Le projet Védrine pour l’Europe

Dans un long texte publié le 13 juin par la quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, Hubert Védrine lance un appel pour s’adresser aux "véritables" eurosceptiques, les "dubitatifs", ceux qui se posent des questions. Il propose une pause dans l’intégration européenne qui devrait être mise à profit pour convoquer une conférence intergouvernementale, sur le modèle de la conférence de Messine de 1955 qui a conduit à la création deux ans plus tard du Marché commun. Nouvelle hiérarchie des priorités autour de la sécurité des Européens et de la défense des modes de vie européens, nouveau Schengen pour un contrôle efficace des frontières extérieures, création d’un pilier européen de l’Alliance atlantique pour la défense, équilibre entre protection sociale et créativité individuelle, prise en compte des impératifs écologiques sans nivellement technocratique... Afin d’associer les peuples à la définition de leur destin européen, l’ancien ministre des affaires étrangères et ancien conseiller de François Mitterrand, suggère que des référendums soient ensuite organisés le même jour dans les pays participant à cette conférence. Serait mis aux voix un texte court, politique, traçant les grandes ambitions de cette nouvelle Europe. De extraits du texte d’HUbert Védrine ont été publiés par Le Monde et in extenso sur lemonde.fr (Le titre et les intertitres sont de Boulevard-Exterieur)

Les représentants du Benelux à Messine en 1955

La possibilité d’un vote des britanniques favorables au Brexit au referendum du 23 juin nous oblige, de toutes façons, et quel qu’en soit le résultat, à ne plus fermer les yeux sur l’attitude de plus en plus critique et de plus en plus distante des peuples d’Europe envers la construction européenne. Dénoncer mécaniquement le populisme, à coups de discours scandalisés et de sermons, donne bonne conscience, mais ne le fait pas régresser, parfois même l’attise, et ne résout rien si on ne traite pas ses causes.

Le décrochage des peuples

La réalité c’est qu’il y a aujourd’hui en moyenne dans les différents pays de l’Union, (en moyenne car, pays par pays, il faudrait nuancer), entre 15 et 25% d’anti-européens (anti, pas seulement sceptiques, on a bien tort de confondre les deux) ; à l’autre extrême, peut-être 15 à 20% de « pro européens » traditionnels et raisonnables, de centre gauche ou de centre droit ; sans doute guère plus d’1% de vrais européistes fédéralistes (électoralement inexistants mais encore influents dans certaines élites et les milieux économiques,) ; et, entre les deux, une majorité d’environ 60% d’eurosceptiques (au sens vrai : dubitatifs), d’européens déçus ou devenus allergiques. Année après année, chaque élection, nationale ou européenne, referendum, referendum consultatif, sans parler des études et sondages, confirme ce décrochage des peuples.
L’Union Européenne est donc un organisme affaibli, miné de l’intérieur. Plus encore, elle rassemble des démocraties représentatives, les Etats membres, de plus en plus contestés par une revendication croissante de démocratie participative ou même directe de la part de citoyens surinformés, et dont aucune ne fonctionne vraiment bien, à la seule exception, peut-être, de l’Allemagne. Et c’est cet ensemble qui doit relever des défis extérieurs redoutables ! Ceux de Poutine, qui mettent en lumière les divergences entre Etats membres, selon qu’ils sont ou non frontaliers de la Russie et qu’ils ont été, ou non, asservis par l’URSS. Ceux qui découlent d’une vague sans précédent de demandeurs d’asile, en immense majorité Syriens, pour l’essentiel musulmans, et, en même temps, de migrants économiques, venus d’Afrique ou d’ailleurs, ce qui met en lumière la profonde faille entre ceux des européens qui jugent inéluctables et acceptables les sociétés multiculturelles et ceux - les pays d’Europe de l’Est qui furent sous la coupe de l’Empire ottoman, ou de l’URSS - qui n’en veulent à aucun prix.
Tout cela sur fond de croissance souffreteuse, de baisse continue de la part des européens dans la démographie mondiale, et de compte à rebours écologique. Au jour le jour les institutions européennes fonctionnent mais il y a bien un danger de dislocation de l’Union (l’éventuelle décision de sortie de la Grande Bretagne pourrait en entraîner quelques autres) ou, au minimum, de stagnation, les institutions européennes tournant alors à vide même si les contestations franches des règles européennes restent rares.

Comment expliquer ce décrochage des peuples ? Il a été longtemps nié par des dirigeants qui ont de plus en plus peur des peuples entraînés par de mauvais bergers "populistes", c’est-à-dire incitant sans scrupule les peuples à ne plus voter comme les élites classiques voudraient qu’ils votent.

