George Soros ennemi numéro un des nationalistes

Une vaste campagne de dénigrement se développe contre le financier américain d’origine hongroise George Soros, militant des droits de l’homme et défenseur des libertés à travers ses diverses fondations. En Hongrie, le premier ministre, Viktor Orban, menace de fermer l’Université d’Europe centrale, dont il est l’un des fondateurs. En Russie, Vladimir Poutine l’accuse de chercher à déstabiliser les anciens pays communistes libérés de la tutelle de Moscou. A Washington, Donald Trump le considère comme « une menace contre la sécurité nationale ». Partout les droites populistes s’efforcent de discréditer son combat pour la démocratie.

George Soros
TIM SLOAN/AFP/Getty Image

Créateur de l’organisation Open Society Foundations, un réseau de fondations vouées à la défense des droits de l’homme et des libertés publiques à travers le monde, le financier américain d’origine hongroise George Soros est devenu la cible de tous ceux qui rejettent le modèle politique des démocraties occidentales et lui préfèrent ce que le premier ministre hongrois, Viktor Orban, appelle un Etat « illibéral ».
Le chef du gouvernement hongrois est l’un de ses adversaires les plus virulents. En s’attaquant à l’Université d’Europe centrale de Budapest, financée par l’homme d’affaires, il vient de confirmer sa volonté de combattre, à travers Georges Soros, les valeurs démocratiques que le financier devenu philanthrope n’a cessé de promouvoir par le biais d’une multitude d’associations qui ont vu le jour notamment dans les pays de l’ancien bloc soviétique.
Pour mettre fin aux activités de la prestigieuse Université d’Europe centrale, Viktor Orban a fait adopter une loi qui fait obligation aux établissements d’enseignement supérieur étrangers établis en Hongrie de disposer d’un campus dans leur pays d’origine. Ce n’est pas le cas de l’Université d’Europe centrale, une institution privée reconnue à la fois aux Etats-Unis et en Hongrie, mais qui n’est pas présente sur le territoire américain. La loi semble donc taillée sur mesure pour mettre au pas une institution indépendante et frondeuse.

« Un assaut frontal contre les valeurs libérales »

Selon son ancien président (2009-2016), le juriste américain John Shattuck, « il s’agit d’un assaut frontal contre les valeurs libérales essentielles à la démocratie et aux libertés universitaires ». Pour son actuel président, le politologue canadien Michael Ignatieff, ce qui est mis en cause est d’abord la diffusion d’un savoir critique contre l’esprit partisan, qu’il soit de droite ou de gauche, afin de consolider la démocratie.
Toutefois, au-delà du cas particulier de l’Université d’Europe centrale, c’est l’action globale de son principal fondateur, George Soros, qui est visée par le premier ministre hongrois. Ce n’est pas la première fois que Viktor Orban s’en prend aux institutions financées par l’homme d’affaires américain, qu’il accuse d’organiser les manifestations contre sa politique et de chercher à imposer aux Hongrois un modèle politique importé des Etats-Unis. Récemment, il a reproché à George Soros de verser d’énormes sommes d’argent à des ONG dont le principal objectif est de faire venir des centaines de milliers de migrants en Europe.

L’idéal de la « société ouverte »

On sait que la question de l’immigration est pour le premier ministre hongrois un sujet particulièrement sensible. Elle lui sert aujourd’hui de prétexte pour tenter d’écarter de son pays de naissance le milliardaire converti en militant de la démocratie, qui a découvert dans l’œuvre du philosophe Karl Popper l’idéal de la « société ouverte » et qui s’efforce d’en diffuser les principes partout où des régimes autoritaires cherchent à les étouffer.
Né György Schwartz à Budapest le 12 août 1930, devenu George Soros quand ses parents changent de nom en 1936, il subit l’occupation nazie mais échappe, quoique juif, à la déportation. En 1947 il fuit le régime communiste. Il gagne la Grande-Bretagne, où il suit les cours de Karl Popper à la London School of Economics, puis émigre en 1956 aux Etats-Unis, où il construit peu à peu un empire financier. En 1992 il spécule sur la monnaie britannique, ce qui lui vaut un gain de plus d’un milliard de dollars et le surnom de « l’homme qui a fait sauter la Banque d’Angleterre ». Parallèlement George Soros s’engage dans une activité philanthropique. Il crée l’Open Society Institute, qui deviendra l’Open Society Foundations et qui entend lutter contre les discriminations en défendant les droits des minorités et le droit à l’éducation, à commencer par celui des étudiants noirs d’Afrique du Sud puis des dissidents d’Europe de l’Est.

