Merkel III

Angela Merkel et la démocratie chrétienne sont sorties grandes gagnantes des élections fédérales qui ont eu lieu en Allemagne, le dimanche 22 septembre. Avec 41,5% des voix, la CDU-CSU gagne 7,7 points par rapport aux élections de 2009. Elle devance le Parti social-démocrate (25,7 %, plus 2,7 points par rapport à 2009). Avec 4,8% des voix, le FDP échoue devant la barre des 5% qui représente le minimum pour avoir des députés au Bundestag. Il perd 9,8 points par rapport au scrutin précédent. Die Linke, la gauche radicale, devient la troisième formation du Parlement avec 8,6% (moins 3,3 pts), tandis que les Verts n’obtiennent que 8,4% (moins 2,3 pts). La nouvelle formation, Alternative pour l’Allemagne (AfD) manque de peu son entrée au Bundestag avec 4,7% des suffrages. Une coalition entre le SPD, les Verts et Die Linke aurait une légère majorité au Bundestag mais tant les sociaux-démocrates que les Verts ont exclu de s’allier avec la gauche radicale. Angela Merkel doit donc chercher des alliés pour former le prochain gouvernement. 

C’est un grand succès personnel pour Angela Merkel. C’aurait pu être un triomphe. A quelques points près, la démocratie chrétienne a manqué la majorité absolue des députés au Bundestag, un résultat que seul Konrad Adenauer avait obtenu en 1957 ! Cette année le programme de la CDU-CSU tenait en un mot : Merkel. Et cette stratégie a fonctionné au-delà même des attentes de ses concepteurs. Non seulement la chancelière est le seul chef de gouvernement en Europe qui a été réélu depuis l’éclatement de la crise financière et économique en 2008 mais la CDU-CSU gagne près de huit points par rapport aux dernières élections générales de 2009.

L’exploit est d’autant plus remarquable que paradoxalement, la coalition entre les chrétiens démocrates et les libéraux est sanctionnée par les électeurs allemands. Elle ne pourra pas être renouvelée car pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale, le Parti libéral (FDP) est éliminé du Bundestag. Avec 4,8% des suffrages, il n’a pas atteint la barre des 5% nécessaires pour avoir des députés. Dans les Länder et maintenant au niveau fédéral, tous les gouvernements dits « noirs-jaunes » (entre la CDU-CSU et le FDP) ont été désavoués par les électeurs.

Mais, dimanche dernier, il n’était pas question d’un parti, mais d’une personnalité. On savait que si le chef du gouvernement avait été élu en Allemagne au suffrage universel, Angela Merkel n‘aurait pas eu de concurrent. Les électeurs se sont comportés comme si… et ont renvoyé Angela Merkel à la chancellerie.

La popularité d’Angela Merkel repose d’abord sur le sentiment de force tranquille qu’elle dégage. Dans un pays qui a peur de la crise, elle rassure. Dans un pays qui se porte mieux que ses voisins malgré quatre ans de crise européenne, elle incarne la stabilité et la promesse d’une poursuite de la prospérité, en tous cas d’une gestion raisonnable de l’acquis.

Ses adversaires lui reprochent d’avoir préféré l’immobilisme aux réformes, de ne pas avoir pris de risque et d’avoir endormi ses concitoyens, notamment pendant la campagne électorale, en prenant un soin particulier à ne pas soulever les sujets qui divisent. Les mêmes regrettent qu’elle n’ait jamais développé de vision pour l’Allemagne ou pour l’Europe. Mais c’est justement ce qui fait son succès.

Pas d’euphorie à l’heure de la victoire. Devant ses partisans enthousiastes, Angela Merkel se permet quelques pas de danse mais elle annonce que dès le lendemain il faut se remettre au travail. Après-demain, crient ses amis.

