Les fragilités de l’Union eurasienne

La Russie tente de rassembler autour d’elle les Etats de son voisinage au sein d’une Union eurasienne destinée à faire concurrence à l’Union européenne. Plusieurs Républiques d’Asie centrale y ont adhéré mais l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, tournées vers l’Europe, ne souhaitent pas en faire partie. La nouvelle organisation, dont l’ambition est économique et non politique, souffre de la récession russe et du refus des Etats membres de subir la tutelle de Moscou.

Les ambitions de l’Union eurasienne
D.R.

La Russie tente de rassembler autour d’elle les Etats de son voisinage au sein d’une Union eurasienne destinée à faire concurrence à l’Union européenne. Plusieurs Républiques d’Asie centrale y ont adhéré mais l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, tournées vers l’Europe, ne souhaitent pas en faire partie. La nouvelle organisation, dont l’ambition est économique et non politique, souffre de la récession russe et du refus des Etats membres de subir la tutelle de Moscou.

L’Union eurasienne a été créée en 2014, à l’initiative de Vladimir Poutine, sur le modèle de l’Union européenne. Elle est entrée en vigueur l’année suivante. La Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, membres fondateurs, ont été rejoints par l’Arménie puis par le Kirghizstan. Les autres Républiques d’Asie centrale – le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan – pourraient à leur tour adhérer à ce projet consistant à mettre sur pied, selon les mots du président russe, une « association supranationale puissante susceptible de devenir un des pôles du monde contemporain et un lien efficace entre l’Europe et l’Asie ».

Pour le moment, l’Union eurasienne se présente comme un espace de libre circulation des biens, des services, des capitaux et de la main d’œuvre. Son ambition est économique, et non politique. Des pays extérieurs à la région sont invités à coopérer avec la nouvelle organisation : un accord de libre échange a été conclu avec le Vietnam, des négociations sont en cours avec l’Egypte.

La défection de l’Ukraine

Pour Anne de Tinguy, chercheuse au CERI (Centre de recherches internationales de Sciences Po), qui présentait le 16 mars une étude du CERI, Regards sur l’Eurasie, la principale faiblesse de l’Union eurasienne est que l’Ukraine a choisi de lui tourner le dos et qu’elle a préféré, comme la Géorgie et la Moldavie, signer avec l’Union européenne un accord d’association qui lui ouvre le marché européen.

« La réorientation commerciale de ces trois pays est désormais patente », souligne Anne de Tinguy, puisque l’Union européenne représentait, en 2014, 50% du commerce de la Moldavie (15% pour la Russie), 26% de celui de la Géorgie (7% pour la Russie) et 35% de celui de l’Ukraine (21% pour la Russie), une proportion qui s’est renforcée en 2015. La mésentente russo-occidentale, ajoute-t-elle, a encore aggravé la concurrence entre les deux projets d’intégration.

La Russie en récession

Toutefois, si l’Union eurasienne s’est trouvée plongée « dans la tourmente économique », c’est surtout en raison de la récession russe, liée à la chute des cours des hydrocarbures, la Russie payant au prix fort, comme le rappelle Anne de Tinguy, son incapacité à diversifier son modèle de croissance. « Etant donné le poids de la Russie dans l’économie de la zone, note-t-elle, ce ralentissement de son activité et la dépréciation du rouble se répercutent dans tout l’espace eurasien ».

La Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghisztan, l’Arménie souffrent de cette situation qui dégrade leur économie et freine leur développement. L’Union eurasienne se trouve ainsi « privée de locomotive », ce qui ne contribue pas à faire de ses Etats membres des « Eurasiens enthousiastes », même si les nouvelles menaces sécuritaires, contre lesquelles la Russie leur apparaît comme un rempart possible, aident à maintenir des liens solides avec Moscou.

Les incertitudes du partenariat oriental

Il est vrai que, face aux fragilités de l’Union eurasienne patronnée par Moscou, les trois pays du voisinage russe qui ont signé des accords d’association avec l’Union européenne sont également soumis à de graves difficultés. La situation reste précaire en Ukraine, où le contexte est particulièrement périlleux et la corruption toujours élevée. La corruption affecte aussi la Moldavie, où l’instabilité politique s’aggrave tandis que le conflit de Transnistrie reste gelé.

La Géorgie est sans doute le pays qui a le plus progressé dans la voie des réformes et la lutte contre la corruption, mais le ralentissement de la croissance et les conflits politiques contribuent à l’affaiblir. Comme le note Anne de Tinguy, « que ce soit à l’est ou à l’ouest de l’espace eurasien, tensions, turbulences et incertitudes sont fortes ». Le « défi de la modernisation » est encore loin d’être gagné.

L’idéologie de l’eurasisme

Les déboires du partenariat oriental noué par l’Union européenne avec l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, auxquels Vladimir Poutine n’est pas étranger, ne sont pas contestables mais ils ne sauraient masquer les faiblesses de l’Union eurasienne, qui n’est pas encore en mesure d’offrir aux Etats de l’ancien empire soviétique une solution de rechange. Privée de l’Ukraine, la nouvelle organisation rassemble des pays dont les économies reposent pour l’essentiel sur les matières premières et dont les populations sont pauvres. Il n’est pas sûr qu’ils tirent vraiment profit de leur association au sein d’un même ensemble. Il n’est pas certain non plus qu’ils acceptent la tutelle que la Russie s’efforce d’exercer sur eux sous le couvert de l’Union asiatique.

Celle-ci apparaît d’abord comme l’expression d’un choix idéologique. Auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, le philosophe Michel Etchaninoff, spécialiste de la pensée russe, présente « l’eurasisme » comme l’un des trois piliers de l’idéologie poutinienne (avec le conservatisme et la « voie russe »). Son principal théoricien est l’essayiste Alexandre Douguine, proche du Kremlin. Plus qu’un instrument économique, la création de l’Union eurasienne est l’un des moyens politiques dont use Vladimir Poutine pour mener le combat contre l’Occident.