En France et en Allemagne, la participation de la population est essentielle pour l’accueil des migrants

Le gouvernement français prépare une loi sur l’immigration qui inquiète les associations d’aide aux migrants et aux réfugiés et qui suscite des dissensions au sein de La République en marche. L’impression prévaut que le président de la République Emmanuel Macron partage la ligne dure de son ministre de l"intérieur, Gérard Colomb. Avec la Maison Heinrich Heine à la Cité universitaire de Paris, Boulevard-Exterieur a organisé récemment un débat autour de l’accueil des migrants en France et en Allemagne, avec Pascal Brice, directeur de l’OFPRA, Damien Carême, maire de Grande-Synthe, Elise Vincent, journaliste au Monde et auteure de "La Vague" (Ed. des Equateurs), Andreas Wolter, maire de Cologne, et Daniel Vernet. Dans les deux pays les citoyens sont mieux disposés à l’égard des migrants que ne le laisseraient supposer les discours politiques, à condition d’être associés à l’accueil.
Une exposition de photos sur Grande-Synthe, signées Férial, aura lieu à partir du 23 janvier 2018 à la Maison de l’Allemagne, 24c boulevard Jourdan, 75014 Paris.

Le dragon de Grande-Synthe, une photographie de Férial
Férial

Migrants, réfugiés… Une comparaison des politiques et des usages en France et en Allemagne conduit d’abord à s’interroger sur ces mots. Et il est clair que pour les responsables de l’asile dans nos pays, le droit d’asile n’a (presque) rien à voir avec la politique migratoire.
Les institutions chargées d’appliquer ce droit sont très différentes d’un pays à l’autre. Pour son directeur Pascal Brice, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a pour principale caractéristique l’indépendance. Pour lui, c’est même une sorte d’absolu qui ne permet à personne de lui donner des recommandations, a fortiori de lui imposer des contraintes, et qui par conséquent ne le lie d’aucune manière aux politiques migratoires définies par le gouvernement.
Cela ne signifie bien sûr pas que le droit d’asile soit figé, il évolue au cours du temps, à la recherche surtout d’une efficacité meilleure depuis qu’un afflux massif de réfugiés a atteint l’Europe, depuis que les guerres du Moyen-Orient et de l’Afrique ont jeté des milliers de gens sur les routes. Les progrès réalisés l’ont été notamment dans la réduction du temps nécessaire à l’étude de chaque cas.

La crise de 2015

La situation de l’institution allemande homologue de l’OFPRA – le BAMF (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge, Office fédéral pour les migrations et les réfugiés) — est au contraire subordonnée au politique puisque cet Office dépend du ministère de l’intérieur.
Pascal Brice considère que l’indépendance de l’OFPRA est fondamentale parce que le droit d’asile fait partie des droits de l’homme et ne saurait dépendre de variations politiques souvent conjoncturelles. La France n’a, à aucun moment, été au centre de la crise européenne, estime-t-il, mais la « forte mobilisation du système de l’asile » a changé la perception de l’opinion publique.
Andreas Wolter, maire « vert » de Cologne (l’Oberbürgermeisterin Henriette Reker dirige une équipe de quatre maires venant des principaux partis) parle forcément d’un point de vue différent. L’accueil des étrangers à Cologne a fait couler beaucoup d’encre, en particulier après les agressions de la nuit de la Saint-Sylvestre 2015, qui n’étaient d’ailleurs pas le fait de réfugiés récemment arrivés mais plutôt de voyous installés depuis longtemps. Les dénis de la police avaient brouillé les cartes. Mais il ne faut pas oublier que Henriette Reker, très impliquée dans l’accueil des migrants, le soir même du premier tour des élections municipales qui lui avaient donné la majorité avait été grièvement blessée de coups de couteaux portés par un néonazi.
Il y a un million d’habitants à Cologne, une population croissante, beaucoup de difficultés de logement, 14 000 réfugiés sont arrivés en 2015-2016, dit Andreas Wolter, mais « la ville de Cologne vit depuis 2000 ans avec des réfugiés ! Les plus connus sont les huguenots, comme à Berlin, ils nous apporté beaucoup de choses. Il y a eu aussi les Italiens, les Espagnols, les Turcs, les Pakistanais… nous pensions toujours qu’ils allaient repartir, mais cela n’a pas été le cas. »
« Alors on a décidé de les intégrer immédiatement. » C’est un aspect essentiel de la politique de la ville. On a appris des mauvaises expériences aussi, et depuis la Saint-Sylvestre 2015 notamment on est devenu plus prudent – pas moins accueillant : on interroge la population avant d’installer une résidence pour les réfugiés. La confiance est importante, les gens acceptent de s’occuper des réfugiés. D’ailleurs, remarque le maire, c’est là où les réfugiés sont le moins nombreux que l’AfD (Alternative für Deutschland, le parti populiste d’extrême-droite) fait ses meilleurs scores. Au contraire, il est faible à Cologne.

