L’Europe sans ambition

Il y a au moins deux manières de considérer les résultats du dernier Sommet européen, les 28 et 29 juin à Bruxelles. On peut constater avec satisfaction que les Etats membres ont réussi à s’entendre sur un socle minimum d’actions communes, que ce soit sur la question migratoire, la plus brûlante de l’agenda européen, ou sur celle du renforcement de la zone euro – sans parler du Brexit, le troisième grand dossier à l’ordre du jour de la réunion.

Rien n’est rompu, l’Europe ne s’est pas disloquée, personne n’a claqué la porte. Au prix de quelques concessions mutuelles, les « libéraux » et les « populistes » ont été capables de parler d’une même voix, en dépit de leurs différends. L’Europe, dira-t-on, a sauvé les meubles. Tout demeure possible dans les années à venir. Un semblant d’espoir a été préservé. Ne dramatisons pas les difficultés actuelles.

L’Autriche, qui assure la présidence tournante de l’UE depuis le 1er juillet, a choisi pour slogan, comme Emmanuel Macron naguère, « l’Europe qui protège ». Voilà qui réconcilie tout le monde, a dit Donald Tusk, le président du Conseil européen. Encore faudrait-il préciser ce que recouvre la formule. On verra plus tard. On verra plus tard comment l’appliquer à la question des migrants. De même, on verra plus tard comment réformer la zone euro, on verra plus tard comment définir la nouvelle relation entre l’UE et le Royaume-Uni. Dans l’immédiat, continuons, sans trop d’illusions, à apaiser nos querelles.

L’idéal européen, nous le savons, a cessé d’être mobilisateur. Est-ce une raison pour céder au découragement ? Comme l’a dit le nouveau premier ministre espagnol Pedro Sanchez, l’un des rares Européens convaincus autour de la table du Conseil, « nous aimerions être plus ambitieux mais c’est la réalité de notre communauté européenne ». Contentons-nous des maigres résultats du Sommet de Bruxelles, en sauvegardant ce qui peut l’être et en attendant des jours meilleurs.

C’est la version optimiste de l’accord de Bruxelles sur l’accueil des réfugiés : mieux vaut une déclaration commune, même vague, même incomplète, que des querelles incessantes. L’Europe piétine ? Le bon sens commande d’accepter qu’elle fasse profil bas face aux vents mauvais du nationalisme, en espérant que ceux-ci vont s’apaiser.
Mais on peut aussi se demander si une telle attitude ne relève pas d’un aveuglement coupable et s’il ne serait pas plus juste d’adopter la version pessimiste du même événement.

La version pessimiste, c’est celle qui consiste à mettre en évidence la faiblesse persistante de l’Union européenne au lendemain du Sommet de Bruxelles et à s’inquiéter de ses échecs successifs, en constatant, comme l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, que « le repli sur soi inconditionnel semble être le seul ciment qui assure encore la cohésion de l’UE ». Il y a quelques mois, les dirigeants européens annonçaient leur volonté de relancer l’Union européenne en travaillant à sa « refondation » afin de lui permettre de tenir tête, dans le concert international, aux géants de la planète – Etats-Unis, Chine, Russie. On avait tiré les leçons du passé, nous disait-on, l’Europe allait enfin se donner les moyens de franchir une nouvelle étape dans son unification.

C’est le contraire qui s’est passé. La plupart des Etats ont tourné le dos à l’Europe. Les eurosceptiques ont triomphé dans les anciens pays communistes mais aussi dans plusieurs pays d’Europe occidentale – en Scandinavie, en Autriche, en Italie. Ils bousculent la chancelière Angela Merkel en Allemagne et menacent Emmanuel Macron en France. A un an des élections européennes de 2019, le projet européen n’attire plus les peuples. Les textes adoptés à Bruxelles par les Etats membres, sur les migrants comme sur l’euro, traduisent une fois de plus l’impuissance de l’Union européenne dès lors qu’elle prétend élaborer des politiques communes.

L’Europe est au creux de la vague. On peut se contenter d’en prendre acte en pariant sur un avenir plus heureux une fois passées les élections européennes. On peut aussi tenter de retisser, avec autant de patience que de détermination, les fils brisés, avant que les populismes ne deviennent majoritaires au Parlement de Strasbourg. Il faut redonner une ambition à l’Europe pour l’empêcher de se défaire.