont de paix […] partout dans le monde. »

A l’aune de ces bouleversements, continue M. Davutoğlu, deux méthodes se font concurrence. La première, dont il se fait sans surprise l’apôtre, consiste à « développer une approche visionnaire, [c’est-à-dire] une nouvelle vision de l’ordre international et une nouvelle vision, ou plutôt – disons – des ‘sous-visions’ au sens régional, qui seraient en concordance avec cette vision internationale ». La seconde est au contraire une « méthode de gestion de crise, [où] faire face aux défis est l’élément principal et [où, en conséquence,] la vision s’adapte à cette méthode d’endiguement des crises ».

Le ministre est toutefois prompt à suggérer que « deux nouveaux éléments », apparus dans les trois dernières années, ont contribué à brouiller les lignes entre ces deux approches. Contre toute attente, « la crise européenne » est la première de ces nouvelles réalités qui ont déstabilisé la politique étrangère turque. « Aujourd’hui, la montée de mouvements incontrôlés partout en Europe – en France, en Allemagne, en Grèce, en Bulgarie et dans les pays voisins – nous inquiète  : c’est un grand défi pour nous, » explique-t-il. « Et alors que nous essayions de dessiner une nouvelle stratégie pour faire face à ces nouveaux enjeux en Europe, de nouveaux défis apparaissent au Moyen-Orient à la suite des Printemps arabes. »

Les piliers de la politique étrangère turque

Comment la Turquie répond-elle à cette nouvelle donne internationale ? Ahmet Davutoğlu identifie trois priorités qui ont structuré la politique étrangère turque depuis l’accession de l’AKP au pouvoir : le renforcement des liens transatlantiques (dans lesquels, réinventant la géographie, il inclut les relations avec l’Union européenne), le rapprochement avec les pays voisins (la politique de « zéro problème » qui, concède-t-il, est un point de critique facile), et l’ouverture de la Turquie à de nouvelles zones (l’Afrique, l’Amérique Latine, et l’Asie de l’Est) vers lesquelles se déplace le centre de gravité de l’économie mondiale.

C’est avec une amertume doublée d’une certaine mauvaise foi que M. Davutoğlu revient sur l’échec du processus d’adhésion à l’Union européenne. « Si la Turquie était devenue un membre de l’UE en 2006 ou en 2007 […], je suis sûr qu’aujourd’hui nous aurions une nouvelle Europe, bien plus créative et dynamique, et même plus réactive face à la crise économique. Rien ne s’est passé et personne ne peut en rendre la Turquie responsable car, ajoute-il en hésitant, souvenez-vous combien la diplomatie turque était active en vue de l’accession à l’UE, comme sur la question chypriote en 2004 ». Le ministre se montre encore plus distant avec l’Histoire en qualifiant la relation entre la Turquie et les Etats-Unis. « Comme l’a décrit Barack Obama en 2009, [cette relation] est un partenariat modèle, » insiste-t-il, alors que le président des Etats-Unis avait seulement évoqué la possibilité de créer un tel partenariat. Puis, feignant d’oublier la récente décision de son gouvernement de préférer des systèmes anti-missiles de fabrication chinoise, incompatible avec le système de l’OTAN, M. Davutoğlu continue : « c’est pourquoi nous voulons […] avoir une coopération étroite dans l’industrie et dans nos politiques de défense et de sécurité afin de répondre aux nouveaux défis qui nous entourent. »

Lorsqu’il aborde la politique régionale, le deuxième volet de la politique étrangère turque, M. Davutoglu élude. Il évoque d’abord les relations avec la Russie et la Grèce. « Je donne ces exemples, dit-il, à l’attention de ceux qui sont sceptiques sur notre politique de voisinage. » Les sceptiques savent pourtant que les relations entre la Russie – un soutien inconditionnel de Bachar el-Assad – et la Turquie sont loin d’être au beau fixe. Et quand il rentre dans le vif du sujet, les commentaires de M. Davutoglu sont tout autant éloignés de la réalité. « Les Printemps arabes ont créé, bien sûr, beaucoup de défis et, ajoute-il, confiant, beaucoup d’opportunités nouvelles. Notamment se faire de nouveaux « amis » : « il y a deux catégories d’Etats dans notre politique […]. Il y a les amis et les amis potentiels. Peut-être que nous avons aujourd’hui des désaccords, mais dans l’avenir nous serons amis avec eux. » Les défis, plus nombreux, incluent le renforcement des régimes autoritaires. L’optimisme de M. Davutoglu devient alors attentisme. Selon lui, la Turquie refuse de soutenir les « hommes forts » de la région et choisit au contraire de faire primer la stabilité dans le temps long. Faire le contraire « permettrait de sauver la mise, mais on risque des années, des décennies, peut-être même des siècles [de désordre]. L’essentiel demeure la stabilité de long terme. La Turquie croit que cette dernière ne sera assurée que s’il y a une nouvelle relation consensuelle entre les dirigeants, l’Etat et ses citoyens. Le vieux monde est fini. »

