Une grande puissance n’a pas besoin de s’entendre dire tous les jours qu’elle en est une

Vladimir Poutine rêvait de redonner à la Russie le statut de grande puissance qu’avait l’URSS pendant la guerre froide. Il a tout au plus réussi à rétablir son pouvoir de nuisance, estime Pierre Hassner, chercheur associé au CERI.

- Boulevard-Exterieur : Poutine voulait rétablir la Russie comme une grande puissance. A-t-il réussi ?
- Pierre Hassner : La Russie est un pays qui compte mais plus par son pouvoir de nuisance que par sa puissance intrinsèque. Elle veut démontrer que rien ne peut se faire sans elle et a fortiori contre elle. Elle est prête à coopérer dans certains domaines mais à condition qu’on la laisse tranquille dans sa propre sphère, ou ce qu’elle considère comme telle. Une grande puissance, c’est une puissance qui n’a pas besoin qu’on lui dise tous les jours qu’elle est une grande puissance. Or on a l’impression que la Russie de Poutine a toujours besoin de cette réassurance.

- La campagne électorale est l’occasion d’une surenchère nationaliste
- C’est classique. C’est le syndrome de la forteresse assiégée. Le réflexe dès que ça va mal – et le pouvoir de Poutine est contesté d’une manière quelque peu inattendue par ceux-là même qui ont profité de sa politique au cours des dernières années —, le réflexe c’est de faire appel aux sentiments patriotiques et de laisser croire que la patrie est en danger. Mais que nous sommes les plus forts. C’est ce qu’a dit Poutine dans un meeting électoral. Nous sommes un pays de gagneurs, c’est dans nos gênes.

- C’est largement symbolique
- Oui. La Russie n’est plus une puissance globale. Avec la Chine, par exemple, le rapport s’est inversé. Dans un essai pour le Center for European Reform de Londres, le directeur de l’Instut Carnegie de Moscou, Dmitri Trenine, le dit très bien : « Aussi longtemps que les élites dirigeantes resteront plus préoccupées par le pouvoir et l’argent que par la politique, l’inexorable déclin de la Russie se poursuivra par rapport à la Chine et aux Etats-Unis ». Mais la Russie conserve tout de même deux grands atouts : le pétrole et les armes nucléaires.

- Poutine a annoncé un programme d’augmentation colossale du budget militaire. Pourquoi ?
- C’est beaucoup de gesticulation. Il pense que c’est par l’industrie militaire que passera la modernisation de l’économie russe. Mais même si c’est symbolique, ça montre les limites du « reset » des relations avec les Etats-Unis.

- Le pouvoir de nuisance se manifeste à propos de l’Iran et de la Syrie, notamment
- Sur l’Iran, la position de la Russie est ambigüe parce qu’elle a des intérêts contradictoires. Pour la Syrie, c’est clair. Elle soutient le régime de Bachar el-Assad. On voit bien que la communauté internationale, ça n’existe pas. On est paralysé par le veto russe. Est-ce la reconnaissance de la puissance de Moscou ou l’éternelle histoire de l’ONU ?

- La rente pétrolière a favorisé cette classe moyenne qui se rebelle aujourd’hui contre le pouvoir
- C’est la jeunesse diplômée, la classe moyenne mais pas la Russie profonde, celle qui n’a pas le même accès à Internet et qui n’a comme source d’informations que la télévision publique aux ordres du pouvoir.

- Certains observateurs disent : Poutine sera réélu mais il ne finira pas son mandat. Qu’en pensez-vous ?
- Si ça tourne mal, je ne le vois pas céder facilement. Les manifestations peuvent continuer mais je le vois plus pencher vers la répression que vers la libéralisation.

 

Propos recueillis par Boulevard-Extérieur