Le crépuscule d’Angela Merkel

Le débat sur la succession d’Angela Merkel est ouvert à Berlin. La chancelière a été mise en cause après les événements de Chemnitz (Saxe) où le meurtre d’un Allemand dans la nuit du 25 au 26 août et l’arrestation de deux demandeurs d’asile ont entraîné des manifestations d’extrême-droite contre la politique d’immigration. La coalition gouvernementale a montré une fois de plus ses faiblesses. Les prochaines élections régionales pourraient mettre en difficulté la chancelière, alors qu’elle vient d’être désavouée au Bundestag par son propre groupe parlementaire.

Manifestation à Chemnitz (Saxe) le 7 septembre
AP Photo/Jens Meyer

Faut-il être surpris, stupéfait, inquiet des dernières „performances“ du gouvernement Merkel IV et du monde politique à Berlin ? Ou à Munich ? Ou à Dresde ? Après les manifestations violentes de Chemnitz en Saxe fin août et les manoeuvres politiques qui ont suivi, peut-on être soulagé, rassuré, encouragé par les „compromis“ finalement trouvés qui devaient démontrer que la coalition fonctionne, malgré tout, et que le gouvernement peut travailler et „délivrer“, comme il l’a promis plus d’une fois ? Cette rentrée politique en Allemagne a été douloureuse, particulièrement douloureuse pour Angela Merkel, la chancelière. Et ces douleurs n’ont pas encore pris fin. Qu’attendre du 14 octobre, jour des élections régionales en Bavière ? Tous les sondages annoncent une débâcle pour la CSU, parti frère de la CDU de Angela Merkel.

Une chose est sûre : le débat sur la succession de Angela Merkel est en haut de l’ordre du jour politique à Berlin. Mais les autres chefs de parti de la coalition, Horst Seehofer (CSU) et Andrea Nahles (SPD), ne profitent pas des difficultés de Angela Merkel. Le ministre de l’intérieur pourrait quitter la scène rapidement après le 14 octobre, si les sondages, qui voient son parti, la CSU, maître absolu de „l’Etat libre“ de Bavière depuis des décennies, comme le grand perdant, deviennent réalité. Il fera un bouc émissaire parfait, ayant contribué en premier lieu à l’image néfaste de sa famille politique. Et le nombre des sociaux-démocrates qui voudraient quitter ce gouvernement mal aimé plutôt tôt que trop tard, augmente, laissant les mains vides Andrea Nahles, chef du parti et du groupe parlementaire, qui voulait „rénover“ le SPD depuis l’intérieur du gouvernement. Elle aurait du mal à s’imposer en cas d’élections nationales anticipées. Mais rien n’est encore décidé.

L’image de la Saxe et des Saxons

Il y a trois „horizons“ qu’il faut regarder pour mieux comprendre le dilemme dans lequel se trouve l’équipe dirigeante aujourd’hui. Le premier, c’est le plus proche des événements du 26 août et des jours suivants, le plus immédiat. Un Allemand a été tué à Chemnitz lors d’une bagarre pendant la fête de la ville et deux demandeurs d’asile (un Irakien et un Syrien) ont été arrêtés (l’un des deux a été relâché ; une troisième personne, de nationalité inconnue, est toujours recherchée). Des manifestations spontanées, mais aussi organisées, se sont succédé pendant plusieurs jours : organisées par l’extrême droite, mais aussi par la société civile, violentes et non-violentes. Les responsables politiques ont mal réagi, tous. Evidemment, tous ont condamné la violence et les provocations, surtout celles des néonazis sur place —très minoritaires, certes, mais très visibles— contre tous ceux qui avaient l’apparence d’immigrés. Cela va de soi. Mais l’intérêt des intervenants portait peu sur ce qui s’était passé, ni sur le comment, ni le pourquoi du meurtre.

Du côté de la CDU, le ministre-président de Saxe, Michael Kretschmer, s’est tout de suite défendu d’un prétendu reproche généralisé qu’il ferait aux Saxons, accusés d’être des nazis ou des xénophobes. C’est l’image de la Saxe et des Saxons qui a été son premier souci : la défense des Saxons contre les préjugés présumés contre eux à l’Ouest du pays. Du côté du SPD, partenaire de la coalition régionale à Dresde, on a entendu plus ou moins le même discours : la défense des Saxons qui ne se sentent pas pris au sérieux et dont il faudrait comprendre qu’ils manifestent. Le revoilà, réapparu sur scène, le clivage est-ouest.