A la recherche les causes

Curieusement peu de raisons sont avancées pour l’expliquer. Les anti-européens systématiques se contentent, à coups de dénonciations de l’Union européenne d’attiser et d’exploiter toutes les frustrations, les peurs et les regrets. Ils ne proposent rien de viable, seulement des sorties de l’euro, de Schengen, de l’UE ! Quant aux pro-intégration perpétuelle, aux téléologistes de la construction européenne, aux fondamentalistes de « l’Union sans cesse plus étroite », ils réclament "toujours plus d’Europe" et proclament comme un mantra que "l’Europe n’est pas le problème mais la solution". Tout cela sans convaincre.

C’est frappant de constater que les tenants de la ligne « Plus d’Europe » avec une entière bonne foi (« foi » est bien le mot), n’analysent jamais ce décrochage des peuples, et n’esquissent jamais la moindre autocritique. Ils se bornent à le stigmatiser, en espérant le réduire par la morale et une condamnation infamante. Ils appellent à la rescousse les mythes rétroactivement fondateurs (l’Europe c’est la paix) mais épuisés, rappellent la théorie du "vélo" selon laquelle si l’Europe n’avance pas, elle tombe. Ils dénoncent les « égoïsmes nationaux » (pourtant on ne juge pas égoïste le maire de Berlin s’il ne se préoccupe pas en priorité de Francfort, et réciproquement). Ils stigmatisent le « repli sur soi » (mais tout est une question de dosage. Va -t-on dire que Schengen "se replie sur soi" quand on l’aura doté d’une vraie frontière extérieure ?). Oubliant la "fédération d’Etats-nations", ils affirment péremptoirement que l’Etat et les nations sont dépassés. Les condamnations contre le « souverainisme » pleuvent.
Pourtant, l’obtention de la souveraineté politique a été une extraordinaire conquête historique des peuples. N’est-ce pas s’être tiré une balle dans le pied, démocratiquement parlant, que d’avoir fait du "souverainisme" un épouvantail, un aveu aux conséquences dévastatrices ? La preuve, les mêmes zélotes ont cessé depuis de glorifier les "abandons" de souveraineté, et même les transferts, et parlent plus raisonnablement, mais un peu tard, de « l’exercer en commun ».
Même rhétorique dans le rejet dégoûté des idées « nauséabondes », terme convenu pour évoquer les années 1930, censé susciter une horreur réflexe et réveiller le désir d’intégration européenne. Ces formules sont employées comme l’eau bénite était censée anéantir les vampires. Mais cela fonctionne de moins en moins, sinon on n’en serait pas là !

Certains partis de gauche ont cru réveiller l’intérêt des gens pour l’Europe en préconisant une "Europe sociale" ou des "citoyens". Contresens : cela ne pouvait être attractif que pour des pays d’Europe très en retard sur ces plans, et à qui l’imposition d’une norme européenne moyenne — forcément issue d’un compromis — aurait fait faire un progrès notable, ce qui n’était pas le cas pour la France ou pour l’Allemagne !

La fuite en avant institutionnelle

Les propositions des milieux « européistes », face à la crise actuelle reflètent à peu près toute la fuite en avant institutionnelle. Elles émanent de dirigeants anciens ou actuels proches des ministères des finances, de gouverneurs de banque centrale, de responsables d’institutions européennes, ou d’organismes proches d’elles. Sous prétexte « d’audace », de « courage », « d’initiative », de « sursaut », il s’agit de propositions technocratiques et d’organisation pour intégrer plus encore la zone euro, ce qui aurait certes une logique économique, de la doter par exemple d’un ministre des finances. Mais on ne voit pas bien en quoi cela réveillerait la confiance des peuples dans la construction européenne.
Et cela sans changer les traités ? Et quid alors du rôle des ministres des finances allemand, français, et des seize autres ? En quoi ce super ministre des finances hors-sol serait-il plus légitime pour faire admettre aux peuples récalcitrants des réformes structurelles ou des décisions impopulaires de politique économique ? Le fait qu’il n’y ait à l’évidence pas, en ce moment, de voie démocratique vers une intégration renforcée ne les arrête pas. Est-ce de l’aveuglement ? De l’attachement entêté à une utopie qui a eu sa noblesse historique ? Sans doute un peu des deux.

