Lula : le risque autoritaire

La bataille pour l’élection présidentielle du 3 octobre bat son plein au Brésil. Luiz Inacio da Silva, dit Lula, ne peut pas se représenter. La candidate de sa formation, le Parti des travailleurs, Dilma Rousseff, fait face au social-démocrate José Serra, en tête dans les sondages. La gauche modérée reproche à Lula de vouloir contourner le Constitution en relançant la discussion sur les responsabilités des militaires pendant les années sombres de la dictature et préparer subrepticement un régime autoritaire et populiste inspiré du Venezuela d’Hugo Chavez. Nous publions un éditorial du journal O Estado de São Paulo qui s’en prend violemment au chef de l’Etat brésilien. Quelle que soit la pertinence des arguments avancés, il montre que tous les Brésiliens ne partagent pas l’enthousiasme manifesté pour Lula à l’étranger. (Traduction Boulevard Extérieur)

Le président Luiz Inacio Lula da Silva a signé en décembre un programme qui est une véritable feuille de route pour l’implantation d’un régime autoritaire qui réduirait le rôle du Congrès, déqualifierait le pouvoir judiciaire, supprimerait le droit de propriété, installerait le contrôle gouvernemental des médias et assujettirait la recherche scientifique et technologique à des critères et à des limites idéologiques.

Tout cela se trouve inséré dans le « Programa Nacional de Direitos Humanos » (PNDH-3), institué par le « Decreto n°7.037 », du 21 décembre 2009, que, croyez-le ou pas, le président dit avoir signé sans le lire. Le programme, un livre de 92 pages, est une alarmante contrefaçon de constitution. Il embrasse des sujets aussi variés que l’éducation, les services de santé, la Justice, les conditions d’accès à la propriété et sa préservation, les décisions à prendre par les agriculteurs qui veulent planter, l’activité législative, les fonctions de la presse et le sens du développement.

L’élucidation des violences commises par les agents du régime militaire et la révocation de la « Lei da Anistia » sont la plus petite partie de ce programme bien que le plus commentée jusqu’à maintenant à cause de la réaction à la première rédaction du décret dans les hautes sphères militaires. Le plus grand danger n’est pas dans les détails mais dans l’objectif général de cette manœuvre ourdie par le « Palacio do Planalto » (siège du gouvernement exécutif) : la consolidation d’un populisme autoritaire soutenu par la relation directe établie entre le chef et les masses structurées en syndicats, comités et autres organisations « populaires ».

Comme son collègue Hugo Chavez, le président Lula propose la valorisation d’instruments comme « loi d’initiative populaire, referendum, veto populaire et plébiscite ». On usurpe le pouvoir de légiférer sans avoir besoin de recourir à un coup d’Etat flagrant. De la même façon, on multiplie les « conseils des droits de l’homme » en coordonnant leur action dans les « trois sphères de la Fédération », reproduisant la vieille idée des comités populaires si chers aux dictatures.

Une fois la loi passée, le juge ne pourra plus simplement décider la réintégration dans la possession d’un immeuble squatté. Le gouvernement propose « d’institutionnaliser l’utilisation de la médiation comme première démarche dans les litiges liés à des conflits ruraux ou urbains, en donnant la priorité à une audience collective avec les parties, en présence du « ministerio publico », du ministère public local, d’organes publics spécialisés et de la police militaire ». En d’autres mots : on oublie la Constitution, on refuse au juge le pouvoir de garantir la propriété et on transforme l’envahisseur en un détenteur de droits sur l’immeuble occupé.

Combattre ces aberrations n’intéresse pas seulement les fermiers et les propriétaires. La question essentielle n’est pas le conflit entre « ruralistes » et défenseurs de la « réforme agraire » à tout prix. C’est la dévalorisation de la loi et du pouvoir judiciaire tel qu’il est défini dans l’Etat de Droit. Rien n’échappera au contrôle de « l’assembléisme ». Un autre aspect du programme : « inciter au débat sur l’expansion des monocultures qui provoquent un impact sur l’environnement et dans la culture des peuples et communautés traditionnelles, comme, par exemple, l’eucalyptus, la canne-à-sucre, le soja, etc. »

Les enfants seront soumis, dans les écoles, à une instruction sur les droits de l’homme coulée selon les intérêts du régime et qui se trouve très clairement présentée dans le décret. Pour contrôler les esprits, on ne pourra se passer d’une main mise sur les médias. Si les lois proposées étaient approuvées, le gouvernement aurait le pouvoir de suspendre des programmes et de casser les licences de radio et de télévision quand auraient lieu des « violations » des droits de l’homme. On établira un classement national des mass medias, fondé sur leur compatibilité avec les droits de l’homme. Le gouvernement devra aussi promouvoir les films et les productions audiovisuelles sur les droits de l’homme, en vue de « la reconstruction de l’histoire récente de l’autoritarisme au Brésil ». Ce sera un autoritarisme s’occupant de l’histoire d’un autre.

Les intentions politiques sont claires, quoiqu’ écrites dans un langage abscons. Partout dans le texte, il y a des expressions du genre « fortification des droits de l’homme comme instrument transversal des politiques publiques et de l’interaction démocratique ». Ce sont ces élucubrations qui serviront de drapeau à la campagne du Parti des travailleurs pour la prochaine élection présidensielle. Pour être élu, le candidat Lula avait dû renier ces idées dans sa « Lettre aux Brésiliens ». Mais il n’a pas renié, comme on l’observe une fois de plus, le rêve de « changer tout ce qu’il y a par ici ».