Dans plusieurs pays européens, les formations politiques, de droite comme de gauche, qui se partageaient le pouvoir depuis de nombreuses années, en coalition ou en alternance, sont en net recul. Elles perdent des voix aux élections et des militants par milliers. Ecartées du pouvoir ou réduites aux seconds rôles lorsqu’elles participent au gouvernement, elles n’occupent plus la place dominante dont elles bénéficiaient sur la scène politique dans la logique du clivage droite-gauche qui a structuré pendant longtemps le paysage électoral.
Les résultats des dernières élections législatives confirment qu’en Europe de l’Ouest les deux grandes forces qui s’affrontent traditionnellement pour la conquête du pouvoir, les conservateurs d’un côté, les sociaux-démocrates de l’autre, régressent plus ou moins fortement dans l’électorat. En Allemagne, la CDU-CSU d’Angela Merkel a reculé de plus de huit points en 2017 par rapport au scrutin précédent et le SPD de plus de cinq points. En France, la même année, les Républicains ont chuté d’environ treize points et le Parti socialiste de près de vingt-trois. En Italie, Forza Italia de Silvio Berlusconi et le Parti démocrate de Matteo Renzi ont également dévissé en 2018, comme le Parti populaire espagnol et le PSOE l’avaient fait en 2015.
Des mouvements proches du peuple
Face à ces anciens partis sont apparues de nouvelles formations, qui se disent opposées au « système » et proches du peuple. Les unes se réclament de l’extrême-droite, non seulement en Allemagne et en France, mais aussi en Italie, en Autriche et dans les pays scandinaves. Les autres, plus récentes, se donnent de préférence le nom de « mouvements », comme en France La République en marche ou La France insoumise, en Espagne Podemos ou Ciudadanos, en Italie Le Mouvement 5 Etoiles. Ces formations récusent le clivage droite-gauche. Elles se distinguent aussi par le rôle prépondérant d’un chef plus ou moins charismatique. Comme le dit Gérard Grunberg, ce n’est plus le parti qui crée le candidat, mais le candidat qui crée le parti.
Pour le politologue français, à travers ce nouveau rapport de forces, c’est toute la question de la démocratie représentative qui se trouve posée. Conjuguée à l’affaiblissement des partis historiques, l’émergence des partis populistes rend en effet difficile la constitution de coalitions, du fait de la tension qui se crée, à droite comme à gauche, entre les formations concurrentes. L’opposition droite-gauche, qui organisait les alliances, ne fonctionne plus, ce qui entraîne « une phase de grande instabilité et de grande indétermination ». Cette phase sera-t-elle durable ? Gérard Grunberg se dit plutôt pessimiste. Ainsi ne croit-il pas au redressement de la social-démocratie, dont il pense qu’elle n’est plus en état de gouverner. On peut certes imaginer, dit-il, que les nouveaux partis sont appelés à disparaître. Pour le moment, rien ne permet de le dire.
Michael Sauga se dit, lui, plutôt optimiste. En Allemagne, affirme-t-il, « le système des partis fonctionne bien ». La CDU-CSU ne se porte pas si mal. Quant au SPD, il n’est pas exclu qu’il revienne un jour au pouvoir. Les formations qui ont tenté de supplanter les anciens partis, comme Die Linke à l’extrême-gauche et l’Alternative für Deutschland (AfD) à l’extrême-droite, ont échoué. L’extrême-droite, en particulier, ne prospère que sur un thème, la lutte contre les immigrés, et devrait décliner lorsqu’une solution aura été trouvée à ce problème. Non, dit-il, la fin des partis traditionnels n’est pas visible en Allemagne. S’il est vrai que toute autre alliance que la grande coalition s’est révélée impossible, c’est, selon lui, en raison des « rigidités idéologiques » et du « manque d’imagination » des dirigeants politiques. La meilleure manière de combattre les partis populistes est, pense-t-il, de mener une bonne politique afin de regagner les voix populaires. Ce sera la responsabilité de la grande coalition.