Washington perplexe face aux bouleversements proche-orientaux

Une réunion internationale pour évoquer "l’ensemble de la situation en Syrie et en Irak" aura lieu le 2 juin à Paris, en présence du secrétaire d’Etat américain John Kerry. La France entend adresser "un rappel extrêmement clair de (sa) position (...) en demandant au Premier ministre et au gouvernement irakiens d’avoir une politique qui soit celle du rassemblement des composantes" politiques de ce pays, a déclaré le porte-parole du gouvernement français Stéphane Le Foll.
Cette annonce intervient peu après la prise par les jihadistes du groupe Daech, acronyme arabe pour l’Etat islamique, de Ramadi, une ville stratégique à une soixantaine de kilomètres de la capitale Bagdad.
Les jihadistes de l’EI se sont par ailleurs emparés mercredi de la partie nord de la ville antique de Palmyre, dans le centre de la Syrie, a rapporté l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
La semaine dernière, le président Barack Obama a réuni les représentants des monarchies pétrolières sunnites pour tenter de les rassurer sur sa stratégie vis-à-vis de l’Iran chiite. Mais il semble impuissant à définir une stratégie.

La complexité des conflits au Moyen-Orient
AFP

Les perspectives d’un accord sur le nucléaire iranien, qui pourrait être signé d’ici au 30 juin, ont pour effet d’accroître la fragmentation des pays arabes du Proche-Orient déjà déstabilisés par les révoltes populaires en cours depuis plus de quatre ans.
L’Arabie saoudite dispute à l’Iran un leadership sur son environnement proche : Yémen, Irak, Syrie. La montée en puissance du groupe fondamentaliste sunnite Daech, qui a conquis des territoires au nord et à l’ouest de l’Irak ainsi qu’à l’est de la Syrie, menace les régimes établis à Bagdad et à Damas qui sont les alliés de Téhéran.
Invités par Barack Obama à la Maison Blanche puis à Camp David, le mercredi 13 et le jeudi 14 mai, les monarques arabes du Golfe ont fait le constat d’un manque de détermination de Washington à les soutenir dans leur lutte pour contrecarrer l’influence de Téhéran au Yémen, en Irak et en Syrie.
La crise du pouvoir à Damas fait écho à la crise du pouvoir à Bagdad. Si Téhéran a fait la preuve de sa capacité à déstabiliser en sa faveur le leadership de la monarchie saoudienne sur le monde arabe, la poussée des fondamentalistes sunnites menace d’emporter les pouvoirs en place à Bagdad et à Damas, alliés de l’Iran.
Washington, qui cherche à se dégager du bourbier irakien dans lequel il s’est englué depuis l’invasion du pays en 2003, se retrouve en panne de stratégie et sans alliés solides pour stabiliser une région en cours de décomposition.

La crise du Yémen

L’Arabie saoudite a déclenché au Yémen, dans la nuit du 25 au 26 mars, l’opération militaire « Tempête décisive » après avoir réuni une coalition regroupant l’Egypte, le Soudan, la Jordanie, le Maroc, le Koweït, les Emirats arabes unis, le Qatar, le Bahreïn et s’être assuré le soutien politique de la Turquie et du Pakistan.
Le président yéménite Abed Rabbo Mansour Hadi s’est réfugié à Riyad après l’avancée fulgurante des milices du mouvement Ansar allah d’Abdel Malek al Houthi, dirigeant de la communauté zaïdi, qui représente environ 40 % de la population. Houthi bénéficie du soutien de l’Iran et d’une partie de l’armée yéménite restée fidèle à l’ex-président Ali Abdallah Saleh. Les rebelles du nord contrôlent la capitale, Sanaa, et une partie des provinces du sud et de l’ouest.
Cette offensive des rebelles Houthi permet à l’Iran, qui contrôle déjà le détroit d’Ormuz, d’envoyer, sous le prétexte d’assistance humanitaire, ses navires en direction du détroit de Bab el Mandeb, qui donne accès à la mer Rouge.
Washington a dépêché son porte-avions à propulsion nucléaire USS Theodore Roosevelt, l’un des onze porte-avions géants de l’US Navy. Des navires israéliens et égyptiens sont également sur zone ; ce qui souligne la gravité de la situation. Le porte-avions Charles de Gaulle a retrouvé, le 19 mai, son port d’attache de Toulon après plus de cent jours dans les eaux du Golfe.
Dans la partie orientale du Yémen, les islamistes d’al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et ceux de Daech entretiennent un foyer d’insurrection.
Riyad, qui menace depuis le début du conflit de faire intervenir au sol pas moins de 150 000 soldats, est sous pression américaine pour éviter d’envenimer la situation.
Une grave crise humanitaire préoccupe la communauté internationale en raison du nombre élevé des victimes des bombardements aériens saoudiens et des combats au sol inter-yéménites, de la pauvreté des infrastructures hospitalières et des déplacements de population.