Le gouvernement fédéral réagit avec retard. Le ministre fédéral de l’intérieur, Horst Seehofer, chef de la CSU, déclare qu’il aurait participé à la manifestation (à laquelle ?Avec ou à côté de l’extrême droite ? Il ne le dit pas) s’il n’était pas ministre, mais simple citoyen. Le seul membre du gouvernement fédéral à se rendre sur place, pour rendre hommage à la victime de la violence, a été la ministre SPD de la famille, Franziska Giffey. Bref, après un meurtre et des réactions (de revanche ?) violentes de l’extrême droite et des néonazis - il n’y a eu que des réactions politiciennes !

L’affaire Maassen

Le deuxième horizon à regarder, c’est celui des réactions politiques dans les jours qui ont suivi les manifestations. Etait-il exagéré ou non de parler de „chasse à l’homme“ en regardant quelques vidéos, en marge d’une manifestation, qui montrent des manifestants d’extrême droite courir après des étrangers ou bien l’occupation violente par les manifestants d’un restaurant juif ? En condamnant ces actes de violence, la chancelière a employé ces mots, tout comme au Bundestag quelques jours plus tard. Etait-il permis au chef des services de renseignements intérieurs („service de la protection de la constitution – Verfassungsschutz), Hans-Georg Maassen, d’émettre des doutes, dans une interview à la BILD-Zeitung, sur le sérieux de ces vidéos, suggérant même qu’elles pourraient avoir éte fabriquées pour détourner l’attention des vrais coupables de la violence – tout cela en admettant qu’il n’avait pas encore pu vérifier leur origine ? Est-ce qu’un chef d’un service, „subordonné“ comme le disait la chancelière plus tard, peut se permettre de publiquement mettre en doute une source du jugement que la chancelière portait sur ces événements – un doute que ses services n’avaient pas partagé avec la chancellerie ?

Encore une fois, comme pendant l’été, l’affaire a vite tourné en crise de la coalition. Comme au cours de l’été, les Allemands ont eu droit à une dispute entre la chancelière et son ministre de l’intérieur. Celui-ci ne trouvait rien de mal à ce qu’un haut fonctionnaire, dont son ministère assure la tutelle, mette en doute dans une interview le bien-fondé d’une déclaration politique de la chancelière. Tout de suite, Andrea Nahles, chef du SPD, a sauté sur l’occasion pour demander à M. Seehofer de mettre fin aux fonctions de M. Maassen. Sinon ce serait la fin de la coalition ? Cette question était bien sur la table.

Ce qui a été présenté le 18 septembre comme un compromis pour „sortir" de cette crise a suscité un tollé de protestations dans tous les camps politiques – jusqu‘au point où, le dimanche 23 septembre, ce soi-disant compromis a été annulé. Hans-Georg Maassen aurait dû quitter son poste de directeur du service de renseignement, comme l’avait demandé le SPD. Mais M. Seehofer l’aurait gardé, comme il le souhaitait, en en faisant un de ses secrétaires d’Etat. Une belle promotion pour quelqu’un qui devait quitter ses fonctions pour raisons d‘insubordination.

Les trois chefs de parti se sont tous trouvés en décalage avec leurs propres amis politiques. Ils ont été inondés de mails, de messages, de coups de téléphone, de déclarations publiques venant de leurs militants, qui ne démontraient qu’une chose : un manque total de compréhension de ce que leurs chefs avaient décidé en la matière, qui était devenue la „Causa Maassen“. Dans une déclaration publique, Angela Merkel a même présenté des excuses pour une décision qui ne pouvait pas tenir, comme elle l’a avoué. Finalement, M. Maassen devra bien quitter son poste, mais M. Seehofer peut le garder comme „conseiller spécial“ pour les questions européennes et internationales. Pour le temps qui reste à M. Seehofer dans l’exercice de sa fonction de ministre ?

Un nouveau coup dur pour la chancelière

Deux jours après seulement, le 25 septembre, Angela Merkel devait encaisser encore un coup dur, très dur même. Son propre groupe parlementaire, qui réunit des députés CDU et CSU, l’a désavouée en refusant de réélire comme président du groupe celui qui avait servi à sa tête depuis 2005 et qui est un homme de confiance de la chancelière, Volker Kauder. Elle-même, mais aussi M. Seehofer, avaient appelé les députés à reconduire M. Kauder dans ses fonctions. „J’ai besoin de lui“, disait la chancelière. Eh bien, les députés en ont décidé autrement. Une démonstration de force. Visiblement, la „méthode Merkel" pour diriger son parti et le pays a trouvé ses limites.

C’est ici, que le troisième horizon entre en jeu – les prochaines échéances électorales et politiques. Elles dominent le calendrier politique et les agendas des uns et des autres. Il y en a quatre, sinon cinq.

