Comment mesurer la puissance des Etats ?

Les indicateurs actuels, le plus souvent fondés sur l’économie, sont insuffisants pour prendre la pleine mesure de la puissance des États. Il convient donc de réfléchir à un nouvel indicateur, qui prenne en compte plusieurs facteurs, incluant certes le PIB et l’Indice de développement humain (IDH) mais aussi le réseau diplomatique, le classement PISA, la production cinématographique, le nombre de médailles gagnées aux Jeux olympiques ou l’indice de démocratie. Selon ce nouveau mode de classement, les Etats-Unis restent en tête mais la Chine, la Russie, le Brésil reculent tandis que des pays comme l’Australie ou le Canada gagnent des places.

Navire de la gendarmerie maritime dans le lagon de Mayotte
Damien Gautreau

INTRODUCTION

Le concert des nations, cher à Metternich, est plus que jamais d’actualité. Les États sont en concurrence et tous revendiquent un leadership régional, continental ou encore mondial. On parle de puissance de ces États et pour ce faire on utilise le plus souvent un indicateur économique, le Produit Intérieur Brut (PIB). Le problème est que cet indicateur n’est qu’économique et ne résume donc pas à lui seul la puissance d’un État. De plus, il dépend de la superficie et de la population du pays en question. Il n’est pas sérieux de comparer ainsi la Chine avec ses 9 596 961 km² et ses 1 401 501 343 milliards d’habitants et un pays comme le Qatar, seulement 11 651 km² pour 2 743 932 habitants. Il convient donc d’utiliser un autre indicateur mais ni le PIB/habitant ni même l’Indice de développement Humain (IDH) ne permettent de prendre la mesure véritable de la puissance d’un État. Si on prend le cas de la France, son rang mondial dépend énormément de l’indicateur sélectionné. Celle-ci détient en 2019 le 7ème PIB mondial mais ne se classe que 21 ème pour le PIB/habitant et pour l’IDH. La France est-elle pour autant la 21ème puissance alors qu’elle détient le troisième réseau diplomatique au monde et la deuxième plus grande Zone Économique Exclusive (ZEE) de la planète ? De plus, comment prendre en compte le soft power, si important pour les Etats-Unis mais aussi pour la Chine, l’Inde ou encore la France ? Le constat est donc le suivant : aujourd’hui, aucun indicateur fiable ne permet de mesurer la puissance réelle des États.

HYPOTHÈSE

Il convient donc de réfléchir à un nouvel indicateur qui permettrait de mesurer de façon plus juste la puissance d’un État. Cet indicateur doit prendre en compte plusieurs facteurs, la puissance économique, militaire, diplomatique, culturelle ou encore en matière d’éducation. C’est en ayant une vue d’ensemble que l’on peut avoir une idée plus juste de la puissance réelle d’un État. Ainsi, ces Indicateurs Cumulés de Puissance (ICP) doivent prendre en compte le PIB, le RNB, le PIB/habitant, l’IDH, le réseau diplomatique, les dépenses militaires, l’étendue de la ZEE, le classement PISA, la production cinématographique et le nombre de médailles aux derniers Jeux olympiques. Soit au total dix indicateurs différents qui permettent de mieux appréhender la puissance réelle. La dimension du “soft power” est ainsi pleinement prise en compte, dans ces différents aspects.
On peut aussi compléter cette liste, non exhaustive, des indicateurs de puissance et ajouter par exemple le nombre de grands événements organisés ou encore l’indice de démocratie. On obtient ainsi un ensemble de 12 indicateurs combinés et représentatifs de la puissance réelle : ICP 12. Ainsi, l’ensemble des domaines de la puissance étatique sont représentés.

PROCÉDURE

Pour l’ICP, nous attribuons ici 50 points au pays qui se classe premier dans une des catégories sélectionnées. Puis 49 points au second et ainsi de suite. Certains pays peuvent être ex-aequo et ont donc le même nombre de points dans la même catégorie. Certains points ne sont pas attribués dans le tableau car ils reviennent à un État ne figurant pas dans le classement, comme la Moldavie par exemple.
Pour l’ICP 12, nous n’avons repris que les 20 États les mieux classés du tableau précédent. Dans la catégorie “grands événements”, nous avons comptabilisé pour la période 2000-2020 [1], l’organisation de la coupe du monde [2]de football, de la coupe d’Europe de football, des Jeux olympiques d’été et d’hiver, des coupes du monde de rugby, de handball, de basketball, de cricket, de tennis de table, des championnats du monde d’athlétisme, de cyclisme sur route, de judo, de karaté, de natation, de gymnastique et de hockey sur glace ainsi que les finales de l’Eurovision. Mais aussi l’organisation des expositions universelles, des sommets du G20, des sommets de la Terre, de l’OTAN et des COP. Pour la catégorie “indice de démocratie” nous avons repris la même procédure que pour le tableau ICP.

