L’offensive turque attise les antagonismes en Syrie

L’armée turque et les rebelles qui lui sont alliés continuent leur offensive dans le nord de la Syrie contre les Kurdes de l’YPG. Recep Tayyip Erdogan dénonce l’alliance de ces derniers avec le PKK qu’il combat en Turquie. Le but du président turc est d’empêcher la création d’une région autonome kurde dans le nord de la Syrie. L’intervention d’Ankara complique une situation militaire et diplomatique déjà très compliquée, pour le plus grand bénéfice de la Russie et de son allié Bachar el-Assad.

La Turquie frappe les Kurdes en Syrie
AFP 2016 BULENT KILIC

Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a rencontré, le vendredi 26 août à Genève, son collègue, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. A l’issue d’une réunion qui s’est prolongée durant une douzaine d’heures, John Kerry a affirmé qu’ils sont parvenus à « clarifier la voie » pour mener à une cessation des combats.
L’enjeu : l’accès humanitaire aux populations civiles qui passe nécessairement par la collaboration de toutes les parties, notamment à Alep, la deuxième ville de la Syrie. Un accord avait déjà été conclu en février et avait aussitôt volé en éclat.
De son côté, Sergueï Lavrov a indiqué : « Si nous sommes en mesure de mettre en place un accord à long terme sur un cessez-le-feu, nous serons capables de provoquer un changement radical concernant la trajectoire du conflit », précisant que « la Russie (travaillera) avec le gouvernement syrien, les États-Unis avec l’opposition ».

Une partie de poker menteur

L’offensive militaire turque, déclenchée le mercredi 24 août dans le nord-est de la Syrie contre les combattants kurdes des YPG (Yekîneyên Parastina Gel – Unités de protection du peuple), est venue compliquer la donne. Allié de Washington au sein de l’OTAN, Ankara veut éviter qu’un éventuel accord de cessation des hostilités se fasse à son détriment. Washington s’appuie en effet sur les YPG et les Forces démocratiques syriennes (FDS) pour conquérir les bastions de l’organisation Etat islamique (Daech) dans le nord-est syrien.
Ankara, qui combat les Kurdes du PKK (Partiya Karkerên Kurdistan – Parti des travailleurs du Kurdistan) — sur son sol cherche à tuer dans l’œuf la création d’une entité kurde à sa frontière sud – le Rojava (Rojavayê Kurdistanê – Kurdistan de l’ouest) – qui pourrait faire la jonction avec la région autonome du Kurdistan irakien et faciliterait la création d’un Etat kurde sur le flanc sud-est de la Turquie, menaçant son intégrité territoriale.
L’armée turque est affaiblie après avoir subi une sévère purge après la tentative de putsch du 15 juillet. En décidant d’intervenir en Syrie, le président Recep Tayyip Erdoğan cherche aussi à remobiliser son armée et à pouvoir compter dans une éventuelle solution du conflit.
Mais en attaquant les Kurdes, principaux alliés de Washington sur le terrain syrien, le président turc – qui réclame aux Etats-Unis l’extradition de son principal opposant Fethulla Gülen – embarrasse son principal allié au sein de l’OTAN.
Avant de procéder à cette intervention militaire en Syrie, le président turc, prudent, avait pris le soin de reprendre langue avec Damas, Moscou, Téhéran, Tel-Aviv, mais aussi avec Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan irakien et allié de Washington et d’Ankara. Une partie de poker menteur dont le conflit syrien est coutumier.

La survie du régime de Bachar el Assad ou le démantèlement de Daech

En parlant d’un éventuel "changement radical concernant la trajectoire du conflit", Sergueï Lavrov espère que Washington tiendra compte du « rôle incontournable » de son allié syrien Bachar el Assad. S’appuyant sur Téhéran – dont les brigades al-Quds et les unités d’élite du Hezbollah sont fortement présentes à Alep – ainsi que sur la coopération d’Ankara auquel Moscou est lié par d’importants partenariats économiques, Vladimir Poutine veut imposer sa solution du conflit qui passe par la survie du régime de Bachar el Assad.
L’intervention militaire russe en Syrie depuis septembre 2015 a permis d’alléger la pression sur le régime de Damas. Mais aucune avancée militaire décisive n’a été possible à Alep qui aurait permis un renversement de la situation en faveur de la coalition russo-irano-syrienne. Washington, de concert avec ses alliés turcs et arabes du Golfe, y veille.
Les Etats-Unis, qui ont pour objectif principal la lutte contre Daech sans pour autant se compromettre avec Damas, cherchent à arbitrer un juste équilibre entre les différents protagonistes du conflit syrien pour les amener à la table des négociations.
Ces négociations sont destinées à assurer une période de transition où l’Etat syrien serait préservé sans que le pouvoir du clan de Bachar el Assad soit nécessairement maintenu.
Difficile exercice dans lequel les principaux protagonistes – Syriens, Russes, Iraniens, Saoudiens, Turcs et Kurdes – ont leurs intérêts particuliers et qui se placent auprès de Washington, alors que les Américains se préparent à vivre une élection présidentielle dont le résultat, quel qu’il soit, pourrait changer les options proche-orientales de l’administration Obama.
Pour l’heure, le démantèlement du proto-Etat islamique est l’objectif prioritaire de la coalition occidentale avant l’installation de la prochaine administration américaine en janvier 2017. Car le désordre qu’il pourrait causer aussi bien au Proche-Orient qu’en Europe ou dans le Caucase est incalculable.
C’est en tout cas le principal point de convergence entre Russes et Américains. Rien ne dit que cet intérêt commun suffise à forcer un compromis.