Les amis de Daniel Vernet, ancien directeur de la rédaction du Monde, fondateur de Boulevard-Extérieur, décédé le 15 février, lui ont rendu hommage, mercredi 16 mai, à la Maison Heinrich Heine. Deux tables rondes étaient organisées, l’une sur « l’Europe, ses divisions, ses perspectives », animée par Hans Stark, secrétaire général du Cerfa (Comité d’études des relations franco-allemandes), l’autre, sur « le nouveau désordre international », modérée par Ariane Bonzon, journaliste. Deux thèmes au cœur des travaux de Daniel Vernet, comme l’a rappelé Henri Ménudier (Sorbonne nouvelle-Paris 3).
Des proches du fondateur de Boulevard Extérieur ont salué sa mémoire. Le député Jean-Louis Bourlanges, en ouverture de la soirée, a souligné que Daniel Vernet était « un journaliste profondément européen ». Grand voyageur, il a parcouru l’Europe en tous sens car, pour lui, l’Europe n’était pas seulement un nom, mais « des gens, des peuples, des citoyens » dont il fallait prendre en considération « les expériences, les souffrances, les espérances ». Daniel Vernet, a ajouté le député, était également sensible à la dimension historique des événements. Il avait « le sentiment, le goût, l’instinct de la profondeur historique », sachant « analyser le présent à la lumière du passé ».
En clôture de la soirée, Alain Frachon, journaliste au Monde, co-auteur de deux livres avec Daniel Vernet, L’Amérique messianique (2004) et La Chine contre l’Amérique, le duel du siècle (2012), a évoqué sa relation de travail avec Daniel Vernet. Il a noté en particulier que celui-ci était capable de s’investir avec le plus grand sérieux dans son activité de journaliste et, en même temps, de ne pas se prendre lui-même au sérieux. L’humour de Daniel Vernet était, selon Alain Frachon, « une manière d’être libre », en ouvrant la porte à « l’autocritique permanente ».
Les deux tables rondes se sont efforcées d’apporter quelques réponses à la question qui donnait son titre à la soirée : « Comment expliquer le monde ? ». La première, consacrée à l’état de l’Europe, réunissait plusieurs journalistes ou ancien journalistes : Thomas Ferenczi (Boulevard Extérieur), Joachim Fritz-Vannahme (Fondation Bertelsmann), Sylvie Kauffmann (Le Monde), Quentin Peel (chercheur à Chatham House), Detlef Puhl (conseiller à l’Otan). A la seconde, consacrée à l’état du monde, participaient t une journaliste, réunissait une journaliste et quatre experts : Nathalie Nougayrède (The Guardian), Andreï Gratchev (ancien porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev), Dick Howard (Stony Brook University), Marie Mendras (CNRS-Sciences Po), François Godement (EFCR).
Sur l’Europe, les participants ont souligné qu’après les espoirs de relance du début des années 2000, marquées par le projet de Constitution européenne, l’esquisse d’une politique de défense commune et surtout l’adhésion des anciens Etats communistes, l’Union européenne est entrée dans une phase de dépression. Les déceptions ont été nombreuses : les difficultés de la zone euro, ébranlée par la crise financière, les incertitudes et les limites d’une défense européenne qui divise les Etats membres, la montée des populismes dans la plupart des pays européens, à l’Ouest comme à l’Est, les désillusions des anciens Etats communistes et la conversion de certains d’entre eux à une démocratie « illibérale », la crise migratoire, le Brexit enfin, ont mis en danger la construction européenne, qui maintient un minimum d’unité, non par sa volonté, mais sous la pression extérieure.
Sur le nouvel ordre mondial ou plutôt, selon la formulation retenue par les organisateurs du débat, sur « le nouveau désordre international », les échanges ont mis en évidence la crise de la Russie post-soviétique, redevenue l’adversaire, sinon l’ennemie, de l’Occident après l’échec du projet de « maison commune européenne » de Mikhaïl Gorbatchev, auquel répondait l’idée, chère à François Mitterrand, d’une grande confédération européenne. Ils ont aussi souligné les menaces qui pèsent, depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, sur le multilatéralisme. Ils ont enfin rappelé l’essor de la Chine dont le dynamisme n’est pas sans danger pour la survie de l’ordre libéral mondial.
Entre discours et débats, des airs de Bach (extraits des Suites n°1 et n°3) et d’Astor Piazzolla (Oblivion), interprétés par le violoncelliste Daniel Arias Arrieta et le pianiste Jorge Garcia Herranz, ont complété l’hommage rendu à l’amateur de musique qu’était Daniel Vernet.