Certains proposent néanmoins de faire mieux contrôler démocratiquement la zone euro, soit par une instance spéciale du Parlement européen ; soit par les parlements nationaux ou une combinaison des deux. Ce serait un progrès. Mais c’est un remède limité qui ne traiterait pas le mal : la faiblesse insigne du débat sur les enjeux et les décisions européens à l’intérieur de chaque Etat membre. De toutes façons, à part ce tout dernier point, aucune de ces propositions n’a de rapport avec les aspirations des peuples, ni n’est de nature à les calmer, au contraire. C’est soigner l’allergie à coups d’allergisants ! Tout ce répertoire traditionnel (incantations, sermons, stigmatisations, injonction — TINA There Is No Alternative — fuite en avant) est voué à l’échec, en tout cas dans le contexte actuel, sauf à procéder à coups de faits accomplis, en abusant de la zone grise a-démocratique, ou post-démocratique, du système, qui permet quelques modifications sans toucher aux Traités, mais en creusant plus encore le fossé élites/populations et en accroissant le risque que, finalement, une fronde généralisée des peuples ne renverse tout.

Il est urgent de s’y prendre autrement.

II. Parler aux sceptiques

Comment ? En renouant le contact avec les sceptiques. Plutôt que d’appeler sans cesse à un « sursaut » contestable, et de toute façon difficile à concrétiser et impossible à faire ratifier, parler en priorité non pas aux vrais anti-européens, idéologues ou extrémistes impossibles à ébranler, mais à la grande majorité, pour la convaincre à nouveau. Ceux-là mêmes auxquels Jean Claude Junker s’adresse quand il a le courage de déclarer : « Une des raisons pour lesquelles les citoyens européens s’éloignent du projet européen est due au fait que nous interférons dans trop de domaines dans leur vie privée et dans trop de domaines dans lesquels les Etats membres sont mieux placés pour agir. Nous avons eu tort de réglementer à outrance et de trop interférer dans la vie de nos citoyens ».
Le président de la Commission se dit convaincu que pour changer la perception de l’UE, il faut alléger les lourdeurs administratives. Il a entièrement raison, mais qui d’autre le dit aussi nettement parmi les dirigeants pro-européens censés vouloir sauver le projet d’Union ? A partir de là, imaginer une séquence pause, bilan, refondation.

"Adresse aux peuples"

1. Le préalable indispensable pour sortir de l’impasse, est une « Adresse aux Peuples », dans les termes les plus clairs : « Peuples d’Europe, vous êtes, attachés à ce que vous avez gardé d’identité et de souveraineté. C’est légitime ! La construction européenne n’a pas pour finalité de dissoudre vos identités. Nous exercerons notre souveraineté en commun, car nous sommes interdépendants, mais nous vous comprenons et nous décrétons une PAUSE. Pause de l’élargissement, c’est de facto le cas, on reprendra plus tard la question pendante des Balkans. Mais aussi pause dans l’intégration ».

Cette pause ne doit pas être honteuse ni subreptice. Elle n’aurait rien à voir avec un statu quo, ni avec un constat d’impuissance. Pour marquer les esprits après des années de controverses stériles et produire un effet de souffle, elle devra découler d’une décision explicite, assumée et même claironnée. Elle traduirait un vrai compromis historique entre les élites et les peuples pour sauver l’essentiel et relancer un projet européen sur des bases assainies. Cela suppose de la part de ces élites un effort de modestie et de réalisme, et tout simplement de démocratie. Cette pause serait décidée pour deux ans. Elle ne s’appliquerait pas, vu l’urgence, à la question des flux de réfugiés et de migrants ; j’en parle plus loin.

La subsidiarité. Pour rendre crédible ce message politique, la priorité sera d’imposer aux Institutions Européennes une franche subsidiarité, C’est-à-dire une vraie retenue dans l’usage de leur pouvoir. Rappelons-nous que Jacques Delors en parlait déjà ! Jean-Claude Junker a repris cette exigence et en a chargé le Vice-Président Timmermans. Aussitôt certains parlementaires européens, qui n’ont rien compris à la nature de la crise actuelle, ont dénoncé leur « manque d’ambition ! ».
Juncker et Timmermans ont raison, mais cela ne suffira pas. En plus des pouvoirs qu’ils tiennent des traités, les fonctionnaires de la Commission ont leurs habitudes et leurs certitudes, notamment les directions les plus puissantes, et se pensent plus légitimes que les dirigeants nationaux, ces "féodalités" qu’il faut réduire. Il s’est construit avec le temps un" complexe" juridico-bureaucratique Commission/ Parlement européen/ Cour de justice qui alimente un engrenage, avec effet de cliquet… Il faut lui donner un vrai coup d’arrêt, puis pendant les deux années de la pause, faire un inventaire, et trier.
Seuls les principaux dirigeants politiques des Etats membres réussiront, s’ils sont absolument déterminés, à ramener la Commission à sa vraie mission d’origine : elle avait été pensée pour être « extra nationale », chargée de dire l’intérêt général européen, ce que ne peuvent pas faire les gouvernements nationaux, mais pas « supra nationale » et ne se pensait pas à l’origine chargée de tout réglementer. Idée remarquable. C’est plus tard, pour diverses raisons (marché unique, idéologie européiste, demandes des groupes d’intérêts ou des Etats à tour de rôle) qu’elle s’est transformée en rouleau compresseur. 

