Ukraine : une déstabilisation préparée de longue date

La manifestation marquant le premier anniversaire du soulèvement de Maïdan a été endeuillée, le dimanche 22 février, par un attentat, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine. Une bombe jetée d’une voiture sur la foule a fait deux morts et plusieurs blessés. Une semaine après l’entrée en vigueur officiel du cessez-le-feu un premier échange de prisonniers a eu lieu entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses. Le retrait des armes lourdes aurait commencé conformément aux accords de Minsk. Cependant Kiev fait état de concentration de troupes près du port de Marioupol, le dernier verrou qui ouvrirait à la Russie un corridor vers la Crimée.
Pendant ce temps à Moscou, le quotidien Novaïa Gazeta devrait publier, mercredi, un rapport remis au Kremlin début février 2014, soit avant la chute de l’ex-président Ianoukovitch, qui présentait les étapes de la « conquête » de l’Ukraine. Le Spiegel online en a publié des extraits dont sont tirées les citations ci-dessous.

Le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta, Dimitri Mouratov, a annoncé à la radio Echo Moskvi, qui appartient au même groupe de presse, que son journal publierait, le mercredi 25 février, un document venu du Kremlin, qui montre que l’escalade en Ukraine était planifiée de longue date, avant même la fuite de l’ex-président Viktor Ianoukovitch. « On doit s’appuyer sur les forces centrifuges existant dans diverses régions du pays dans le but de mettre en œuvre un processus de rattachement des régions orientales à la Russie », lit-on dans ce document. L’effort doit porter « sur la Crimée et la région de Kharkiv ». Selon Dimitri Mouratov, qui dirige un des derniers journaux critiques envers le pouvoir, l’authenticité de ce dicument ne fait aucun doute.
En soi, il n’est pas très étonnant que les dirigeants russes aient préparé des plans dans l’hypothèse d’une chute de Ianoukovitch. D’une part Vladimir Poutine ne le tenait pas en grande estime – le rapport parle d’un homme « sans grande morale et sans volonté » – ; d’autre part, les manifestations qui se produisaient depuis la fin de novembre 2013 laissaient présager des changements politiques. Il faut aussi rappeler que dès les années 1990, Vladimir Poutine, alors simple adjoint au maire de Saint-Pétersbourg, faisait du retour de la Crimée dans la Russie une cause nationale.

Trois étapes

L’objectif, dit le document, est d’abord une « fédéralisation » de l’Ukraine, puis une adhésion des régions du sud et de l’est dans l’Union douanière dirigée par Moscou et enfin une « souveraineté directe suivie d’une intégration dans la Russie ». Il est aussi question d’une campagne de relations publiques destinée à justifier l’intervention russe dans le pays voisin. Thème dominant : l’annexion de la Crimée est un geste préventif d’urgence pour lui permettre d’échapper aux forces nationalistes ukrainiennes qui menacent aussi les populations russophones de l’est.

Un oligarque proche des séparatistes

Novaïa Gazeta a une théorie sur l’origine du document. Il aurait été rédigé par plusieurs personnes, parmi lesquelles l’oligarque Konstantin Malofeïev, actif en Crimée, qui aurait versé un million de dollar au maire autoproclamé de Sébastopol. Agé de 39 ans, Malofeïev se définit comme un « monarchiste orthodoxe » qui rêve de restaurer l’empire tsariste. Il dirige un fond d’investissement, Marshall-Capital, et a eu récemment des ennuis avec la justice. En rédigeant ce document, il aurait cherché à se faire bien voir des autorités. Des intermédiaires auraient donné son « papier stratégique » à Vladimir Poutine qui l’aurait apprécié. Malofeïev a des liens avec les chefs séparatistes et leurs sponsors russes.