Peut-on « refonder » l’Union européenne ?

Au moment où les doutes se multiplient sur la survie de l’Union européenne, ceux qui ne veulent pas se résoudre à son affaiblissement, voire à sa disparition, appellent à sa « relance » ou à sa « refondation ». Ils proposent, au sein de la zone euro, un approfondissement de l’Union économique et monétaire et, au niveau de l’UE tout entière, des initiatives communes en matière de défense et d’immigration. Pour eux, le temps est venu d’agir pour rétablir la confiance des peuples envers l’Europe et favoriser la « renaissance » de la construction européenne.

Face à la montée de l’euroscepticisme dans la plupart des pays du Vieux Continent, ceux qui croient encore aux vertus de l’Europe unie refusent de baisser les bras et de laisser le champ libre à leurs adversaires. Echaudés par le référendum britannique, ils sont nombreux à appeler à une « relance » ou à une « refondation » de l’Union européenne. « L’Europe doit changer », affirme sur BFM TV Daniel Cohn-Bendit, qui plaide pour une « nouvelle perspective » et une « nouvelle renaissance ».

A droite, Alain Juppé souhaite, dans Le Monde, un « nouveau départ » fondé sur un « élan commun » de la France et de l’Allemagne. « L’urgence, c’est de se remettre à faire l’Europe et de la faire bien », explique l’eurodéputée Sylvie Goulard, pour qui « la bataille de l’Europe n’a pas été perdue, elle n’a pas été menée » (Goodbye Europe, Flammarion). A l’extrême-gauche, le philosophe Etienne Balibar estime que « l’Europe est morte comme projet politique, à moins qu’elle ne réussisse à se refonder sur de nouvelles bases » (Europe, crise et fin ? Le bord de l’eau).

Revenir aux promesses originelles

La gauche gouvernementale n’est pas en reste. « Nous sommes en train de fermer la parenthèse d’une Europe sans projet politique », soutient Emmanuel Macron dans Le Monde. Le ministre de l’économie veut « revenir aux promesses originelles du projet européen : paix, prospérité et liberté » et propose de « réinventer une Europe de la puissance ». Pour sa part, également dans Le Monde, Hubert Védrine suggère une « pause » pour dresser le « bilan politique » de la construction européenne et convoquer une nouvelle conférence de Messine, comparable à celle dont est sorti le traité de Rome en 1957, afin de réfléchir aux conditions d’une « relance ». Pour l’ancien ministre des affaires étrangères, « le statu quo n’est plus tenable ».

« Force est de constater que l’Europe des petits pas ne marche plus », soulignent plusieurs dirigeants du Parti socialiste – son premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, les présidents de ses groupes parlementaires, Bruno Le Roux et Didier Guillaume, la présidente de sa délégation au Parlement européen, Pervenche Berès – dans un texte commun, qui appelle à une « œuvre de refondation profonde » et à un « nouveau contrat » pour les Européens autour d’une « Europe des projets ».

Les analyses convergent pour diagnostiquer, comme Alain Juppé, « une angoisse identitaire aussi contagieuse qu’inédite » dans une Europe « menacée de dislocation » ou pour noter, comme Emmanuel Macron, que l’Europe, faute de projet mobilisateur, « finit par se résumer à un vaste marché sans régulation ». Ces Européens déçus s’entendent aussi pour constater, comme Jean-Christophe Cambadélis et les autres signataires, que « l’Europe n’a pas su se donner les outils pour répondre aux crises de grande ampleur qu’elle a traversées ces derniers temps ».

Remettre l’ouvrage sur le métier

Il est donc temps de « refaire l’Europe », comme l’écrit Sylvie Goulard. Daniel Cohn-Bendit ne dit pas autre chose lorsqu’il soutient que « l’Europe ne fonctionne pas parce qu’on ne fait pas l’Europe ». Même si, selon Hubert Védrine, « on abuse des mots de refondation, de relance, etc. », ce sont ces mots qui reviennent dans la bouche ou sous la plume de ceux qui attendent de l’Union européenne un sursaut salvateur au moment où le vieux rêve des pères fondateurs apparaît à beaucoup comme un souvenir d’un autre âge. « Le problème de l’Union européenne n’est pas tant ce qu’elle est que ce qu’elle n’est toujours pas », souligne avec justesse Sylvie Goulard.

