Les militants sociaux-démocrates décident du sort d’Angela Merkel

Les 475 000 adhérents du Parti social-démocrate allemand (SPD) sont appelés à se prononcer, par un vote par correspondance, sur l’accord de coalition qui vient d’être signé avec les chrétiens démocrates de la CDU-CSU. Le résultat devrait être connu le 14 décembre. Si, malgré la grogne de la base, le « oui » l’emporte, Angela Merkel devrait être pour la troisième fois élue chancelière par le Bundestag le 17 décembre.

Le dilemme est clair : les sociaux-démocrates doivent-ils accepter des compromis et entrer au gouvernement pour mettre en œuvre une partie de leur programme ou doivent-ils camper sur leurs positions et rester dans l’opposition en attendant que de nouvelles élections leur donnent éventuellement dans quatre ans la possibilité de développer leur politique ? C’est à cette question que les adhérents du SPD sont appelés à répondre d’ici la mi-décembre. Posée ainsi, la question devrait recevoir une réponse évidente. Pour un parti réformiste, il faut donner à la possibilité d’introduire des améliorations graduelles dans la vie des gens la priorité sur la pureté idéologique.

Le mauvais souvenir de 2009

Toutefois les enjeux ne sont pas aussi simples. La base social-démocrate ne peut pas facilement oublier que son parti a fait campagne contre la CDU-CSU et contre Angela Merkel avec qui les dirigeants veulent maintenant s’allier. Elle se rappelle aussi le souvenir cuisant de la dernière grande coalition avec la même Angela Merkel (2005-2009) qui s’est achevée sur le plus mauvais score jamais enregistré par le SPD à des élections générales. Les militants craignent de connaître la même mésaventure à fin de cette législature. Une fois encore, le SPD pourrait tirer les marrons du feu au profit des conservateurs. Le vote des militants sociaux-démocrates n’est donc pas acquis.

Le texte du « contrat de coalition » ne fait pas moins de 185 pages. Il envisage avec force détails, mais non sans ambiguïtés, toutes les mesures que le prochain gouvernement fédéral sera amené à prendre, depuis le tracé des lignes à haute tension transportant l’énergie éolienne jusqu’à la politique européenne et la vignette pour étrangers empruntant les autoroutes allemandes. Les négociations ont duré près de deux mois. Angela Merkel était sortie vainqueur des élections législatives du 22 novembre. Mais si son camp avait plus de 15 points d’avance sur le SPD, elle a manqué de quelques sièges la majorité absolue au Bundestag. Il lui fallait donc trouver des alliés car les Allemands n’aiment ni les gouvernements minoritaires, ni les élections anticipées. La recherche d’un partenaire a commencé par des « sondages » auprès des autres partis. Les libéraux qui avaient été les alliés de la chancelière au cours des quatre dernières années ayant été éliminés du Parlement, restaient les sociaux-démocrates et les Verts. La gauche radicale (Die Linke), qui aurait pu servir d’appoint à une coalition du SPD et des écologistes, n’est jugée digne d’être un partenaire par aucune autre formation à cause notamment de ses positions en politique étrangère et européenne. Mais le SPD a entrouvert une porte pour les élections régionales et nationales après 2017.

Il est vite apparu que les seules possibilités de compromis se trouvaient avec les sociaux-démocrates. A alors commencé un véritable marathon, avec séances plénières, réunions d’une douzaine de groupes de travail, conciliabules entre les principaux dirigeants des trois partis pour finir par une séance de 17 heures qui s’est achevée mercredi 27 novembre peu avant 5 heures du matin.

En faveur des « petites gens »

La direction du SPD a commencé un tour des organisations locales pour tenter de convaincre les militants. Le président du parti, Sigmar Gabriel s’efforce de rassurer ses troupes. En présentant l’accord de gouvernement, il a insisté sur toutes les mesures prévues en faveur des « petites gens qui se donnent du mal » et conformes au programme présenté par le SPD pendant la campagne électorale : création d’un salaire minimum légal et général à 8,50 € à partir de 2015 (avec quelques exceptions), revalorisation des pensions, abaissement de l’âge de départ à la retraite de 65 à 63 ans (au lieu de 67 ans) pour les salariés ayant cotisé 45 ans, meilleure prise en charge de la dépendance des personnes âgées, investissement dans la formation, la recherche et les infrastructures, etc. « Depuis 150 ans, le SPD s’est donné pour but de rendre la vie meilleure, cet accord va dans ce sens », a-t-il conclu, en appelant ses camarades à voter « oui ». Le secrétaire général du Parti libéral, qui a été éliminé du Parlement, lui a apporté un soutien involontaire, en déclarant que l’accord de grande coalition était un programme social-démocrate.

 Bien sûr, le SPD a dû accepter des compromis. Par exemple sur la double nationalité qui était un tabou pour la droite. Le SPD était pour une libéralisation de la naturalisation. Attachée au principe du droit du sang, la CDU-CSU était contre. L’accord prévoit que les enfants nés de parents étrangers et ayant grandis en Allemagne n’auront plus à choisir à 23 ans entre la nationalité allemande et la nationalité de leurs parents, mais pourront avoir une double nationalité. La mesure s’adresse essentiellement aux enfants de la communauté turque largement implantée en Allemagne.

Les caisses sont pleines

Sur les questions financières et sociales, il a été d’autant plus facile de trouver des solutions communes que les caisses sont pleines. Certes les présidents des trois partis ont pratiqué des coupes claires dans les revendications des groupes de travail qui avaient additionné toutes les demandes. Coût prévisible : 60 milliards d’euros sur quatre ans. Dans l’accord, il reste une dépense supplémentaire de 23 milliards… seulement. Elle devrait être financée sans augmentation ni de la dette ni des impôts – une promesse électorale de la CDU-CSU. L’Etat fédéral a déjà un surplus de recettes fiscales ; pour le reste on mise sur la croissance. Les économistes pensent qu’à ces 23 milliards il faut ajouter de 20 à 30 milliards pour financer les mesures annoncées en faveur des retraités, y compris une « retraite pour la femme au foyer » (Mütterrente) demandée par la CSU bavaroise, la formation la plus conservatrice. Officiellement, ces sommes seront couvertes par le renoncement à une baisse de la cotisation vieillesse – les caisses de retraite accusent un fort excédent – et par les conséquences heureuses du plein emploi. Mais le patronat et les experts économiques mettent en garde contre cette « frénésie » de dépenses qui va peser sur les jeunes générations.

Les futurs partenaires se sont distribués les postes ministériels : cinq pour la CDU, y compris la chancelière, (plus le chef de la chancellerie qui a rang de ministre) ; six pour le SPD et trois pour la CSU. Mais les dirigeants sociaux-démocrates ont demandé que l’affectation des ministères et a fortiori les noms des ministres soient gardés secrets jusqu’à la fin de la consultation de leurs adhérents. Raison officielle : ils veulent un vote sur la substance, non sur les personnes. Raison officieuse : ils craignent que les militants ne sanctionnent ceux qui aspirent à devenir ministres après avoir conduit le parti à deux défaites consécutives.