Le nouveau monde, c’est l’Afrique, l’Amérique Latine, et l’Asie de l’Est, vers lesquelles la Turquie se tourne. « En Afrique seulement, et au cours des quatre dernières années, nous avons ouvert vingt-trois ambassades », rappelle M. Davutoğlu. « Nous continuerons ces ouvertures car nous voulons que la Turquie soit non seulement une puissance régionale […] mais aussi un acteur mondial omniprésent ». A cette fin, « nous coordonnons notre politique étrangère, notre politique de transport, notre politique énergétique, et toutes les autres politiques », poursuit-il. Et à ceux qui pensent le sort de la Turquie lié aux évènements en Syrie, il répond : « le matin nous nous réveillons en Syrie, avant midi notre esprit est dans les Balkans, dans l’après-midi il est en Afrique, et le soir aux Nations-Unis ou en Amérique Latine. Personne ne peut ni ne réussira à limiter notre vision. » Personne, sauf peut-être le peuple turc, s’il devait choisir l’alternance politique aux prochaines élections présidentielles ou législatives.

L’impact d’une possible alternance sur l’orientation de la politique extérieure

L’alternative, c’est le CHP. Mais son président semble convaincu que ce n’est pas sur les questions de politique étrangère que se joueront les prochaines élections. Là où M. Davutoğlu déclarait « nous avons confiance en nous », M. Kılıçdaroğlu affiche une prudence à toute épreuve (The Economist le qualifiait en 2011 d’ « incertain »). Devançant les attentes de l’assistance, il renvoie d’ailleurs les sujets épineux à la séquence des questions : « Et non, je n’entrerai pas dans les détails des enjeux liés à la Syrie, l’Irak, Egypte, et Israël. » Celui qu’on surnomme le Gandhi de la politique turque, pour ses pratiques ascétiques, se réfugie derrière l’un des slogans du parti : « paix au pays et paix dans le monde ». M. Kılıçdaroğlu ne semble donc ni capable, ni désireux de remettre en cause les piliers de la politique extérieure du pays.

Il présente toutefois une inclination différente. Si le gouvernement de M. Erdoğan regarde vers le sud et l’est, M. Kılıçdaroğlu regarde vers l’ouest. « En politique étrangère, nous nous situons à l’Ouest ; pour les 200 dernières années nous avons essayé de nous occidentaliser, et le CHP n’a là-dessus aucune hésitation ». Cette occidentalisation passe pour lui par une accession au rang de membre de l’UE, ainsi que par une forte participation au sein de l’alliance nord-atlantique. « Nous croyons en effet que les Alliés doivent avoir une approche harmonieuse en ce qui concerne les questions de défense. […] Notre partenariat [avec l’OTAN] ne tient pas seulement lorsqu’une crise éclate, » ajoute-il, avec une allusion non voilée au choix du système anti-missile chinois. Et l’ancrage à l’Ouest dépasse les questions de défense et de sécurité. Le CHP attache en effet une importance cruciale aux négociations actuelles sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) : « si celles-ci excluent la Turquie, alors la Turquie perdra beaucoup » prévient-il.

Ses dispositions favorables envers l’Europe et les Etats-Unis ne résistent cependant pas à l’évocation du problème chypriote. Il dénonce en effet la politique du « deux poids, deux mesures » de l’UE qui « avait promis que si la partie turque [de l’île] répondait par l’affirmative au référendum [de 2004] et mettait en place le Plan Annan – indépendamment de l’issue du vote de la partie grecque – les liens entre l’Europe et la République turque de Chypre du Nord seraient renforcés et [un] accord commercial mis en place ». Ce qui, explique M. Kılıçdaroğlu, n’a pas été fait. Et puisque « l’Occident attache de l’importance au respect de la loi comme au respect des promesses faites, nous lui rappelleront à chaque fois que ce principe ne doit pas être négligé  ».

