Les Bavarois auront-ils la tête d’Angela Merkel ?

Après le mauvais résultat enregistré, le dimanche 4 septembre, aux élections régionales du Mecklembourg-Poméranie occidentale par la démocratie chrétienne devancée par le parti populiste de droite AfD (Alternative für Deutschland), le ton est encore monté entre les responsables de la CSU et la CDU. Le chef du parti bavarois, Horst Seehofer, a dénoncé une situation « hautement dangereuse » et mis en cause « la politique de Berlin », c’est-à-dire celle d’Angela Merkel. La chancelière a en revanche appelé ses amis et alliés à la « modération ». Horst Seehofer veut un durcissement de l’attitude vis-à-vis des réfugiés et menace de présenter son propre candidat à la chancellerie en 2017 pour contraindre Angela Merkel soit à changer soit à renoncer.

Seehofer devant le portrait de Merkel
BILD SAT BAYERN

L’histoire des relations entre la CDU et la CSU, représentant ensemble la démocratie chrétienne dans la politique allemande, est truffée de ces moments de tension. L’indépendance de la branche bavaroise est un héritage de la République de Weimar. Le Parti populaire bavarois était l’allié et le complément du Zentrum catholique qui s’étendait dans le reste de l’Allemagne.
Cette constellation a été reconduite après la Deuxième guerre mondiale. Elle soulignait aussi l’aspiration à l’autonomie de « l’Etat libre de Bavière » qui d’ailleurs n’a pas ratifié la Loi fondamentale de 1949 qui a créé la RFA. Ce geste n’a aucune portée pratique mais il est symbolique du particularisme bavarois.

Une menace restée lettre morte

A plusieurs reprises au cours des dernières décennies, quand elle n’était pas d’accord avec le programme ou les choix personnels de la CDU, la CSU a menacé de mettre fin à la division géographique des tâches et de s’étendre à l’ensemble de l’Allemagne. Elle n’a jamais mis sa menace à exécution car les responsables de la CDU ont immédiatement fait savoir que leur parti irait alors concurrencer la CSU sur ses terres. Un des dirigeants emblématiques de la CSU, Franz-Josef Strauss (1915-1988), dit « le taureau de Bavière » pour sa corpulence et sa puissance rhétorique, aimait à agiter ce chiffon rouge sous les yeux de son ennemi intime, Helmut Kohl. En 1976, il avait en tous cas rompu la cohabitation des députés CDU et CSU au sein du même groupe parlementaire au Bundestag. Il a créé un groupe autonome bien qu’allié (Landesgruppe), qui perdure aujourd’hui.
L’autre arme avec laquelle joue la CSU pour faire pression sur le parti frère est la candidature à la chancellerie. En 1980, Franz-Josef Strauss a évincé Helmut Kohl de la tête de liste CDU-CSU aux élections législatives pour défier lui-même le chancelier Schmidt. Son résultat n’a pas été catastrophique mais tout de même insuffisant pour détrôner la coalition des sociaux-démocrates et des libéraux.
En 2002, Angela Merkel a eu l’habileté tactique de flatter la vanité d’Edmund Stoiber, alors ministre-président de Bavière, en lui laissant croire qu’il la marginalisait pour la candidature à la chancellerie. En réalité, Angela Merkel savait que la démocratie-chrétienne avait peu de chances de battre la coalition rouge-verte conduite par Gerhard Schröder. Il valait mieux passer un tour et rejeter la responsabilité de la défaite sur le chef de la CSU. La suite lui a donné raison. En 2005 elle a été la première femme à accéder à la chancellerie.

« La mère de toutes les batailles »

En réalité, Horst Seehofer est moins intéressé par un destin fédéral que par les conséquences de la politique nationale sur son pouvoir régional. Son obsession, comme celle de tous ses prédécesseurs à Munich, est de s’assurer une majorité absolue au parlement régional pour régner sans partage sur un des Länder les plus riches d’Allemagne. Pour Horst Seehofer, les élections régionales sont « la mère de toutes batailles ». Il ne peut réussir que si son parti n’a pas de concurrent dans les milieux conservateurs. On ne doit pas tolérer de parti ayant une légitimité démocratique à la droite de la CSU, disait en substance Franz-Josef Strauss. Et il étendait parfois cette maxime à la démocratie chrétienne toute entière.
Or c’est justement ce qui menace la CSU si les populistes de l’AfD parviennent à s’implanter dans l’ensemble de l’Allemagne. Ils font leurs meilleurs scores dans les Länder de l’est mais ils ont dépassé les 10% dans certaines régions de l’ouest. Si c’était le cas en Bavière, aux élections de 2018, c’en serait fini de la majorité absolue de la CSU.
C’est pourquoi il est très important pour Horst Seehofer et pour son parti d’occuper le créneau de droite qu’ils reprochent à Angela Merkel d’avoir délaissé. Leurs critiques portent essentiellement sur la politique d’ouverture vis-à-vis des réfugiés. Il y a un an, alors que la Bavière était aux avant-postes des arrivées, le gouvernement de Munich réclamait déjà un « plafond » que la chancelière s’est toujours refusé à fixer.
Depuis il a durci encore le ton à la suite des attentats de Wurtzbourg et d’Ansbach. Dans un document adopté après le revers subi aux élections du Mecklembourg-Poméranie occidentale, la CSU réclame, non seulement un « plafond » (200 000 immigrants par an), mais la priorité donnée aux migrants de culture « occidentalo-chrétienne », l’interdiction de la burqa, la suppression de la double nationalité, l’expulsion sans recours des déboutés du droit d’asile… Toutes mesures que ne désavouerait pas l’AfD mais que la grande coalition des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates à Berlin a jusqu’à maintenant rejetées.

Un espace libéré à droite

La CSU reproche par ailleurs à Angela Merkel d’avoir poussé trop loin vers la gauche sa politique de « triangulation » (l’adoption des positions de l’adversaire aux fins de le déstabiliser) : sortie du nucléaire, PACS, construction de crèches au lieu du soutien aux femmes au foyer, quota de femmes dans les directions d’entreprises, retraite à 63 ans, etc. Selon le parti bavarois, la chancelière a ainsi ouvert un espace à droite. L’AfD s’y est engouffrée. Lui-même, à cause de ses particularités régionales, n’est pas en mesure de le couvrir. Mais il tire argument d’une enquête réalisée à la suite des élections du Mecklembourg-Poméranie occidentale : si dans ce Land la démocratie-chrétienne avait été représentée par la CSU et non par la CDU, elle aurait obtenu 29% des voix, soit 10 points de plus que le score réel de la CDU.
Horst Seehofer et la CSU vont maintenir la pression en laissant planer le doute sur le soutien qu’ils pourraient apporter à Angela Merkel en cas de nouvelle candidature l’année prochaine. La chancelière a repoussé l’annonce de sa décision, en attendant une clarification des relations avec le parti-frère. Pour l’instant, elle ne change rien à sa politique mais au lieu de répéter « Wir schaffen das » (Nous y arriverons), elle met l’accent sur ce qui a déjà été réalisé dans l’accueil et l’intégration du million de réfugiés arrivés en Allemagne depuis un an.
Elle insiste sur les réussites économiques du pays et sur sa capacité à gérer une situation d’exception, en conformité avec ses valeurs. Elle a le soutien implicite d’une grande majorité du Bundestag, y compris dans les rangs de l’opposition. Mais le parti-frère bavarois l’a placée sous haute surveillance. Si les populistes devaient remporter de nouveaux succès aux élections régionales du printemps 2017, il ne manquerait pas de rappeler qu’il aurait eu raison avant tout le monde.