Le Brésil et ses zones d’ombre

La coupe du monde de football 2014, qui devait consacrer face au monde entier l’irrésistible ascension du Brésil sur la scène internationale, semble aujourd’hui produire l’effet inverse. Elle attire en effet l’attention sur le mécontentement d’une grande partie de sa population, qui multiplie depuis un an grèves et manifestations pour protester contre les dépenses excessives engagées par les pouvoirs publics. La grande cérémonie sportive que préparent depuis sept ans les autorités brésiliennes place le pays, comme prévu, sous les regards de centaines de millions de personnes sur les cinq continents, mais ce n’est pas tout à fait dans le sens escompté. Avant même le commencement de la compétition, la fête attendue est en partie gâchée. Les insuffisances de l’organisation, le contraste entre les coûts engendrés par l’événement et les difficultés sociales d’une majorité de Brésiliens, les soupçons de gaspillage et de corruption suscitent la colère et la frustration.

Tout s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices. Lorsque le Brésil a été choisi en 2007 pour accueillir la coupe du monde, à l’initiative du président Lula, il était en plaine expansion. Membre du fameux club des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), le pays, devenu la septième puissance économique du monde, était largement cité en exemple pour son dynamisme. Avec un taux de croissance supérieur à 6% en 2007 et une politique de réduction des inégalités qui faisait sortir quelque 35 millions de personnes de l’extrême pauvreté, le Brésil avait le vent en poupe. L’organisation de la coupe du monde, éventuellement conclue par une victoire dans son sport de prédilection, devait lui apporter la reconnaissance internationale – et accessoirement faciliter la réélection, dans quelques mois, de sa présidente, Dilma Rousseff, adoubée en 2010 par Lula.

Les choses ne se sont pas passées ainsi. Le taux de croissance a faibli, en dépit d’un rebond en 2010. Il devrait être inférieur à 2% en 2014. L’investissement et la consommation sont en recul. Le temps de l’euphorie est passé. Les Brésiliens découvrent que, malgré les progrès accomplis ces dernières années, la fracture sociale reste béante. Paradoxalement ce sont ceux qui ont bénéficié de ces progrès qui se révoltent aujourd’hui par crainte de perdre leurs acquis sociaux. Ils se plaignent des carences des services publics, s’inquiètent de la montée de la violence, se méfient de leurs dirigeants politiques. Ils ne croient pas, comme ceux-ci le promettent, que l’organisation de la coupe du monde, suivie dans deux ans par celle des Jeux olympiques, va relancer la croissance et l’emploi au cours des années à venir.

Si le coup de projecteur suscité par l’événement éclaire pendant quelques semaines les zones d’ombre du Brésil, il ne doit pas pour autant masquer l’extraordinaire développement qu’a connu récemment ce pays sous l’influence de la mondialisation ni faire oublier l’énergie d’une nation en ébullition. Au moins permettra-t-il d’effacer une certaine image d’Epinal que les Brésiliens ont su projeter à l’extérieur et qui vante leurs réalisations en jetant un voile pudique sur leurs échecs. Non, le Brésil n’est pas encore la grande puissance qu’il espère devenir. Son économie est encore fragile, sa société reste traversée par la violence, le racisme, les inégalités, son système politique demeure marqué par le clientélisme et la bureaucratie. Mais il est sur le bon chemin. Un éventuel succès de son équipe de football ne suffira pas à dissiper la mauvaise humeur de son peuple. Il peut cependant y contribuer.