France-Syrie : une relation en dents de scie

La guerre civile en Syrie qui dure depuis 2011 a porté un nouveau coup aux relations entre ce pays et la France. Dans son livre "Chirac, Assad et les autres. les relations franco-syriennes depuis 1946" (PUF, 462 p., 25 €), Manon-Nour Tannous, docteure en relations internationales, chercheuse associée au Centre Thucydide (université Paris-II) et au Collège de France (chaire d’histoire contemporaine du monde arabe), et enseignante à Sciences Po, décrit des rapports en dents de scie depuis l’indépendance de la Syrie en 1946 jusqu’à aujourd’hui.

Plus que son titre, c’est le sous-titre qui rend compte de l’ambition de cet ouvrage. Il s’agit en effet pour l’auteur de faire une fresque de la politique de la France vis à vis de la Syrie. Développant sa thèse de doctorat sur la politique syrienne du président Chirac, elle aborde en effet en amont la politique menée par la France de l’indépendance de la Syrie en 1946 jusqu’à celle assumée par les présidents Sarkozy et Hollande
Elle décrit bien une relation bilatérale qui, surtout depuis l’arrivée au pouvoir d’Hafez al-Assad en 1970 a connu une évolution parfois quelque peu surprenante, passant « de phases de rupture en phases de relance ». Les principales étapes de cette relation heurtée sont rappelées.
Après un accueil plutôt positif du nouveau régime par le président Pompidou, s’amorce une phase de crispation avec l’assassinat à Beyrouth de l’ambassadeur Delamare le 8 septembre 1981 suivi par plusieurs attentats imputés à la Syrie tant à Paris qu’à Beyrouth.
Mais dès novembre 1984 la visite du président Mitterrand à Damas marque sa volonté, par réalisme, de « rétablir une relation praticable ».

Un nouvel élan

Cependant c’est avec le président Chirac que cette diplomatie prend un nouvel élan. Quelques temps forts de cette relation font l’objet d’une analyse très complète. La période 1995-2003 est marquée par la volonté de la France de coopérer activement avec Hafez al-Asad puis avec son fils Bachar.
En avril 1996, à l’occasion de l’opération israélienne au sud Liban « Raisins de la Colère », le président syrien appuie la shuttle diplomacy conduite par le ministre des affaires étrangères Hervé de Charette : l’accord réalisé avec l’appui de la Syrie et qui permet de rétablir le calme sous le contrôle d’un Comité de surveillance est qualifié par l’auteure, à juste titre, de « succès fondateur de la relation franco-syrienne ».
Dès l’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad, la France soutient son programme réformateur. Mais celui-ci tourne court. La relation bilatérale se dégrade en même temps que celle de Rafic Hariri avec le jeune président syrien. L’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 1559 en septembre 2004, qui prévoit le retrait des troupes syriennes du Liban marque une rupture, consommée par l’assassinat en février 2015 de Rafic Hariri imputé par Jacques Chirac à la Syrie.
Quant au président Sarkozy, après avoir renoué avec le régime syrien, sa politique quelque peu chaotique le conduit en l’espace de quelques semaines, à passer d’un accueil particulièrement chaleureux de Bachar al-Assad en décembre 2010 à l’injonction de quitter le pouvoir après l’éclosion en 2011 du printemps arabe en Syrie et la répression qui a suivi.

Un moyen, non une fin

Comment expliquer cette diplomatie en dents de scie ? Manon-Nour Tannous l’explique par la volonté de promouvoir une « diplomatie de levier » dont elle analyse la finalité : « le canal bilatéral est utilisé afin d’agir sur les dossiers non bilatéraux ».
Appliquée au cas de la relation entre la France et la Syrie, elle montre bien les motivations profondes de la politique menée par le président Chirac. Pour la France, la relation avec la Syrie est un moyen de revenir dans le jeu au Moyen-Orient. Pour Hafez al-Assad puis son fils, il s’agit à la fois de se dégager d’une emprise trop pesante de l’URSS et de montrer que la Syrie est un acteur incontournable au Moyen-Orient.
Cet ouvrage qui allie rigueur universitaire et sens de la narration s’appuie sur une documentation de première main – Archives diplomatiques, nombreux entretiens avec les acteurs ou témoins de cette relation – puisée aux meilleures sources. Il constitue un livre de référence sur cette relation heurtée avec un acteur qui reste majeur au Moyen-Orient.