La chancelière ne doit pas en effet perdre de temps pour se trouver des partenaires pour une nouvelle coalition. Deux possibilités s’offrent à elle : une alliance avec les Verts, qui serait une première au niveau fédéral, ou une grande coalition avec les sociaux-démocrates. Les premiers ont en commun avec Angela Merkel la sortie du nucléaire mais ils se sont trop déportés vers la gauche au cours de la campagne – ce qui leur a fait perdre plus d’un million de voix en faveur du SPD et de la CDU – pour être des interlocuteurs sérieux des chrétiens-démocrates.

Le SPD a un mauvais souvenir de la dernière grande coalition sous la direction d’Angela Merkel (2005-2009). Il avait payé le prix de cette coopération au scrutin suivant, tombant au-dessous de 25%. La gauche du parti est réticente. Mais être dans l’opposition est une « saloperie », avait coutume de dire un ancien dirigeant social-démocrate. Et le parti se décidera sans doute en faveur d’un retour au pouvoir, fut-ce comme roue de secours d’une démocratie chrétienne dominatrice. Sera-t-il en mesure d’imposer certaines revendications, comme l’instauration d’un salaire minimum légal ? Pendant la campagne, les sociaux-démocrates en avaient fait la condition de toute coalition gouvernementale.

Sur les autres sujets qui ont animé le débat, les différences entre le centre-gauche et le centre-droit sont d’autant moins importantes qu’Angela Merkel s’est bien gardée de prendre des positions tranchées. Elle a toujours fait preuve d’une grande souplesse dans les programmes quand il s’agit d’obtenir et d’exercer le pouvoir.

Un nouveau paysage politique

Reste que le paysage politique allemand sort transformé de ce scrutin. Les libéraux auront du mal à se remettre de cette nouvelle défaite qui s’ajoute à des déconvenues dans presque tous les Länder. Une exception : lors des élections régionales de Hesse, qui avaient lieu en même temps que les élections fédérales, le FDP a réussi à se maintenir au niveau de 5%, ce qui n’empêche pas que la coalition sortante CDU-FDP ait été battue. Le parti a donné de grands hommes d’Etat à la RFA, y compris deux présidents de la République et plusieurs ministres des affaires étrangères. Sa disparition marquerait une coupure dans l’histoire politique allemande.

Les Verts pouvaient avoir l’ambition de devenir un petit « Volkspartei » (parti de toutes les couches sociales). Les sondages les avaient crédités de 15% des intentions de vote, avec une pique à 25% au lendemain de la catastrophe de Fukushima. En 2011, ils avaient gagné les élections régionales dans le Bade-Wurtemberg et désigné pour la première fois un ministre-président issu de leurs rangs. La chute (8,4%) n’en est que plus douloureuse. Les règlements de compte sont à prévoir dans un parti qui s’est illustré par son goût des controverses publiques.

A droite, l’apparition de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) change aussi la donne. Après quelques mois d’existence seulement, ce parti qui refuse l’étiquette d’eurosceptique mais a fait campagne pour l’abandon de l’euro et le retour au deutschemark, a manqué de peu son entrée au Bundestag (4,7%). C’est aussi une première en Allemagne contemporaine qu’un parti ouvertement critique envers l’intégration européenne et partisan d’un rapprochement avec la Russie obtienne un tel score.

Il n’est pas exclu que l’AfD soit seulement un phénomène éphémère lié au sauvetage de l’euro, dont les Allemands pensent être les premières victimes. Toutefois, l’AfD aura l’occasion de se manifester encore avec les élections européennes du printemps 2014, alors que la crise du surendettement est loin d’être réglée dans nombre de pays de l’UE. Le scrutin européen offre la possibilité aux électeurs de se défouler sans mettre en question le gouvernement fédéral. L’AfD pourrait en tirer profit.

Un nouveau succès aurait de quoi inquiéter la CDU et la CSU qui ont toujours pris soin d’empêcher l’apparition d’un parti « respectable » sur leur droite. Leur objectif a toujours été de couvrir tout le spectre politique du centre à la droite. C’est un des fondements de la stabilité politique de l’Allemagne.