RÉSULTATS

Le tableau ICP prend donc en compte les 10 indicateurs cités préalablement. A sa lecture, on constate un certain nombre de changements par rapport aux conceptions habituelles. Si les États-Unis constituent toujours la première puissance mondiale, on trouve à la seconde place, non pas la Chine mais le Royaume-Uni. On s’aperçoit aussi de l’importance de pays comme la Canada ou l’Australie dont on a l’habitude de minimiser la puissance. L’utilisation des ICP sanctionnent donc les puissances incomplètes comme la Chine, la Russie ou encore le Brésil. Elle valorise en revanche des pays développés, Canada, Australie et États européens, notamment scandinaves. On peut noter la place du Danemark, 15 ème au classement ICP et 12 ème au classement ICP 12. Cette performance est la conséquence du haut niveau de développement humain du pays, 3 ème pour le salaire moyen et très bien classé pour le PIB/habitant, l’IDH ou encore l’éducation.
Le tableau ICP 12 confirme le classement préalable avec quelques rares changements. La Chine recule encore au classement, comme la Russie, à cause de l’indice de démocratie. En revanche, l’Allemagne se hisse à la 4 ème place, devant la France et le Canada. C’est le pays qui a organisé le plus de grands événements ces vingt dernières années. Notons aussi les performances de la Suisse, du Danemark, ou encore des Pays-Bas et de la Belgique qui gagnent des places avec l’ajout de ces deux indicateurs. Le tableau ICP 12 confirme donc que la Chine, comme la Russie et le Brésil, sont des puissances incomplètes. Le PIB ou les dépenses militaires ne suffisent pas à faire d’une nation une grande puissance.

CONCLUSION

Ces deux classements, bien qu’incomplets (on peut imaginer un ICP 15), offrent une vue plus juste de la puissance réelle des États. Ils viennent confirmer la domination des États-Unis, première puissance mondiale. Les États-Unis, bien qu’affichant des résultats moyens dans des catégories comme l’IDH, le classement PISA ou l’indice de démocratie, se trouvent néanmoins dans les 30 premiers pour chacun des indicateurs, ce dont très peu de pays peuvent se vanter. Il s’agit donc bien d’une puissance complète, tout comme le Royaume-Uni ou le Japon. Les États européens, ainsi que le Canada et l’Australie s’illustrent grâce à la combinaison de ces différents indicateurs.
On remarque aussi les limites des BRICS. Bien qu’affichant d’excellents résultats dans certains domaines, comme le PIB, ces États souffrent d’une irrégularité flagrante et sont très mal classés quand on prend des indicateurs comme l’IDH ou l’indice de démocratie par exemple. Les inégalités sont trop importantes dans les BRICS, tout comme en Turquie ou encore en Arabie Saoudite, pour assurer à ces pays un statut de grande puissance. Pour rivaliser avec les puissances européennes, le Japon, le Canada, l’Australie et bien sûr les États-Unis, les BRICS doivent donc se concentrer sur le bien-être de leur population et combler, ou au moins réduire, les inégalités. Tant que ce n’est pas le cas, ils resteront des puissances incomplètes, ou secondaires.

RÉFÉRENCES
1. Pour le PIB, source : Fond Monétaire International, 2018
2. Pour le PIB/habitant, source : Fond Monétaire International, 2017
3. Pour le salaire moyen, source : Journal Du Net, 2016
4. Pour l’IDH, source : PNUD, 2017
5. Pour le réseau diplomatique, source : Lowy Institute, 2017
6. Pour les dépenses militaires, source : Banque Mondiale, 2018
7. Pour les ZEE, source : Géoconfluences, 2017
8. Pour le classement PISA, source : OCDE, 2019
9. Pour la production cinématographique, source : UNESCO, 2016
10. Pour le nombre de médailles aux Jeux Olympiques, source : CIO, 2016
11. Pour les grands événements, sources : diverses
12. Pour l’indice de démocratie, source : Democracy Index, 2018

[12000-2020 inclus, y compris les événements reportés à cause de la pandémie de Covid-19.

[2Quand elles ne sont pas mixtes, il s’agit des compétitions masculines