Un président en détresse

Le président de la République fédérale allemande, Christian Wulff, est impliqué dans un scandale financier lié à un crédit qu’il aurait reçu d’un ami entrepreneur. Il a aggravé sa situation en essayant de faire pression sur des journaux pour qu’ils ne publient pas l’information.  

L’Allemagne n’a pas de chance avec ses présidents. Le précédent, Horst Köhler, un expert économique un peu terne, avait pourtant une réputation sans tache. Il avait accompli de 2004 à 2009 un premier mandat sans histoires. A peine réélu, le voilà qui se lance dans des déclarations, apparemment anodines, mais qui ont provoqué un tollé en Allemagne. Parlant de l’engagement de l’Allemagne en Afghanistan aux côtés de ses alliés, Horst Köhler avait averti ses compatriotes que la Bundeswehr devrait de plus en plus défendre les intérêts économiques allemands de par le monde. Cette prise de position n’avait rien de scandaleux en elle-même, ou d’anticonstitutionnel. Toutefois elle allait à l’encontre d’une idée reçue voulant que les soldats allemands ne doivent se battre que pour la défense du territoire ou pour de grands principes soutenus par la communauté internationale. Horst Köhler n’a pas supporté la pluie de critiques qui s’est abattue sur lui et en 2010, après à peine un an accompli dans son second mandat, il a démissionné.

 

Un choix partisan

Ce serait un mauvais coup si son successeur devait en faire de même, surtout dans des conditions beaucoup moins honorables. Ancien président de Basse-Saxe, chrétien-démocrate comme Horst Köhler, Christian Wulff a été élu en 2010 par l’Assemblée fédérale, réunion des députés du Bundestag et de représentants des parlements régionaux. Mais il a été mal élu. Malgré la majorité dont disposaient théoriquement la démocratie chrétienne et ses alliés libéraux, il lui a fallu trois tours de scrutin pour s’imposer. Au premier tour, il lui a manqué 44 voix de son propre camp. Le coup de semonce s’adressait moins à Christian Wulff lui-même, un homme politique bien avec tout le monde et apparemment au-dessus de tout soupçon, mais à Angela Merkel. La chancelière avait fait le forcing pour imposer son candidat, alors que son concurrent, soutenu par les sociaux-démocrates et les Verts, Joachim Gauck, était beaucoup plus populaire. Ancien pasteur venu d’Allemagne de l’Est, militant pour les droits de l’homme et premier directeur de l’office de gestion des archives de la Stasi, la police secrète est-allemande, après la réunification, Joachim Gauck se présentait comme un candidat non-partisan, capable de restaurer le statut moral d’un poste essentiellement honorifique selon la Constitution allemande.

Angela Merkel a préféré un homme de son parti. C’était un moyen d’écarter un rival potentiel au sein de la CDU et de se prémunir contre toute mauvaise surprise pour les prochaines élections législatives de 2013. Le chef de l’Etat a peu de pouvoirs politiques mais le seul rôle qu’il puisse jouer est le choix du chef du gouvernement proposé aux suffrages des députés au cas où le résultat des élections ne serait pas net en faveur de l’un ou l’autre camp, et où plusieurs coalitions seraient arithmétiquement possibles.

 

Le gendre idéal

Christian Wulff paraissait le bon choix. Il a le profil du gendre idéal, un peu lisse, un peu ennuyeux mais taillé pour les visites d’Etat et les discours solennels. En un peu plus d’un an, sa seule audace aura été d’affirmer publiquement que l’islam était aujourd’hui partie de la société allemande. Ses amis politiques qui défendent traditionnellement la culture chrétienne de l’Allemagne n’ont pas apprécié.

Cette petite incartade aurait été vite oubliée si le président n’était rattrapé par les affaires. En tous cas par une affaire. En 2008 Christian Wulff, alors ministre-président de Basse Saxe, a reçu de la femme d’un entrepreneur, Egon Geerkens, un crédit de 500 000 €, à un taux d’intérêt au-dessous du marché. Avec cet argent, il s’est acheté une maison. Interrogé au parlement régional de Hanovre sur ses liens avec Egon Geerkens, Christian Wullf a affirmé qu’il n’avait jamais été en affaires avec l’entrepreneur, sans dire un mot du crédit accordé officiellement par la femme de ce dernier.

A la mi-décembre, le quotidien Bild Zeitung, journal à sensation tiré à près de 4 millions d’exemplaires, a raconté l’histoire et accusé Christian Wulff d’avoir menti, au moins par omission, aux élus du peuple. Après quelques hésitations, le président a reconnu qu’il avait fait preuve de légèreté.

 

Pressions sur la presse

L’affaire en serait sans doute restée là si deux autres journaux allemands n’avaient dévoilé quelques jours plus tard que Christian Wulff avait une conception particulière des rapports entre les hommes politiques et la presse. Apprenant que la Bild s’apprêtait à sortir l’histoire du crédit alors qu’il était en voyage officiel au Moyen-Orient, le président a pris personnellement son téléphone et a laissé un message menaçant sur le répondeur du rédacteur en chef du journal. Le texte exact de ce message n’a pas été rendu public mais selon plusieurs médias allemands, Christian Wulff aurait parlé de « rupture de tous les liens » voire de « guerre » avec la Bild qui l’avait jusqu’alors soutenu. Le groupe Springer, qui publie le quotidien, a confirmé d’autre part que le président avait aussi demandé – en vain – au directeur général d’intervenir auprès de ses rédactions pour que l’article prévu soit purement et simplement mis au panier.

Dans d’autres pays européens, ce genre de démarche ne retiendrait peut-être pas l’attention. En Allemagne, où la Constitution est prise au sérieux, cela devient une affaire politique, d’autant plus embêtante pour le responsable que le président de la République est le garant du respect de la Loi fondamentale et que celle-ci garantit la liberté de la presse.

Le scandale éclate pendant la trêve des confiseurs. Il est cependant peu probable qu’il soit oublié quand l’activité politique reprendra. La chance de Christian Wulff, c’est que l’Allemagne ne peut guère se permettre d’avoir coup sur coup deux présidents démissionnaires. Angela Merkel le soutient encore mais pour combien de temps s’il apparaît que, pour se sortir d’un mauvais pas, le chef de l’Etat s’est livré à des manœuvres qui aggravent son cas ?