De l’ex-Yougoslavie à la Catalogne : questions sur le droit à l’indépendance

L’Union européenne, comme le reste de la communauté internationale, a refusé de reconnaître l’indépendance de la Catalogne. Pourtant, il a vingt-cinq ans, elle avait accepté de reconnaître celle des Etats issus de l’ex-Yougoslavie, à commencer par la Slovénie et la Croatie. Pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi le droit à l’autodétermination a-t-il prévalu naguère sur le respect de l’intégrité territoriale de la Fédération yougoslave et pourquoi aujourd’hui la priorité est-elle donnée à l’unité de l’Espagne ? Comment trancher, au cas par cas, entre ces deux principes ?

A l’entrée d’une piste dans le désert du Colorado
Jacob Montgomery/panoramio.com

Les péripéties de la crise catalane ont confirmé, pour ceux qui en doutaient, qu’au regard du droit international le droit à l’autodétermination ne signifie pas nécessairement le droit à l’indépendance. La communauté internationale a tiré les conséquences de ce principe : aucun Etat n’a apporté son appui à la Catalogne et ceux qui se sont exprimés, notamment en Europe, ont soutenu l’action du gouvernement espagnol. Les mêmes qui ont reconnu, il y a vingt-cinq ans, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’indépendance des Etats issus de l’ex-Yougoslavie, ont refusé, en 2017, d’appliquer ce même critère à la Catalogne. Deux poids deux mesures ? Dans un cas, ils ont fait prévaloir le droit à l’autodétermination des nouveaux Etats sur le respect de l’intégrité territoriale de la Fédération yougoslave. Dans l’autre, ils ont dénié ce même droit à la Catalogne et choisi de préserver l’unité de l’Espagne.

La Charte des Nations unies, adoptée en 1945, ne tranche pas entre ces deux exigences. Elle affirme bien, dans son article 1, que les relations entre les nations doivent être fondées « sur le respect du principe de l’égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes », mais l’application de ce droit est limitée par une autre disposition, proclamée en 1960 par la résolution 1514 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux selon laquelle « toute tentative visant à détruire, partiellement ou totalement, l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes des Nations unies ».

La fin du colonialisme

Le respect de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale contredit donc la volonté d’indépendance adossée au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La résolution 1514 souligne que « tous les peuples ont le droit de libre détermination » et qu’en vertu de ce droit ils « déterminent librement leur statut politique » mais elle précise en même temps que « tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement » les dispositions de la Charte des Nations unies « sur la base de l’égalité, de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats et du respect des droits souverains et de l’intégrité territoriale de tous les peuples ». Le droit à l’indépendance revendiqué par les peuples colonisés ne s’applique donc qu’à ceux-ci.

Des mesures immédiates seront prises, selon la résolution 1514, « dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance » pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires. La liste de ces territoires est limitative. Elle sera établie par un Comité de décolonisation. La résolution 1514 plaide ouvertement pour « la fin du colonialisme », elle soutient que le processus de libération est « irrésistible et irréversible » mais, comme l’écrit un juriste marocain, Azzedine Ghoufrane, si cette résolution peut être considérée comme la base juridique de « l’autodétermination-décolonisation », elle exclut « l’autodétermination-sécession », c’est-à-dire le droit d’une partie de la population d’un Etat indépendant de se séparer de cet Etat.

Le cas de l’ex-Yougoslavie

Conçu pour soutenir l’aspiration des pays colonisés à la souveraineté, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme le rappelle une résolution ultérieure des Nations unies (2625) en 1970, ne peut être interprété « comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout Etat souverain et indépendant ». Pour l’expert cité plus haut, la question du Sahara occidental est un bon exemple de cette dichotomie puisque le Maroc met en avant le critère de l’intégrité territoriale tandis que l’Algérie et le Front Polisario se réclament du principe de l’autodétermination.

Pourquoi la communauté internationale a-t-elle reconnu l’indépendance des Etats issus de l’ex-Yougoslavie et refuse-t-elle aujourd’hui de reconnaître celle de la Catalogne ? Parce que la Fédération yougoslave était alors « engagée dans un processus de dissolution », selon les termes de la Commission d’arbitrage établie en 1991, sous la présidence de Robert Badinter, par la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie. L’une des questions posées à la Commission était de savoir si la Fédération yougoslave continuait d’exister ou si elle était en voie de désintégration ou d’éclatement. Les juristes placés sous l’autorité de Robert Badinter ont tranché en faveur de la deuxième réponse, ouvrant la voie à la reconnaissance des nouveaux Etats, sous certaines conditions, en particulier le respect des droits des minorités.

Prudence en Italie et en Belgique

A ce propos, la Commission précisait que si chaque être humain peut revendiquer, en vertu du droit d’autodétermination, « son appartenance à la communauté ethnique, religieuse ou linguistique de son choix », ce principe ne fonde aucun droit de sécession mais plutôt, selon le juriste Alain Pellet dans l’Annuaire français de droit international (Editions du CNRS, 1991), un « droit à l’identité ».

Sauf accord entre les parties, comme ce fut le cas en Europe pour la dissolution de l’URSS, la rupture entre la République tchèque et la Slovaquie ou l’organisation du référendum écossais, la communauté internationale ne reconnaît qu’exceptionnellement l’exercice d’un droit de sécession. « Un tel droit n’existe pas en droit international », écrit Alain Pellet, qui rappelle que, pour la Commission d’arbitrage, « le droit à l’autodétermination ne peut entraîner une modification des frontières », à moins que les Etats y consentent.

En dehors de la Catalogne, les mouvements indépendantistes européens ont revu leurs ambitions à la baisse. En Italie, ils se sont contentés d’adopter, avec l’accord de Rome, un statut de plus grande autonomie, notamment fiscale, à une large majorité en Vénétie (plus de 98% de oui avec une participation supérieure à 57%), à une majorité moindre en Lombardie (plus de 95% de oui, mais une participation de 39%). En Belgique, le NVA (Alliance néo-flamande) de Bart de Wever, après sa victoire électorale de 2014, a mis en sourdine ses revendications d’indépendance pour donner à la priorité à la réforme du pays dans la perspective d’un « confédéralisme » qui aboutirait, à plus ou moins long terme, à une « évaporation » du Royaume.