Le 14 octobre d’abord. Les derniers sondages voient la CSU, „le" parti bavarois qui domine le land depuis toujours, à 33, voire 35% des voix (après 47% il y a 5 ans). La lutte pour le pouvoir à Munich entre M. Seehofer, qui est toujours président du parti, mais qui a été poussé à quitter la tête du gouvernement bavarois au profit de M. Söder, a dominé la scène politique en Bavière depuis plus d‘un an. Cette politique politicienne régionale a été la raison principale de l’opposition de Horst Seehofer à la politique de Angela Merkel au niveau national en matière d‘immigration, même si la CSU fait bel et bien partie de cette coalition comme de la précédente. Actuellement, personne ne sait ce qui va se passer. En Bavière, les Verts sont actuellement en deuxième position, devant le SPD. Et l’AfD se trouve dans une position relativement modeste avec 10%. Le sort de Horst Seehofer, surtout, reste complètement ouvert. S’il devait quitter le gouvernement fédéral, l’avenir de la coalition toute entière serait mis en question.

Le 28 octobre ensuite, quand les élections régionales en Hesse auront lieu. Ici, c’est un gouvernement de la CDU avec les Verts qui, probablement, va perdre sa majorité. C’est le parti de Angela Merkel qui est en jeu. Mais les changements seront, vraisemblablement, moins dramatiques qu’en Bavière. Ce ne sera pas encore la fin de la chancelière.

Les résultats du Congrès de la CDU

Plus important : le 6 décembre, le Congrès de la CDU élira son équipe dirigeante. La présidente du Parti, Angela Merkel, a déjà déclaré qu’elle se représenterait. Mais il y aura deux résultats à regarder de très près : d’abord, quelle sera l’étendue de sa majorité ? Ensuite, combien de concurrents devra-t-elle affronter ? Il y a déjà deux candidats, des inconnus. Y en aura-t-il un de sérieux ? Avec l’expérience de la non-élection à la présidence du groupe parlementaire de Volker Kauder, qui n’avait jamais eu de concurrent jusqu’à cette dernière élection, personne n’ose prédire le résultat. Il paraît toujours inconcevable que Angela Merkel ne soit pas élue ; mais on disait la même chose de Volker Kauder. Alors attention !

Les autres résultats à regarder de très près, ce seront les résultats de celles et de ceux qui pourraient apparaître comme des héritiers possibles : Annegret Kramp-Karrenbauer, la secrétaire générale merkelienne de la CDU, qui se prépare à la succession ; Jens Spahn, le ministre de la santé qui avait déjà défié Angela Merkel au dernier congrès sur une question de droit de nationalité et qui avait obtenu gain de cause – depuis il compte parmi les jeunes anti-merkeliens ambitieux ; qui d’autre ? Ce congrès dira où peut aller Angela Merkel.

Finalement, deux échéances en 2019 se font déjà sentir : les élections européennes le 26 mai et les élections régionales en Saxe, en Thuringe et au Brandebourg en septembre. En Saxe, il y a un vrai risque pour la CDU de devoir céder la place de première force politique qu’elle occupait depuis 1990 à l’AfD, l’extrême droite. Les réactions de Michael Kretschmer, le ministre-président CDU, après les événements de Chemnitz s’expliquent ainsi. Il a peur, car l’extrême droite continue à gagner du terrain. Si „sa" CDU perdait les élections en Saxe au profit de l’extrême droite, Angela Merkel, si elle est toujours à la tête de ce parti à ce moment là, aurait du mal à y rester.

Depuis les élections fédérales de septembre 2017 en Allemagne on a assisté à la chute de popularité de ses dirigeants les plus importants et à une montée continue de l’extrême droite dans les sondages. Les Verts sont maintenant à égalité avec le SPD. Il y a de quoi s’inquiéter aussi pour la capacité des représentants allemands d’agir au niveau européen. Ce ne sont pas vraiment les résultats de la politique de cette coalition qui sont en jeu. Le pays va toujours bien. Une majorité d’Allemands ne considère pas que les réfugiés présentent un danger pour leur bien-être, une majorité d’Allemands estime même que les réfugiés, à la longue, vont enrichir le pays culturellement. C’est la „méthode Merkel“, qui a réussi tant de fois, qui est mise en question, ainsi que la „grande coalition“ des deux formations politiques les plus fortes – qui, pourtant, n’auraient plus de majorité aujourd’hui. Un nombre croissant des amis politiques de Angela Merkel, même de l’équipe dirigeante, n’ont plus confiance en elle. Les paris sont ouverts.