Comment provoquer un tel sursaut ? Comment aller plus loin dans la construction européenne et remédier à ce qu’Emmanuel Macron appelle « l’incomplétude de l’Europe » ? Comment « remettre l’ouvrage sur le métier » en s’y prenant, selon Sylvie Goulard, « d’une manière sérieuse et plus entraînante à la fois » ? C’est toute la difficulté d’une éventuelle refondation qui rende à l’Union l’ambition dont elle manque aujourd’hui et qui permette, selon la formule d’Emmanuel Macron, de « délivrer l’Europe de ce qu’elle est devenue ».

Une véritable convergence à quelques-uns

Pour les refondateurs, l’entreprise comporte deux volets. Le premier concerne la seule zone euro, le second l’Union européenne tout entière. Entre les Etats qui ont choisi d’adopter la monnaie unique pour approfondir l’union économique et ceux qui ont décidé de rester en dehors de l’euro, il n’y a pas de perspective commune. Mais il est important que la coexistence soit organisée entre les deux groupes de pays. Le projet européen tel que l’imaginent les partisans d’une relance sera donc double.

Cette dualité est bien exprimée par Emmanuel Macron. « Nous devons retrouver une ambition pour l’UE tout entière sur les sujets de défense et de sécurité, de transition énergétique et de numérique, explique-t-il, car l’Europe est le meilleur moyen de répondre à ces grands défis ». Ce volet doit réunir les vingt-huit Etats membres et, éventuellement, ceux qui seraient appelés à les rejoindre dans les prochaines années. « Et puis, ajoute le ministre de l’économie, il faut avoir un projet de plus forte intégration qui permet une véritable convergence à quelques-uns au sein de la zone euro ». Pour lui, le socle de cette union renforcée doit être Paris et Berlin, ainsi que Rome, et ses instruments « un budget de la zone euro, un commissaire et un Parlement de la zone euro ».

Cette vision est partagée par la plupart des refondateurs. Alain Juppé propose ainsi, au sein de la zone euro, une harmonisation fiscale et une mise en cohérence des systèmes de protection sociale. Pour Hubert Védrine, « une harmonisation budgétaire mais aussi fiscale est évidemment souhaitable ». L’ancien ministre juge nécessaire « un compromis politique au plus haut niveau » entre l’Allemagne et la France sur un pilotage monétaire et économique, « rigoureux mais pragmatique », de l’euro qui passerait par un « deal » franco-allemand dont les termes seraient « vraies réformes structurelles en France/élargissement de la mission de la Banque centrale ».

Une nouvelle hiérarchie des priorités

Jean-Christophe Cambadélis et les autres dirigeants socialistes avancent des propositions voisines en proposant un « décalogue de priorités » dont l’une est ainsi présentée : « Nous voulons doter la zone euro des moyens d’intervention et d’un budget digne d’un espace de cette importance. Un gouvernement de la zone euro devra impulser la politique économique européenne, gérer le budget et ainsi assurer un contrepoids politique et démocratique aux décisions de la BCE. Il devra être démocratiquement contrôlé par un parlement de la zone euro ». Une « convergence sociale » doit être aussi mise à l’ordre du jour.

Au niveau de l’Union tout entière, « on peut penser, explique Hubert Védrine, qu’une nouvelle hiérarchie des priorités s’imposerait autour de la sécurité des Européens et de la défense des modes de vie européens dans le monde de demain ». Les questions de défense et d’immigration devraient être au centre d’une relance européenne. « Mutualisons les moyens de défense », propose Alain Juppé, qui appelle aussi à un « nouveau Schengen ». Hubert Védrine parle aussi d’un « nouveau Schengen ». Il recommande une harmonisation des politiques d’asile, ainsi qu’une cogestion des flux migratoires avec les pays de départ et de transit. Il suggère aussi la création d’un pilier européen de l’Alliance atlantique, à condition qu’un nombre suffisant de pays se dote d’un budget de défense au moins équivalent à 2% de leur PIB.

Ces propositions ne sont pas vraiment nouvelles mais si les gouvernements s’en emparaient, elles pourraient nourrir, selon Hubert Védrine, un « grand objectif politique » susceptible de « réconcilier en Europe les élites et la population ». La double perspective de l’élection présidentielle en France et des élections législatives en Allemagne au cours de l’année 2017 ne facilite pas les audaces européennes ni à Paris ni à Berlin, alors même que beaucoup dépend du couple franco-allemand. Pourtant, plus les gouvernements tarderont à réagir, plus la désagrégation de l’Union européenne deviendra difficile à enrayer.