Le soutien des mouvements contestataires

Dans les années 1970-1980, l’organisation de George Soros est le principal soutien des mouvements contestataires dans les pays communistes. Après la chute du communisme, elle contribuera plus encore au développement de la vie démocratique et à l’animation du débat intellectuel à travers diverses fondations. La création de l’Université d’Europe centrale à Budapest en 1991 sera le couronnement de cette action, dont l’un des buts est de promouvoir une nouvelle génération de dirigeants formés aux idées libérales. Viktor Orban, alors jeune étudiant, sera l’un des nombreux bénéficiaires des bourses distribuées par George Soros.
L’activité du milliardaire ne se limite pas à l’Europe. Avec un budget de 940 millions de dollars en 2017, l’Open Society Foundations agit dans le monde entier au service des droits de l’homme (en aidant notamment l’ONG Human Rights Watch), de la justice, de l’éducation, de la santé, mais c’est surtout dans les anciens Etats communistes que les gouvernements s’inquiètent de ses initiatives et qu’une vaste campagne anti-Soros se développe pour tenter de discréditer l’homme d’affaires.
Viktor Orban n’est en effet pas le seul à « diaboliser » son ancien compatriote, selon l’expression de Mike Cohen dans le quotidien britannique The Guardian. L’éditorialiste note que George Soros est devenu « l’ennemi numéro un des nationalistes ». Ainsi l’ancien premier ministre macédonien Nikola Gruevski a-t-il lancé un appel à une « dé-soros-isation » de la société tandis qu’en Pologne ou en Roumanie des dirigeants aux abois choisissent de faire du philanthrope un « bouc émissaire », en allant jusqu’à lui prêter, comme l’écrit Mike Cohen, « un pouvoir surnaturel ».

« Un architecte du chaos »

Mais cette polémique est également alimentée par les médias russes et par leurs relais en Europe de l’Ouest, tels que Russia Today (RT) et Putniknews, qui décrivent Georges Soros comme « un architecte du chaos », « un escroc à l’échelle planétaire », un dangereux manipulateur, et lui reprochent de « jongler du haut de sa tour avec la vie des gens » ou de n’avoir que faire « des souffrances humaines et des sentiments ».
Ce que Poutine n’accepte pas, c’est le rôle joué par George Soros dans les révolutions de couleur des années 2000, en particulier en Géorgie et en Ukraine. Il considère que l’Open Society Foundations cherche à déstabiliser les régimes en place et se rend coupable d’ingérence dans des pays souverains pour le compte de Washington dont il finance les « opérations secrètes ». Le paradoxe est que le président russe vient de recevoir le soutien de son homologue américain, qui accuse l’homme d’affaires de payer des agitateurs professionnels pour manifester contre lui et le considère comme « une menace contre la sécurité nationale ».
Entre Donald Trump et George Soros les relations sont exécrables. Il est vrai que ce dernier a été un des plus fidèles partisans d’Hillary Clinton et qu’il a vivement critiqué Donald Trump au dernier forum de Davos. Mais la haine qu’il suscite, aux Etats-Unis ou ailleurs, dépasse les divergences politiques. Une pétition circule même sur la toile pour demander son expulsion du territoire américain. « L’influence satanique attribuée à l’homme qui a échappé à l’Holocauste lorsqu’il était enfant et qui a décidé après la chute du mur de Berlin d’utiliser son argent pour empêcher le retour de la xénophobie en Europe n’est pas normale », écrit Mike Cohen dans son article du Guardian. Les violentes attaques menées contre George Soros font partie, sous une forme exacerbée, de la vaste bataille lancée par les droites populistes, avec l’appui de Vladimir Poutine, contre les valeurs des démocraties occidentales.