Etat islamique et djihadisme, une lutte sur deux fronts

La lutte contre le radicalisme islamique doit se développer sur deux fronts : l’Etat islamique et le djihadisme qu’il professe mais qui risque de lui survivre, même après un succès de la coalition internationale. Un commentaire de Francis Gutmann, ambassadeur de France.

Al-Qaïda combat les agresseurs de l’Oumma, pays infidèles et leurs alliés. Daech ambitionne d’islamiser le monde. L’un est en quelque sorte défensif et l’autre offensif.

Al-Qaïda n’a pas de siège, ni de structure, il est d’une certaine façon insaisissable. Daech a un territoire, une organisation, une administration, une armée. Il est plus puissant mais aussi plus vulnérable.

Ici et là, des groupements prennent Al-Qaïda comme référence, ils en sont des « franchisés ». Ailleurs, d’autres groupements rallient Daech, ils en sont des composantes.

Leur arme commune est la violence, poussée par Daech jusqu’à ses formes extrêmes. Mais ce dernier est en outre prosélyte. Il racole, il recrute de nouveaux adeptes, y compris en dehors du Moyen-Orient, dont il fait des militants avant de les renvoyer dans leurs pays d’origine, mobilisables à merci pour toutes actions qu’il décidera.

Ces militants sont des hommes et des femmes aux profils variés, mais tous plus ou moins en déshérence dans leur société. Daech leur offre la perspective d’un nouveau départ et d’un nouveau mode de vie, en participant, chacun pleinement reconnu, à « l’épopée » d’une communauté bénie de Dieu, qui mènera à l’Age d’or. Comment ces hommes et ces femmes, qui ont souvent perdu toute vision d’un avenir, ne seraient-ils pas tentés ?

Le combat contre Daesh se présente sur deux fronts : celui de Daesh lui-même et celui du djihadisme radical dont il s’est fait le vecteur.

Les bombardements aériens, l’assèchement des sources de son financement, voire le découragement à la longue de sunnites qui avaient cru pouvoir trouver un refuge avec lui, et même une certaine résistance locale se levant peu à peu en réaction contre la terreur, peuvent finir par réduire Daech, voire finalement l’éliminer.

Mais le djihadisme qu’il professe peut être beaucoup plus durable que lui – quitte à trouver plus tard un autre que Daech pour l’incarner. Ce second front n’a pas jusqu’à présent été véritablement traité, et il est vrai qu’il est beaucoup plus difficile de le faire. Les mesures de police prises, pour nécessaires qu’elles soient, visent à prévenir les manifestations du djihadisme radical, elles ne s’attaquent pas au fond du problème.

Du temps de l’URSS, les pays occidentaux ont su opposer les mérites de leurs démocraties aux errements du communisme soviétique. Avec Daech, elles sont sur la défensive et agissent comme s’il suffisait d’en dénoncer le leurre et d’en stigmatiser les excès pour en détourner des hommes et des femmes croyant pouvoir trouver en lui un avenir. Osons leur rendre, de nos démocraties, une image différente de celle qu’ils en ont !

Mais cela ne suffira pas, et le combat risque d’être long. Car s’il n’y a pas de choc de civilisations comme on l’a parfois sottement prétendu, il y a deux mondes proches, l’un et l’autre en crise : celui de l’Islam face à la modernité et celui de l’Occident aveuglé par les excès de cette même modernité.