Paris et Berlin à la recherche d’un accord pour relancer l’UE

Le conseil des ministres franco-allemand se réunira le 19 juin au château de Meseberg, près de Berlin, pour tenter de définir des positions communes aux deux gouvernements sur les principaux sujets – migrations, défense, emploi, budget, innovation - qui seront à l’ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 juin. Les divergences restent fortes entre les dirigeants des deux pays sur les moyens de relancer l’Union européenne. La prudence d’Angela Merkel contraste avec le volontarisme d’Emmanuel Macron sur la réforme de la zone euro. En revanche, sur la question migratoire, la chancelière se montre plus ambitieuse que le président français.

Voltaire, programme d’échanges de l’OFAJ
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Souvent effleurée ces vingt dernières années, l’idée d’une Union franco-allemande est restée jusqu’ici un mirage dans lequel les dirigeants politiques, en France et en Allemagne, se projettent lorsqu’ils désespèrent de leur capacité à transformer l’Union européenne en cette force souveraine, dépassant les frilosités nationales, dont les Européens auraient besoin pour ne pas disparaitre définitivement du jeu planétaire qui se déroule sous nos yeux. Dans l’état où se trouve l’Europe post-Brexit, avec le repli sur soi de la plupart des pays, à commencer ceux de l’Est, à peine sortis de leurs dictatures à grand renfort d’aides européennes, et maintenant l’Italie populiste, qui accuse l’Europe de tous ses maux, jouant sur le manque de solidarité pour gérer l’afflux de réfugiés, on ne voit pourtant pas très bien comment ce qui reste de l’esprit européen pourrait se passer d’un geste fort de l’Allemagne et la France pour endiguer les fuites du navire.

Une atmosphère de désabusement

Le conseil des ministres franco-allemand programmé le 19 juin à Meseberg est censé faire des propositions fortes pour préparer le Conseil européen de la fin juin. Mais il s’ouvre dans une atmosphère de désabusement. La Commission européenne, appuyée par un Parlement dont il faut saluer l’activisme, a multiplié les effets d’annonce ces dernières semaines pour donner le change, tenter de rendre crédible en votant de nouveaux budgets la mise en place d’une défense européenne, répondre aux distorsions sociales qui minent le marché unique. Mais la réponse tardive et frileuse que la chancelière Angela Merkel, difficilement réélue à la tête du gouvernement allemand après les élections de l’automne 2017, et en proie à des tensions internes qui font douter de sa coalition, vient de faire aux propositions de relance européenne d’Emmanuel Macron a fait l’effet d’une douche froide.
Quant au chef de l’Etat français, si fier hier de la résonance de son flamboyant discours de la Sorbonne, en septembre dernier, auprès des Européens convaincus, il s’est pris lui-même les pieds dans le tapis à l’occasion de la crise déclenchée par le nouveau gouvernement populiste italien en refusant de laisser accoster dans ses ports le navire Aquarius chargé de ses 600 réfugiés recueillis en mer. Car il est bien beau de réclamer une plus grande solidarité financière de l’Allemagne avec ses partenaires pour souder la zone euro, quand on refuse soi-même d’aider ses voisins italiens à gérer l’afflux des réfugiés d’Afrique en bloquant ses frontières au mépris de l’esprit Schengen.

Face à la montée des populismes

Il va falloir à Angela Merkel et Emmanuel Macron montrer plus de courage politique s’ils veulent prétendre relancer l’idée d’un noyau dur européen capable, contre vents et marées, de donner corps et contour à une Europe forte, apte à prendre en charge la défense des intérêts des Européens, leur sécurité et la défense de leur modèle social. Or l’une comme l’autre donnent le sentiment, avec leurs styles différents, de ne pas savoir s’émanciper de la crainte suscitée par la montée de l’extrême droite et des mouvements populistes, qui paralyse les partis politiques traditionnels de leurs pays, à gauche comme à droite.
« Des ponts et des fossés », titrait le Süddeutsche Zeitung, grand quotidien national libéral de Bavière, après l’interview donnée par Angela Merkel à son confrère de Francfort, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, pour formuler sa réponse tant attendue au message d’Emmanuel Macron. Chacun son style. Le jeune président français aime les élans du cœur, lance des perspectives, mobilise les émotions, même s’il sait sans doute que lui aussi n’a pas les mains aussi libres qu’il le laisse entendre. Angela Merkel avance prudemment, ne veut pas donner prise à ses adversaires, cache ce vers quoi elle veut vraiment aller. Emmanuel Macron parle d’une « refondation de l’Europe ». Mme Merkel veut grignoter du terrain.