Cette bataille politique est essentielle si l’on veut reconquérir les peuples.

Une conférence refondatrice

2. Une conférence refondatrice. On abuse des mots de refondation, de relance, etc… Là, ce serait différent. La France et l’Allemagne, mettant entre parenthèses leurs désaccords (politique énergétique, politique économique dans la zone euro) inviteraient à une nouvelle conférence de Messine (comme celle qui s’était tenue en juin 1955 et qui devait conduire au Traité de Rome) dans une ville d’Europe qui ne serait aucune des capitales européennes, ni aucune ville connue pour ses sommets à répétition, les Etats-membres qui seraient prêts à s’engager à la faveur de la pause dans la séquence : bilan, subsidiarité, relance. Les délégations seraient politiques restreintes, de haut niveau. Ce serait une façon de ne réunir que les Etats volontaires et de régler l’insoluble question du noyau dur, idée séduisante qui ne s’est jamais concrétisée pour la bonne raison qu’aucun Etat membre n’acceptera d’être relégué dans "l’écorce molle", et l’exclusion est impossible. C’est donc le programme et l’ambition qui ferait la sélection.

Son ordre du jour serait : 

Le bilan politique de la construction européenne, de ses méthodes, de son mode de fonctionnement et de décision, de sa bureaucratisation progressive (depuis quand ? pourquoi ?), de son rapport avec les peuples. Ce bilan serait préparé par trois rapports politiques 1) de grands anciens, 2) de plus jeunes dirigeants, 3) de représentants de la société civile.

La redéfinition du rôle subsidiaire de la Commission dans celles de politiques et des compétences existantes qui après inventaire seraient maintenus.

La définition limitative des nouveaux domaines clefs, au sens politique et non financier ou technocratique du terme là où, à l’avenir, la valeur ajoutée du niveau européen serait évidente aux yeux des peuples : la conférence en déciderait. Mais on peut penser qu’une nouvelle hiérarchie des priorités s’imposerait autour de la sécurité des Européens et de la défense de mode de vie européen dans le monde de demain.

En ce qui concerne la sécurité, on peut espérer que cette conférence irait de pair avec la constitution urgente sans attendre d’un nouveau Schengen. Celui-ci serait doté d’un contrôle efficace aux frontières extérieures - peut être elles-mêmes géographiquement redéfinies pour être cohérentes et gérables, c’est à voir -. Les contrôles de la frontière extérieure serait dotée de vrais moyens et, surtout gérés sur une base mixte, et communautaire intergouvernementale à la fois dans l’esprit du remarquable discours de Bruges de Mme Merkel, en novembre 2010, appelant à dépasser les querelles stériles entre méthodes communautaire et intergouvernementale et à les combiner dans une synthèse européenne.
Cela serait complété par l’harmonisation nécessaire des politiques d’asile sur une base d’inspiration 2/3 allemande (au bout du compte l’Europe ne peut pas ne pas offrir l’asile, fût-il provisoire, à des gens en danger, ou alors il faut aider beaucoup plus les pays qui le font)., 1/3 politique française. (il faut que cela reste gérable). Ce serait complété par une cogestion des flux migratoires entre ce nouveau Schengen, les pays de départ, et les pays de transit (avec des quotas annuels, par métiers).

Au-delà de cette maîtrise et gestion des flux, pourquoi pas enfin la création d’un pilier européen de l’Alliance si un nombre suffisant de pays membres étaient prêts à hausser leur budget de défense à 2% du PIB ? Les Américains seraient sans doute moins hostiles que dans le passé à une telle affirmation européenne. Une telle conférence aurait la liberté d’oser affronter cette question sensible.

Défendre notre mode de vie

Deuxième grand objectif probable qui réconcilierait élites et populations : le maintien du mode de vie européen dans le monde de demain.

Cela englobe un certain équilibre entre la prise en compte de l’avenir, entre l’individu et le groupe, la liberté et l’organisation, la protection et l’expérimentation propres aux sociétés européennes actuelles.