Le respect de la règle de droit est d’ailleurs l’alpha et l’oméga de la politique étrangère défendue par le CHP. « Nous n’avons qu’un seul guide lorsque nous en venons [aux problèmes de la région], et c’est le droit international et la légitimité, » explique-t-il, avant de préciser sa pensée. « C’est pour nous un principe fondamental que de respecter l’intégrité territoriale des autres nations, et nous nous refusons tout particulièrement d’intervenir dans leurs affaires intérieures ». Négligeant la responsabilité de protéger (R2P), M. Kılıçdaroğlu ne retient donc du droit international que le principe de non-ingérence. Cette position le rapproche ainsi plus de la politique de « zéro problème » que des puissances de l’Ouest aux côtés desquelles il souhaitait engager la Turquie. « Nous voulons vivre en paix avec tous nos voisins, » lâchera-t-il ensuite tout à fait sérieusement, en évoquant la Syrie.

C’est armé du leitmotiv de la non-ingérence qu’il affronte les questions de l’assistance. Lorsqu’on lui demande ce qui distingue sa politique de celle de M. Davutoğlu, le ministre des Affaires étrangères, il pointe d’abord du doigt le respect de l’intégrité territoriale de l’Irak. Alors que le gouvernement de M. Erdoğan s’est évertué à conclure un accord énergétique avec le Kurdistan irakien, provoquant ainsi l’ire du gouvernement central à Bagdad, le chef de l’opposition rappelle que cette région du nord de l’Irak ne saurait être traitée comme une « province de la Turquie ». « Nous avons besoin d’une plus grande respectabilité en matière de politique étrangère », conclut-il, acerbe.

Bien souvent, respect du droit international et respectabilité ne vont pas de pair. Mais là encore, M. Kılıçdaroğlu maintient son approche légaliste. « Nous ne devons jamais prendre la responsabilité d’intervenir dans les affaires intérieures de la Syrie », répond-il à un intervenant. Plus tard, lorsqu’un autre accuse le CHP de soutenir en coulisse Bachar el-Assad et demande à son président de dénoncer les crimes du régime syrien de manière explicite, M. Kılıçdaroğlu botte en touche. « Ce dont les Syriens ont besoin c’est de liberté et de démocratie, explique-t-il calmement. Nous sommes contre la fourniture d’armes à l’une ou l’autre des parties [au conflit]. Nous ne souhaitons pas voir de bain de sang en Syrie, comme nous ne voulons pas voir d’éléments radicaux en provenance de pays tiers venir en Turquie pour passer en Syrie. Notre opinion est très claire sur ce sujet ». Que faire alors, pour mettre fin à la guerre civile ? M. Kılıçdaroğlu appelle de ses vœux une conférence internationale, réunissant « l’Iran, la Russie, les Etats-Unis, la Ligue arabe, et l’Union européenne. » Le chantre de la non-ingérence oublie ainsi d’inclure la Turquie, mais aussi la Syrie, dans la liste des participants…

Le refrain de la non-intervention est repris inlassablement pour l’ensemble des conflits de la région. En l’Egypte, si le CHP dénonce le coup d’Etat qui a porté le général el-Sissi au pouvoir, M. Kılıçdaroğlu se refuse à commenter les tensions actuelles. Sur la politique envers Israël et la question du nucléaire iranien, le chef de l’opposition préfère se fier au jugement de Salomon. « Nous ne voulons pas supporter une culture de chocs et de conflits ; c’est très préjudiciable pour la région  » dit-il, en ajoutant à l’attention des autres puissances régionales non-arabes : « Nous souhaitons qu’aucun pays du Moyen-Orient ne soit doté de l’arme atomique ».

Ainsi, et à quelques exceptions près, la politique étrangère du CHP semble étrangement proche de celle de l’AKP ; sinon dans son esprit, ou moins dans sa mise en œuvre. Le verbe sulfureux de M. Davutoğlu, le ministre des Affaires étrangères, masque une volonté de s’extraire du bourbier régional, pour effectuer un « pivot » à la turque vers des continents plus prospères. La stratégie de M. Kılıçdaroğlu, le président du CHP, aussi bienveillante que passive, vise à éviter la pente glissante des conflits régionaux, en attendant des lendemains meilleurs. La situation géopolitique de la Turquie – à la fois bénédiction et malédiction, – en n’admettant que peu de marge de manœuvre, imposerait donc une politique étrangère transcendant les clivages partisans.

 

*** La Brookings Institution est l’un des plus vieux et des plus influents centres de recherche de Washington. Il fut créé en 1916 par Robert Brookings, un philanthrope, afin d’évaluer et améliorer la politique économique du gouvernement fédéral. Sans ligne partisane, la Brookings est toutefois considérée comme un think tank de centre gauche. Ses études et recommandations portent sur l’économie, les affaires étrangères, la gouvernance et le développement. La Brookings était à la première place du classement mondial des think tanks en 2012.