Bagdad prise en étau par Daech

Après avoir conquis Mossoul, deuxième ville d’Irak, en juin 2014, le mouvement fondamentaliste sunnite Daech a conquis la ville de Ramadi le 17 mai et menace de prendre en étau Bagdad. La capitale irakienne, où se sont implantées un certain nombre de « cellules dormantes », se trouve à une soixantaine de kilomètres au sud.
La stratégie du gouvernement irakien de Haïdar Abadi, qui consiste à réarmer les tribus sunnites pour combattre Daech avec l’appui de l’armée et de conseillers militaires américains, s’est effondrée. Le recours aux milices chiites pro-iraniennes pour reconquérir les zones sunnites au nord de Bagdad est aussi un échec pour Washington.
Daech menace non seulement la capitale, Bagdad, mais aussi les villes de Karbala et de Nadjaf, considérées comme « saintes » par les chiites. Si le combat est porté sur cette zone, Téhéran ne manquera pas de réagir avec tous les moyens militaires, ce qui pourrait entraîner une grave crise dans ses relations avec Washington, alors que la négociation sur le nucléaire vient de reprendre.
C’est d’ailleurs le but recherché par Daech, dont la conquête de Ramadi a galvanisé les populations sunnites irakiennes en mal de revanche.

Le régime syrien aux abois

Le régime de Bachar el Assad est sur la défensive. Après avoir reconquis le centre de la « Syrie utile », il a subi de graves revers au nord, frontalier de la Turquie, et au sud, frontalier de la Jordanie.
Une coalition des mouvements rebelles à dominante islamiste sunnite bénéficie du rapprochement entre la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, qui a facilité l’acheminement d’armement lourd et sophistiqué.
La ville côtière de Lattaquié, fief du clan Assad, mais aussi la capitale, Damas, sont menacées. Signe de la crise actuelle, des règlements de compte ont eu lieu au sein des cercles dirigeants du pouvoir et des services secrets.
Les dirigeants iraniens, qui soutiennent à bout de bras le régime alaouite des Assad, sont particulièrement préoccupés par la situation. Faute de mieux, les combattants du Hezbollah libanais ont entrepris depuis le début du mois de mai une importante offensive militaire sur les montagnes du Qalamoun qui séparent le Liban de la Syrie, point de fixation de maquis islamistes sunnites. Si les combattants chiites ont réussi partiellement à contenir le danger sur le Liban, il est plus douteux que cela ait un effet déterminant sur la situation syrienne.
La quasi-vassalisation du régime syrien par rapport à son allié iranien a provoqué de graves divisions au sein du pouvoir. Bachar el Assad n’est pas un interlocuteur crédible pour les capitales occidentales qui peinent à négocier une transition.
La nouvelle stratégie de rapprochement entre le roi Salmane d’Arabie saoudite, qui a pris ses fonctions en janvier, et la Turquie a été facilitée par le Qatar. Si la coalition rebelle menace sérieusement le pouvoir, il est plus douteux qu’elle puisse emporter une victoire décisive dans une situation où la prolifération de mouvements armés a créé des fiefs où les politiques auront difficilement la possibilité de faire entendre leur voix.

