Laurent Wauquiez est quelquefois présenté comme un farouche adversaire de l’Union européenne au nom d’un souverainisme assumé et d’une fervente défense de l’identité nationale. On envisage déjà le choc frontal, en 2022, entre le champion de l’Europe unie, Emmanuel Macron, et le nouveau président des Républicains, incarnation de l’euroscepticisme, voire de l’europhobie, dans la lignée de Philippe Séguin.
Pourtant, à lire le livre que Laurent Wauquiez a consacré il y a trois ans à ses idées sur l’Europe et dont il a repris les thèmes au cours de sa campagne (Europe : il faut tout changer, Odile Jacob, 2014), il serait excessif de le considérer, à la manière d’une Marine Le Pen, comme un anti-Européen acharné à déconstruire le projet des pères fondateurs.
Des critiques partagées
Laurent Wauquiez est très critique à l’égard de l’Union européenne, dont il juge l’action trop souvent contraire aux promesses initiales, mais, d’une part, ses critiques sont partagées, dans de nombreux cas, par les porte-parole du camp dit pro-européen ; d’autre part, ses propositions ne marquent pas une rupture avec le projet européen tel que Jean Monnet et Robert Schuman l’ont formulé au début de l’aventure européenne.
Ce projet, Laurent Wauquiez le définit ainsi : « reconstruire la capacité économique de l’Europe, faire émerger un marché unique nous permettant d’être plus forts contre nos concurrents extérieurs, affirmer à nouveau l’Europe comme une puissance mondiale ». Il estime que ces objectifs n’ont pas été atteints mais ne conteste pas que la direction soit la bonne.
Quelles sont ses cibles ? La « passion normative » de l’Europe, qui s’échine à réglementer la forme des concombres et la composition du chocolat, exemples classiques de l’activisme bruxellois. La loi sacrée de la concurrence libre et non faussée, qui fait obstacle à la politique industrielle et rend difficile l’émergence de champions européens. La faiblesse de la politique d’immigration, qui transforme les frontières en passoires. L’absence d’une diplomatie et d’une défense communes, qui fait de l’Europe « un nain international ». La paralysie des institutions bruxelloises, à commencer par celle de la Commission européenne, que Laurent Wauquiez pilonne avec un rare acharnement, au risque d’en surestimer le rôle. L’absurdité de l’élargissement aux pays d’Europe de l’Est, tenu par l’auteur pour la cause principale de l’impasse actuelle. Les questions soulevées par Laurent Wauquiez sont légitimes. Elles mettent l’accent sur des difficultés réelles. L’auteur en conclut, selon le titre de son livre, qu’il faut « tout changer ». Mais ce n’est pas vraiment ce qu’il propose.
Un noyau dur
La plus spectaculaire de ces propositions, celle qui a été la plus commentée, est de créer un noyau dur de six Etats (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas) qui « viserait à une intégration économique et sociale forte », notamment par l’harmonisation des règles sociales et fiscales et par l’adoption d’un budget européen « qui aurait comme vocation de financer de grands projets en matière de recherche, d’environnement et de développement industriel ».
Autour de ce noyau dur, que Laurent Wauquiez a élargi, dans ses dernières déclarations, de six à douze Etats, s’organiseraient trois cercles, celui de la zone euro, « avec un objectif de rapprochement progressif des politiques », celui de l’actuelle Europe à vingt-huit, pour l’essentiel « une grande zone de libre-échange et de commerce », et celui des partenaires extérieurs liés par des accords de coopération, parmi lesquels la Russie, la Turquie et les pays du sud de la Méditerranée. Cette théorie des cercles n’est pas nouvelle. Elle fait partie des idées agitées régulièrement dans les débats sur la relance de l’Europe. La principale audace de l’auteur est d’annoncer qu’elle sera soumise aux Français par référendum.
Pour le reste, le programme de Laurent Wauquiez s’inscrit, au prix de quelques inflexions, dans la continuité de l’Europe d’aujourd’hui. Il défend l’euro et salue la gestion de la crise entre 2008 et 2012 « dans le dialogue entre la France et l’Allemagne ». S’il plaide pour un "protectionnisme européen", celui-ci se traduit pour lui par un "principe de bon sens", la réciprocité. Il préconise une politique douanière « plus pragmatique » et une politique de la concurrence « plus lucide ». « Oui, écrit-il, il faut des frontières, oui, il faut des protections et des règles : cela vaut pour l’immigration comme pour l’économie ». Emmanuel Macron, partisan d’une Europe qui protège, n’aurait pas dit mieux.
Dans son livre, Laurent Wauquiez se distingue de l’orthodoxie européenne sur deux points : il souhaite que la France sorte de l’espace Schengen, sauf refonte complète, à laquelle il ne croit pas ; et il s’indigne que l’Europe ne reconnaisse pas ses racines chrétiennes. Deux marqueurs politiques, destinés à séduire une partie de la droite, voire de l’extrême-droite.