Le renforcement de la zone euro

Elle a concentré sa réponse sur la zone euro, le droit d’asile, la protection des frontières et la politique de sécurité et de défense commune. Sur le renforcement de la zone euro, elle est contrainte par une opposition forte, au sein de son propre groupe parlementaire chrétien-démocrate, à tout ce qui pourrait ressembler à une « Union de transferts » financiers. Des transferts, il y en a toujours eu dans l’Union, depuis la politique agricole commune ou la politique régionale ; en Allemagne aussi d’ailleurs où les riches Länder du sud ne cessent traditionnellement de pester contre les transferts vers les Länder plus pauvres. Mais depuis la crise grecque, l’Allemagne n’avance qu’à reculons, sûre de son modèle de gestion à l’économie où, grâce à ses exportations records, à son plein emploi, ses dirigeants ont fait de l’équilibre budgétaire un dogme qui interdit toute relance couteuse qui pourrait aider les économies en difficulté dans les autres pays.
Le social-démocrate Olaf Scholz, l’actuel ministre des finances, ne dit pas autre chose que son prédécesseur, le chrétien démocrate Wolfgang Schäuble. Honoré du prix Charlemagne à Aix la Chapelle pour son activisme européen, M. Macron a mis les points sur les « i » : « Pour l’Allemagne, les transferts sont tabous. Mais une zone euro sans transferts, cela ne va pas fonctionner longtemps », a-t-il dit. Sans convaincre. Il souhaite créer un budget de la zone euro et gérer les dérapages par un contrôle parlementaire. Mme Merkel en est loin. Elle propose seulement de transformer le Mécanisme européen de stabilisation (MES) en un Fonds Monétaire européen permanent, qui échapperait au droit communautaire pour rester dans le cadre intergouvernemental. Elle fait un petit pas vers le « budget de la zone euro » voulu par M. Macron, mais en ne voulant qu’un « budget d’investissements ». Une prudence due au fait que le Bundestag veut garder son mot à dire sur les dépenses hors budget communautaire.

La chancelière défiée par son ministre de l’intérieur

Sur le dossier des réfugiés et de la protection des frontières extérieures de l’Union, Mme Merkel, qui a toujours été plus généreuse que Paris, se montre là ambitieuse. Ce dossier interfère pourtant de plus en plus violemment sur la scène politique allemande, comme c’est déjà le cas en France. La chancelière propose un système commun européen d’asile, avec un « système flexible » de répartition des tâches. Berlin comme Paris n’excluent pas un changement des traités sur ce point. La crise déclenchée par l’Italie a mis le conseil des ministres franco-allemand au pied du mur, alors que la chancelière est défiée ouvertement par son propre ministre de l’intérieur, le Bavarois Horst Seehofer.
Sur le troisième dossier, celui de la défense, l’interview de Mme Merkel contient plus de questions que de réponses. La « souveraineté européenne » figure en tête des propositions d’Emmanuel Macron pour la refondation de l’Europe. Il propose une force d’intervention européenne qui va bien au-delà de la coopération permanente structurée récemment décidée par 25 des Etats membres de l’UE. Mme Merkel se dit d’accord avec cette force, mais dans le cadre de la coopération renforcée. Elle reconnait que les « structures de décision en Europe » pour l’emploi de cette force devront être modifiées et propose la création d’un Conseil de sécurité européen. Mais elle ne se prononce pas sur la responsabilité des parlements, en particulier du Bundestag. Or la « culture stratégique commune » nécessaire pour l’engagement d’une force commune est loin d’être acquise. Il y a encore beaucoup de travail de réflexion, de consultations à faire pour avancer.

Le temps est compté

La réponse de Mme Merkel aux idées lancées par le président français n’est donc une fois de plus qu’un petit pas. La grande coalition qui gouverne l’Allemagne, largement paralysée par les dissensions internes des formations qui la composent, est aujourd’hui incapable de sortir l’Allemagne de sa tanière, de prendre des risques pour porter le projet d’une Europe généreuse qui prendrait son avenir en main. Le social-démocrate Martin Schulz, qui était le porteur de ce projet, a échoué à mobiliser lors des élections, avant d’être déboulonné par son propre parti. Il laisse pourtant un héritage : le contrat de coalition qu’il a encore largement contribué à façonner et qui fait de l’Europe une priorité. Il donne à la chancelière des arguments qu’elle pourra utiliser le moment venu, si elle arrive à mettre de l’ordre dans ses propres troupes, et éviter une rupture avec la CSU bavaroise avant les élections régionales d’octobre en Bavière. Mais la crise italienne vient montrer que le temps est compté. Et des deux côtés on est conscient que l’Europe est en grand péril si la France et l’Allemagne ne se mettent pas rapidement d’accord.