Quelles conséquences ? Prenons un exemple parmi d’autres, celui de l’écologie : il est évident qu’il faudra, en dix ou vingt ans, écologiser l’agriculture, l’industrie, la chimie, la construction, les transports, etc… Cela supposera des milliers d’inventions ou de décisions publiques ou privées, nationales ou locales, etc… La Commission pourrait faire valoir que, justement son action quotidienne et ses directives y concourent déjà. Mais là il s’agit d’autre chose, de politique : réintéresser, réengager des peuples énervés ou franchement hostiles… Et donc, ce serait contradictoire de mener toutes ces politiques au niveau européen. Celui-ci ferait connaître les bonnes et les mauvaises pratiques, suggérerait, encouragerait, entraînerait, sans se substituer.
Ce serait sa nouvelle façon d’être. Bien sûr cela suppose un changement radical de mentalité et de comportement de la part des fonctionnaires européens qui ont œuvré pendant des décennies avec compétence, conviction et dévouement, mais parfois un certain autisme. Ils vont devoir se remettre en cause.

Aucun objectif aussi grand et incontestable soit-il - la préservation du mode de vie, ou de la culture européenne - ne doit plus pouvoir être utilisé, après la concurrence libre et non faussée, comme un nouveau prétexte à tout niveler, mais comme un grand objectif politique qui devrait réconcilier en Europe les élites et la population. De plus il ne faudrait surtout pas récréer envers l’Europe des attentes démesurées qui seraient nécessairement déçues et alimenteraient à leur tour frustration et rejet.

Le résultat de cette conférence, qui durerait le temps nécessaire (plus qu’un sommet, moins que la "Convention") ferait l’objet d’un bref texte politique de conclusions, qui recentrerait l’Union sur l’essentiel et qui pourrait être soumis à référendum le même jour dans chaque Etat membre ayant participé à cette conférence et ayant endossé ses résultats. Envisager des référendums, en plus de l’aléatoire référendum britannique, avant une telle conférence et de telles propositions tournerait à la dislocation anti-européenne, (à moins qu’elle ne soit utilisée sous forme de menace entre les mains d’européens refondateurs, mais c’est une arme à double tranchant …)

Dans tous les cas, le statu quo n’est plus tenable.

Compromis franco-allemand sur la zone euro

En ce qui concerne la zone euro qui n’échapperait pas à la pause/bilan, une harmonisation budgétaire mais aussi fiscale est évidemment souhaitable, comme une meilleure coordination en général des politiques économiques, mais elle n’a pas forcément besoin pour cela de structures technocratiques supplémentaire qui permettraient peut-être des décisions plus rapides, mais ne les rendraient pas plus légitimes. En revanche un compromis politique au plus haut niveau Allemagne/ France sur un pilotage monétaire et économique, rigoureux mais pragmatique, de l’euro débloquerait beaucoup de choses.
Compte-tenu des divergences le deal franco-allemand possible serait : vraies réformes structurelles en France/ élargissement de la mission de la banque centrale. Celle-ci agit déjà intelligemment, mais son mandat devrait lui permettre plus de dynamisme économique en fonction des circonstances, plus de réactivité pour atteindre l’objectif d’une croissance durable, non inflationniste, et créatrice d’emplois…

Si le référendum britannique...

Une victoire du Brexit le 23 juin en Grande-Bretagne serait irrationnelle. Sa situation étant sur mesure, elle ne souffre d’aucun des inconvénients de l’Union que les pro-Brexit dénoncent schématiquement ! Dans ce cas le compromis élites/populations proposé ici sera à bâtir d’urgence en réaction, mais pas une fuite en avant dans une intégration forcée, non souhaitée et inratifiable.

Si la Grande-Bretagne reste, il faudra se garder de tout soulagement trompeur, utiliser au mieux le compromis de Bruxelles du 20 février dont certaines dispositions seraient utilisables pour tous pour redonner à l’Europe une respiration démocratique, mais il faudra aller bien au-delà et engager quand même le processus : pause, bilan, conférence, refondation.

Cette clarification radicale et cette refondation seront violemment combattues par ceux qui croient encore au mythe fédéral et qui ont une peur panique de l’abandon de ce fétiche. Mais aussi, dans le système européen actuel, par tous ceux dont cela menacerait la routine, le pouvoir et les positions. Soit des forces de blocage considérables. Mais je suis convaincu que les peuples ne peuvent plus être négligés, encore moins menés en bateau, ou tancés comme des enfants. Et que les fuites en avant évoquées çà et là à contretemps détruiraient ce qui reste de consensus.

C’est tout simplement l’épreuve de vérité démocratique, pour un projet historique qui court à sa perte s’il n’est pas fondamentalement redéfini.