PS : les trois leçons de Reims

Plusieurs lectures peuvent être faites de la piteuse tragi-comédie offerte à l’opinion ces dernières semaines par les socialistes français. Aucune n’est dénuée de sens. Chacune apporte sa part d’explication à un événement sans doute plus complexe qu’il n’y paraît

On peut interpréter l’événement comme la confrontation sans merci d’ambitions individuelles. Cette exégèse est sans doute réductrice. Mais elle comporte une part de vérité.

La vie politique est, par définition, le lieu de luttes pour le pouvoir. Elles sont sans merci. Les institutions françaises et la présidentialisation accentuent la violence de ces duels. Le parti socialiste n’en a pas le monopole. Qu’il suffise de se souvenir de la lutte acharnée qui a opposé durant des mois Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy tous deux prétendants à la succession de Jacques Chirac à la présidence de la République. N’eût été l’échec du CPE qui a affaibli politiquement l’ancien Premier ministre et l’affaire Clearstream qui l’a achevé judiciairement, le combat se fût prolongé jusqu’aux portes de l’Elysée.

Le congrès de Reims a été marqué par un formidable choc d’ambitions. Celle de Bertrand Delanoë qui croyait pouvoir remporter haut la main cette épreuve et avoir ensuite le champ libre pour, à la tête du PS, en devenir le candidat naturel à la présidence de la République. Celle de Ségolène Royal qui, forte des 17 millions de voix obtenues lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2007, estime avoir la légitimité nécessaire pour représenter les socialistes dans la course présidentielle de 2012. Celles, enfin, secrètes, de François Hollande, de Laurent Fabius ou de Dominique Strauss-Kahn dont aucun n’a réellement renoncé à briguer l’Elysée dans trois ans et demi si les circonstances leur sont favorables.

Le maire de Paris, pour s’être à contre-temps revendiqué social-libéral et avoir mené une piètre campagne, sort de cette première manche politiquement sonné pour ne pas dire K.O. La présidente de la région Poitou-Charente, qui a joué fort habilement avant et durant le congrès de Reims, a frisé la victoire à quelques voix près. Elle n’occupera pas le fauteuil du Premier secrétaire du PS. Toutefois, elle a non seulement démontré que les socialistes devaient toujours compter avec elle, mais elle a surtout prouvé que la dynamique était de son côté lors même que la coalition de ses adversaires peinait à constituer une majorité. Quant aux trois autres, ils continuent de nourrir secrètement l’ambition d’éventuellement rebondir en s’abritant derrière une Martine Aubry qui ne manque ni de caractère ni sans doute, elle aussi, d’ambition élyséenne.

Le congrès de Reims a aussi été caractérisé par une très nette gauchisation du discours socialiste. C’est la deuxième lecture que l’on peut faire de l’événement. La crise a conduit l’ensemble des ténors du PS à renouer avec une radicalité dont ils semblaient s’être départis ces dernières années. A l’évidence, il s’agissait de répondre de la sorte à l’inquiétude et à l’exaspération de militants, de sympathisants, voire d’électeurs frappés par la dureté de la situation économique. Le succès inattendu remporté par la motion de Benoît Hamon, la seule à reprendre tel quel le logiciel des années 80, témoigne de cette radicalisation. C’est en reprochant à Bertrand Delanoë son supposé penchant libéral que Martine Aubry a réussi à marginaliser le maire de Paris. Ségolène Royal elle-même n’a pas hésité, durant sa campagne interne, à préconiser l’interdiction des licenciements et la nationalisation des banques. Indirectement, la réussite du premier meeting tenu par Jean-Luc Mélenchon qui a quitté le PS pour fonder à sa gauche un nouveau parti révolutionnaire à la manière dont l’Allemand Oskar Lafontaine a créé, il y a quelques années, « Die Linke » en marge du SPD, confirme cette tendance à la radicalisation.

Il est enfin une troisième lecture qui, pour partie corrige la précédente. La pièce qui s’est jouée à Reims et qui s’est terminée par la très fragile et peut-être seulement provisoire victoire de Martine Aubry, a opposé le vieux parti d’Epinay qui n’en finit pas de mourir mais bouge encore, au nouveau parti socialiste dont on commence à deviner les contours mais que peine encore à faire émerger Ségolène Royal. Celle-ci s’est trouvée confrontée à une coalition des gens d’appareil ligués pour lui faire barrage au point que ses partisans ont vécu ce congrès comme une formidable tentative avortée d’exclusion.

