Régression démocratique en Amérique du Sud

Le continent latino-américain a été, en 2016, le lieu de vifs conflits politiques qui ont mis en évidence la fragilité des régimes et se sont traduits, aux yeux de nombreux observateurs, par une « régression démocratique ». L’accord conclu en Colombie entre les FARC et le gouvernement, la destitution de la présidente de la République, Dilma Rousseff, au Brésil, l’aggravation de la crise au Venezuela, la réélection de Daniel Ortega à la tête de l’Etat au Nicaragua ont été les événements marquants de l’année écoulée dans la région. L’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) de Sciences Po a analysé, comme chaque année, les évolutions politiques du continent, qu’il juge « préoccupantes ».

Travailleurs de tous les pays...

L’Amérique latine a connu, au cours de l’année 2016, plusieurs soubresauts politiques qui conduisent les experts à s’interroger sur l’avenir du continent et à s’inquiéter de certaines dérives jugées préoccupantes. Président de l’Observatoire politique de l’Amérique et des Caraïbes, qui présentait le 26 janvier au CERI, le Centre de recherches internationales de Sciences Po, son rapport annuel, Olivier Dabène a parlé d’une démocratie « sur le fil du rasoir ». Face à un contexte économique difficile, marqué par le ralentissement de la croissance, par des poussées inflationnistes et par des recettes fiscales en baisse, l’Amérique latine, affirme Olivier Dabène, « semble rattrapée par ses vieux démons », ceux qui l’enfoncent dans une situation « chaotique » et l’emportent dans une « régression démocratique » dont la communauté internationale, indifférente ou impuissante, ne paraît pas se soucier.

Certes le continent n’a pas été le théâtre de coups d’Etat violents, comme il a pu l’être dans le passé, mais il a été le lieu d’événements graves, qui méritent attention. Retenons-en quatre. L’un est positif : c’est l’accord de paix conclu en Colombie entre le gouvernement et les FARC, désavoué le 2 octobre, dans un premier temps, par un référendum populaire puis renégocié et approuvé, dans un second temps, par le Congrès le 30 novembre. Les trois autres événements sont négatifs. Au Brésil, la présidente en exercice, Dilma Rousseff, a été destituée dans des conditions qui apparaissent à beaucoup d’observateurs comme une atteinte à la démocratie. Au Venezuela, le président Maduro a multiplié les manœuvres pour museler l’opposition alors que, selon Olivier Dabène, « le camp chaviste est aux abois » et bafoue les pouvoirs du Parlement. Au Nicaragua, la réélection contestée de Daniel Ortega, le 6 novembre, à la présidence donne l’image, selon Maya Collombon (Sciences Po Lyon) d’un pays « entre dérives autoritaires, népotisme et magie électorale ».

Colombie : simplifications et mensonges

Parmi les événements importants de l’année 2016, l’accord entre les FARC et le gouvernement colombien est sans doute le plus encourageant. Il met fin à une guerre civile de plus de cinquante ans, dont le lourd bilan serait, dit-on, de 250.000 morts et 45.000 disparus. Le retour de la paix en Colombie est à saluer comme un succès qui contraste, comme le dit Olivier Dabène, avec « l’accumulation de nuages sombres au-dessus de la région ». Toutefois la conclusion de l’accord ne dissipe pas toutes les incertitudes. La très faible participation au référendum (37,4%) sur un sujet aussi grave, note le président de l’OPALC, « ne témoigne pas de la bonne santé de la démocratie ». En outre, le choix du président Santos de refuser le verdict du référendum pour s’en remettre au congrès après renégociation a mécontenté l’opposition, qui dénonce un déni de la volonté populaire. La campagne, souligne Frédéric Massé (Université Externado de Colombie), « a été très polarisée et a donné lieu à toutes sortes de simplifications, exagérations et autres mensonges ». L’avenir reste incertain. Selon le chercheur, « si les accords de paix ne sont pas mis en œuvre rapidement, la Colombie pourrait se retrouver aux prises avec ses vieux démons et vivre une période compliquée ».

Brésil : le poids de la corruption

Le Brésil, selon Frédéric Louault (Université libre de Bruxelles), apparaît comme une « démocratie corrompue ». Tous les partis sont compromis dans un vaste scandale de trafic d’influence et de détournement de fonds qui met en péril le fonctionnement démocratique du pays. « D’une crise économique et politique le Brésil plonge vers une crise de régime », estime le chercheur. Les responsables de la destitution de Dilma Rousseff ont encore accru l’instabilité en détournant la procédure d’impeachment, d’après Frédéric Louault, pour la mettre au service de leurs desseins partisans. Même s’il paraît excessif de parler, comme le fait Dilma Rousseff, d’un coup d’Etat institutionnel, le procès de la présidente a été un prétexte pour l’écarter du pouvoir. La qualification de « crime de responsabilité » appliquée au maquillage des comptes publics qui lui était reproché paraît pour le moins abusive. « En se débarrassant de la présidente, affirme Olivier Dabène, les nombreux dirigeants politiques inculpés et soupçonnés comptaient bien échapper à la justice ». L’outil de la destitution a été utilisée, selon Frédéric Louault, comme « une arme de destruction politique ». L’opération aura surtout pour effets, explique-t-il, « de renforcer la polarisation politique et de fragiliser les institutions démocratiques ».

Venezuela : un autoritarisme renforcé

Au Venezuela, le président Maduro, successeur de Chavez, ne se maintient au pouvoir que par le renforcement de son autoritarisme et la répression de ses opposants. « Après avoir perdu les élections législatives en décembre 2015, rappelle Olivier Dabène, le régime s’est employé à marginaliser l’Assemblée nationale », dont tous les votes ont été déclarés « nuls et anticonstitutionnels ». Il n’hésite pas à incarcérer ceux qui le contestent. Le faux dialogue qu’il a offert à ses adversaires n’a servi qu’à prolonger son mandat. « Cette obstination à s’accrocher aux rênes du pouvoir est périlleuse pour le Venezuela », note Eduardo Rios (Université d’Oxford).

Nicaragua : qu’est devenu le sandinisme ?

Au Nicaragua, l’ancien dirigeant révolutionnaire Daniel Ortega est devenu un despote qui manipule à sa guise le processus électoral. Son principal opposant est empêché par la Cour suprême de participer au scrutin, dénoncé en vain par l’opposition comme une farce électorale. « Le Nicaragua, souligne Olivier Dabène, incarne un autoritarisme électoral abondamment écrit dans la littérature de science politique ». C’est par des « manœuvres grossières », explique-t-il, que Daniel Ortega, « sous couvert de légalité », conserve son mandat présidentiel. Qu’est-il advenu de l’expérience sandiniste qui avait enthousiasmé naguère la gauche européenne et latino-américaine ? « Il ne s’agit plus tellement aujourd’hui de parler de sandinisme mais bien d’« orteguisme », répond Maya Collombon, tant il semble que le clan familial réuni autour de Daniel Ortega et de sa femme Rosario Murillo concentre l’ensemble des pouvoirs de l’Etat ».
Cette « déliquescence de l’Etat de droit » que constate Maya Collombon au Nicaragua pourrait bien caractériser un grand nombre de régimes d’Amérique latine au commencement de l’année 2017. De ce recul de la démocratie témoigne aussi, dans la plupart des pays, une baisse de la participation électorale. Le mécontentement social et la mauvaise image du personnel politique expliquent en grande partie cette désaffection.
Le rapport de l’OPALC peut être téléchargé sur le site de Sciences Po à l’adresse suivante : www.sciencespo.fr/ceri/fr/papier/etude