Israël sur la défensive

Après avoir remporté confortablement les élections législatives du 17 mars, Benyamin Netanyahou s’est retrouvé dans une situation paradoxale : le gouvernement qu’il a formé après un mois et demi de tractations avec ses alliés d’extrême-droite n’a pu obtenir qu’une majorité d’une voix à la Knesset (61 députés sur 120).
La crise qu’il a provoquée avec Washington en défiant le président Obama, le 3 mars, devant le Congrès se double d’une défiance de plus en plus ouverte avec l’Union européenne qui brandit la menace de boycottage économique.
Les concessions qu’il a dû consentir à l’extrême-droite en multipliant la construction de colonies soulignent, s’il en était besoin, l’impasse de sa stratégie du refus de la négociation avec le président palestinien Mahmoud Abbas.
S’il est porté par la radicalisation de l’opinion publique israélienne dans son rejet d’un Etat palestinien, il est défié dans sa politique par de nombreux officiers de Tsahal, anciens combattants ou officiers à la retraite, qui sont partisans de deux Etats sur la même terre. Dans ces conditions, la vie de son gouvernement ne tient qu’à un fil.
Les Palestiniens, qui considèrent que Benyamin Netanyahou a formé un « gouvernement de guerre », ont entrepris des démarches devant les instances de l’ONU et de la Cour pénale internationale, qui pourraient, à terme, provoquer une crise sérieuse au sein du pouvoir israélien.

Les contradictions américaines

La stratégie de Washington, qui consiste à négocier un accord sur le nucléaire iranien pour faciliter l’inclusion de Téhéran dans le jeu politique proche-oriental, se heurte à l’hostilité des monarchies arabes du Golfe et d’Israël.
La multiplication des conflits provoqués par le régime des mollahs au pouvoir à Téhéran a eu pour effet la radicalisation des populations sunnites majoritaires dans le monde arabe.
Washington se retrouve de facto allié de Téhéran pour contrecarrer la montée en puissance du fondamentalisme sunnite.
Cette situation suscite la méfiance des monarchies arabes du Golfe, alliées traditionnelles des Etats-Unis.
Washington, qui soutient depuis le début des années 1990 l’autonomie du Kurdistan irakien, n’a pas, en revanche, réussi à imposer à son protégé israélien la création d’un Etat palestinien qui aurait eu pour conséquence de satisfaire ses alliés arabes et de permettre au peuple palestinien de recouvrer ses droits légitimes conformément aux résolutions des Nations unies.
Ce manque de cohérence et de détermination de la politique américaine au Proche-Orient, outre qu’elle a eu pour effet de marginaliser l’influence des pays de l’Union européenne sur ce dossier, a nourri la montée en puissance du fondamentalisme sunnite et la surenchère du régime chiite au pouvoir à Téhéran.
Les révoltes en cours depuis le début de 2011 dans les pays arabes consacrent l’échec des pouvoirs en place à résoudre une situation socio-économique où la moitié de la population a moins de 25 ans, avec une grande partie de la jeunesse qui n’a pas accès à l’emploi.
Les pouvoirs en place sont incapables de résoudre des conflits de plus en plus inextricables qui sont la conséquence directe de l’absence d’une solution au conflit israélo-palestinien depuis la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948.
Menacés par les velléités impériales de l’Iran et par la stratégie de blocage d’Israël, certains Etats arabes du Proche-Orient – Irak, Syrie, Liban, Yémen – sont au bord de la décomposition.
Cette situation menace la stabilité de la Jordanie et de l’Egypte et, par contagion, pourrait déstabiliser gravement les monarchies arabes de la péninsule.
Guerre ou paix, le Proche-Orient se trouve à la veille de bouleversements majeurs.