On voit en effet se dessiner aujourd’hui deux partis socialistes.

Celui qu’incarne Martine Aubry demeure lié à la conception traditionnelle d’un parti de militants, attaché à défendre des idées avant de songer à la conquête du pouvoir, plus enclin, avec ses relais syndicaux, à mener des combats de terrain qu’à engager la lutte présidentielle, plus préoccupé de défendre ses baronnies provinciales que de s’emparer du pouvoir suprême. Fidèle à la traditionnelle Union de la gauche en dépit de la quasi évanescence du PCF, il stigmatise toute idée d’alliance nationale avec le Centre tout en y recourant sans complexe dans les élections locales. A l’inverse, le PS que cherche à développer Ségolène Royal et qui ressemble davantage au parti démocrate américain qu’aux partis sociaux démocrates, se veut adapté à une présidentialisation du régime qu’a encore accrue le passage au quinquennat introduit par Lionel Jospin. Ségolène Royal le veut largement ouvert à tous les sympathisants et d’un accès aisé. Martine Aubry, en militante classique, entend s’appuyer sur l’appareil du parti. Ségolène Royal, convaincue que notre démocratie est devenue « vidéocratie », s’appuie sur les médias, et particulièrement les médias audiovisuels qui lui assurent un contact direct avec l’opinion. La première ne connaît que la raison, la seconde accorde une large part à l’émotion.

La présidente de la région Poitou-Charentes qui garde l’Elysée en ligne de mire, sait qu’en toute hypothèse, une candidate socialiste arrivée au second tour de l’élection présidentielle aura besoin du concours du centre pour espérer emporter la victoire au second.

Reste le corpus idéologique, à la vérité flou d’un côté comme de l’autre. Les désormais amis de Martine Aubry n’ont pas réussi à faire émerger une proposition originale ou une idée nouvelle depuis plusieurs années. De son côté, Ségolène Royal, sans craindre les incohérences successives, n’hésitent pas à défendre un jour quelques valeurs traditionnelles qui semblent davantage appartenir à un terreau de droite qu’à un terreau de gauche et le lendemain prôner des mesures que n’auraient pas reniées Jules Guesde !

Le triple débat qui oppose les socialistes, querelle d’ambitions, positionnement sur l’échiquier politique, conception du parti, stratégie d’alliance et corpus idéologique, n’est toujours pas tranché au terme du congrès de Reims et moins encore après l’élection du Premier secrétaire.

Théoriquement, Martine Aubry, proclamée gagnante par les instances du PS, peut gouverner ce parti. Elle aura pour elle une majorité au parlement du PS, le conseil national. Encore celle-ci est-elle particulièrement hétéroclite. On voit mal en effet comment la dame des trente-cinq heures, femme de caractère certes, mais carrée et brutale dans son propos, pourra réconcilier les deux ailes de cette formation aujourd’hui littéralement brisée, cassée, blessée.

Ségolène Royal qui gardera un pied dans un PS dont elle aura besoin le moment venu ne renoncera pas à suivre comme elle l’entend un chemin dont elle est convaincue qu’il la conduit naturellement et légitimement à l’élection présidentielle. Convaincue que sa victoire lui a été volée, elle jouera à plein du magistère de la parole audiovisuelle tandis que la maire de Lille se coltinera l’épuisante gestion de la vieille maison. Mais Martine Aubry essaiera de prendre à revers la présidente de la région Poitou-Charentes en se faisant la championne d’une tentative de rénovation.

Bertrand Delanoë, le grand perdant du congrès de Reims, espère sans doute secrètement de son côté que ce dénouement favorable à Martine Aubry lui redonne un petit espace pour 2012. Il serait naïf de penser que Martine Aubry ne cultive pas désormais une même ambition présidentielle comme il serait naïf de penser que d’autres prétendants ont désormais renoncé.

Autrement dit, rien n’est réglé, rien n’est tranché au parti socialiste. Le feuilleton chaotique offert depuis des semaines par les socialistes aux Français va probablement se poursuivre. Le prochain épisode en sera la constitution du gouvernement du parti autour de la nouvelle Première secrétaire.

Nous ne sommes pas au bout des rebondissements !