SÉISME AU « KIRCHNERAT »

La mort de l’avocat général Alberto Nisman qui enquêtait sur l’attentat qui, en 1994, a coûté la mort à 85 personnes dans le centre culturel juif de Buenos Aires a aggravé la crise qui marque la fin de règne de la présidente argentine Cristina Kirchner. Le "Kirchnerat" dure depuis 2003, avec les mandats successifs de Nestor Kirchner, puis de sa femme Cristina Fernandez, qui ne peut pas se présenter une troisième fois. La stratégie consistant à assurer la pérennité du péronisme est en danger. (Traduit de l’espagnol par Fernando de Azaola)

Mur des "desaparecidos" à Buenos Aires
Jean-François Robert

Le « Kirchnerat » connaît un tremblement de terre. Le long mandat des époux Kirchner débuta le 25 mai 2003 avec la prise de fonctions comme président l’Argentine de Néstor, fondateur de la formule, et s’achèvera, ou connaîtra une pause, lorsque sa veuve, Cristina Fernández, quittera la Casa Rosada (siège de la présidence).
Jusqu’à il y a peu, la stratégie de la Présidente pour organiser la fin de règne de telle sorte que son successeur soit aussi un péroniste, même si le candidat n’était pas forcément son préféré, semblait fonctionner et maintenait la possibilité, par un retour en 2019, d’un deuxième épisode de la dynastie,Kirchner, la Constitution ne permettant pas trois mandats consécutifs.
La catastrophe a pour nom Alberto Nisman, avocat général, dont le cadavre a été trouvé à son domicile avec une balle dans la tête le 18 janvier. le lendemain, Alberto Nisman, devait comparaitre devant le Congrès pour étayer sa plainte contre Cristina Fernández pour dissimulation dans l’attentat subi par l’association israélite AMIA, un attentat qui en 1994 avait fait 85 victimes.
Après deux ans d’investigation et un dossier de 290 pages, Nisman avait conclu à l’existence d’un « accord d’impunité » avec l’Iran, dont les agents étaient accusés du massacre, garantissant à Buenos Aires la fourniture de pétrole et, de surcroît, la vente de ses céréales à Téhéran.
La présidente se sent ces jours-ci visiblement effondrée. Elle s’est d’abord refusée à admettre que l’avocat général eût pu se suicider et voyait dans le crime une manœuvre visant sa propre personne, tandis que le gouvernement se raccrochait à la thèse d’une mort auto-infligée comme à une dernière planche de salut.
Dans la tête de la veuve Kirchner pouvaient défiler les souvenirs de la calamiteuse fin de mandat du radical Raul Alfonsín en 1989 ou ceux de son successeur Fernando de la Rúa, qui n’arriva pas à finir le sien, en 2001. Et du péronisme même reviennent des souvenirs funestes tels que celui du général Perón limogé par les militaires en 1955, celui de sa veuve Isabelita pareillement défenestrée en 1976 ou bien la sortie de scène de Carlos Menem, péroniste néolibéral, en 2003, qui laissa la place, malgré tout, au triomphe de Nestor Kirchner, à nouveau un péroniste social justicialiste.
La panique ne saurait se prolonger au-delà des primaires du mois d’août, obligatoires pour tous les partis. Aux élections du 25 octobre seront en jeu la présidence, les députés et des mandats provinciaux. Et plus la crise sera longue, plus grands seront les dégâts causés à l’oficialismo (parti au pouvoir). Ainsi, il semblerait que Cristina Fernández devra faire contre mauvaise fortune bon cœur en soutenant Daniel Scioli, gouverneur de la province de Buenos Aires, qu’elle n’aime pas et qui le lui rend bien, pour empêcher que Sergio Massa, transfuge du péronisme, l’emporte, éventualité peut-être encore plus grave qu’une victoire de l’opposition.

Le péronisme, un passage obligé

L’addition des voix aboutira vraisemblablement à une majorité des péronismes, confusément entremêlés, et si l’on ajoute celles de ceux qui en ont fait partie un jour ou l’autre, l’avance serait alors écrasante, car, selon le perceptible ADN national, un passage par le mouvement dont Juan Domingo Perón fut le fondateur semble presque un passage obligé.
Mais la pire des choses serait, sans doute, qu’on ne sache jamais ce qui est arrivé dans l’appartement d’Alberto Nisman. Suicide ? Assassinat perpétré par des agents iraniens ? Exécuté par ceux qui voulaient éviter un problème à la dernière représentante du « Kirchnerat » ?
Dans toutes les cas, une amère fin de règne.