Travailler avec les habitants

Damien Carême, le maire de Grande-Synthe, dans le nord de la France, est lui aussi un homme de terrain. « On a subi une arrivée massive de réfugiés au moment de la crise syrienne, raconte le maire. 2500 réfugiés sont arrivés en 5 mois dans une commune de 30000 habitants. On en voyait venir vingt ou cinquante, d’habitude, à cause de la station-service sur la route de Calais, parce qu’ils veulent aller en Angleterre. Là, on était dépassés. On a appelé à l’aide l’Etat, le député… Pas de réponse. On a décidé d’agir, avec la population. »
Ce qu’explique Damien Carême, comme Andreas Wolter, c’est qu’accueillir les réfugiés, c’est travailler avec les habitants. On a construit des bungalows de bois, exigus certes mais avec des sanitaires décents et à l’abri de la pluie. En avril 2017, le camp a brûlé ; ses habitants se sont installés à côté, dans un bois, le préfet les a fait évacuer en septembre, ils sont aussitôt revenus.
Migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, je ne sais pas faire la différence, dit Damien Carême : « Pour moi, ce sont des demandeurs de refuge. » On leur conseille tout de même désormais, devant la fermeture des portes anglaises, de demander asile en France.
Les nouveaux arrivants qui sont déboutés de leur demande d’asile relèvent des politiques migratoires. Si elles ont différé en France et en Allemagne, ce n’est que depuis quatre ou cinq ans. Elise Vincent parle de la « discrétion » de la France en la matière. Contrairement à Angela Merkel et à ses amis, les responsables politiques en font le moins possible, « pour ne pas braquer les Français ». L’accueil des réfugiés est freiné, la ligne actuelle est dure. Mais Elise Vincent souligne que derrière les bonnes paroles, l’attitude officielle s’est durcie aussi en Allemagne et que les reconductions à la frontière sont de plus en plus nombreuses.
« J’ai toujours l’impression qu’il y a plus de migrants en France qu’en Allemagne, note Andreas Wolter, mais c’est à cause du passé colonial de la France : ces gens sont des Français. Alors qu’il est difficile de devenir allemand. On a cependant entendu les choses les plus contradictoires. L’Allemagne et surtout Angela Merkel ont été mises sur la sellette à la fois pour avoir « ouvert » des frontières qui n’étaient pas fermées et pour avoir signé avec la Turquie d’Erdogan un accord pour qu’il garde les réfugiés chez lui. Accord indigne, qui arrangeait bien ses partenaires européens.

Des leçons communes

De ces expériences et de ces déboires est née une leçon commune que l’on pourrait tenter de résumer ainsi :

  • L’importance de la territorialisation, qui fait partie du modèle allemand, mais manque au système de la France où 40% des demandes d’asile se font en région parisienne. En Allemagne chaque région doit prendre la même proportion de réfugiés, 1,2% de sa population. A Cologne, dit Andreas Wolter, ils sont à la fois au centre et dans les quartiers périphériques. Le droit est le même pour tous, les obligations aussi.
    Mais dans les nouveaux Länder de l’est, où la société était homogène, et même fermée sur elle-même par la force des choses et des frontières, la peur de l’étranger est beaucoup plus vive qu’à l’Ouest et elle favorise les populistes de droite.
  • Associer la population est une condition nécessaire à une bonne politique de l’accueil. Le maire de Cologne estime que « le système médiatique » — pas les journalistes, précise-t-il – ne parait souvent pas assez conscient des enjeux de solidarité qui peuvent la déterminer.
    Il faut que les arrivants soient intégrés immédiatement, que les enfants soient scolarisés et surtout il faut transmettre les valeurs de l’Europe, les migrants viennent souvent de sociétés patriarcales, il faut les rapprocher de nos sociétés, remplacer la violence par la discussion. « Cela ne signifie pas qu’ils doivent devenir chrétiens, mais il faut leur faire aimer l’Europe ! »
  • Le renforcement du droit d’asile signifie d’abord, pour Pascal Brice, qu’il n’est pas question, pour les institutions qui établissent ce droit, d’aller faire du tri dans les îles. Il estime que chercher à biaiser avec le droit d’asile à des fins « pratiques » est tout à fait inefficace. Les délais en revanche peuvent être améliorés, ainsi que les conditions d’attente.
  • Beaucoup de choses sont à revoir dans nos pratiques actuelles, en sachant d’abord que laisser les migrants attendre sous la pluie n’est pas ce qui évite un « appel d’air » pour d’autres arrivants, en sachant aussi que ce ne sont pas les camps qui créent les passeurs, mais bien les frontières, dit Damien Carême, puisqu’il faut coûte que coûte les contourner.
    On ne peut pas non plus ignorer qu’il n’y a pas de « pays sûr » pour ceux qui le fuient, en particulier quand on doit y envoyer des soldats maintenir la paix, et que la « tentation turque » est un piège pour l’Europe.
    Il faut revoir les accords de Dublin, qui prévoient que la demande d’asile doit se faire dans le premier pays d’arrivée en Europe où des traces ont été laissées. C’est une évidence quand on sait que nombre de migrants se sont fait « dublinisés » vers l’Italie ou la Grèce – sauf ceux qui avaient attendu d’être en Albanie pour se manifester.
  • La majorité des migrants n’ont pas droit à l’asile, remarque le maire de Cologne, mais « on sait qu’ils vont rester ». Ce n’est pas la peine de se le cacher. C’est pour cela qu’il faut améliorer notre capacité d’intégration, intégrer les nouveaux venus dès leur arrivée et ce quelles que soient les perspectives, qu’ils aient l’intention de rester ou pas. Et il faut aussi négocier avec les pays africains pour tenter avec eux de contrôler les migrations.

Accueillir dans l’ordre

Quant à l’accueil, qui est ce qui reste à faire, et qui s’inscrit forcément dans la durée, trois points pourraient résumer ces dialogues franco-allemands :
Le rôle des villes est d’une importance qu’on ne semblait pas soupçonner. Mais c’est bien à ce niveau que les édiles peuvent le plus efficacement travailler avec les populations.
L’accueil des réfugiés ne peut fonctionner que dans l’organisation et l’ordre. Le désordre – et le spectacle du désordre — nuisent à la cause de l’accueil.
La générosité des citoyens ne peut pas être sous-estimée. C’est sur elle en fin de compte que repose depuis longtemps l’accueil des demandeurs de refuge. Le discours politique devrait tenir compte de cette disponibilité plutôt que d’entretenir des peurs réelles ou fantasmées.