L’opération "Bordure protectrice" n’est-elle qu’un énième épisode dans l’affrontement qui oppose Tsahal au Hamas ? Malgré les apparences, bien des traits la distinguent des précédentes, dont "Plomb durci" (28 décembre 2008-18 janvier 2009), préparée de longue date par Tsahal. Personne, au départ, ne voulait ni n’avait cherché une nouvelle opération. L’enchaînement des événements le montre bien.
Le bras de fer commence en Cisjordanie en avril, lorsque le Hamas, relativement isolé sur le plan régional, se rapproche du Fatah, provoquant l’ire du chef de gouvernement de Jérusalem Benjamin Netanyahou qui voit dans cette alliance une menace. Le 12 juin, trois adolescents israéliens qui faisaient du stop sont enlevés près de Hébron. Le Premier ministre accuse d’emblée le Hamas et saisit cette occasion pour torpiller l’union inter-palestinienne et faire arrêter des centaines de militants du Hamas.
Le Hamas à Gaza manifeste sa solidarité avec ses "frères", en tirant des roquettes vers le territoire israélien. Jérusalem ne peut s’abstenir de riposter. Le Hamas ne souhaite pas une confrontation à grande échelle mais ne peut céder aux ripostes de l’aviation israélienne sans apparaître timoré aux yeux des factions palestiniennes plus radicales. Benyamin Netanyahou n’est pas plus désireux de s’engager dans une vaste opération militaire, mais il doit montrer à ses ministres d’extrême-droite qu’il ne reste pas inactif face aux attaques du Hamas. La spirale de la violence est donc engagée qu’aucun des deux camps n’est en mesure de maîtriser. C’est l’exemple même du conflit qui éclate de manière non intentionnelle, à la suite d’une succession d’actes hostiles mal contrôlés et produits par des gouvernements faibles et dépourvus de vision politique.
"Bordure protectrice" est aussi l’opération la plus longue et la plus meurtrière qui ait jamais été menée entre ces deux protagonistes : plus de deux mille personnes ont été tuées, dont la moitié environ sont des civils palestiniens, des milliers ont été blessées ou se retrouvent sans abri. Côté israélien, soixante-douze personnes ont été tuées dont huit civils, bilan qui aurait pu être plus lourd sans le système anti-missiles Dôme de fer.
Deux raisons majeures expliquent ce tragique bilan. La première tient aux décisions militaires malencontreuses qu’Israël et le Hamas ont prises ; la seconde à l’absence de médiateur agréé par les deux parties. un rôle tenu jusqu’ici par l’Egypte de Moubarak ou de Morsi.
Décidée le 8 juillet pour ramener le calme parmi les populations du Sud d’Israël, l’opération "Bordure protectrice" a pris une tournure inattendue. L’armée de l’air israélienne ne réussissant pas à venir à bout des missiles palestiniens, Benyamin Netanyahou autorise Tsahal, le 17 juillet, à entrer dans la bande de Gaza pour un temps limité. Le Hamas commet alors une erreur majeure, avant que l’incursion n’ait lieu, en utilisant les tunnels qu’il a creusés clandestinement pour lancer des attaques contre le territoire israélien. Il réussit à tuer plusieurs soldats. Un sentiment de terreur s’empare des Israéliens du Sud.
Tout bascule à ce moment précis. Tsahal se retrouve obligée de donner la priorité à la destruction des tunnels dont elle découvre l’ampleur. Elle modifie à la hâte ses plans initiaux. La progression est lente et se fait sous le feu ennemi. L’artillerie entre en action en couverture des unités d’infanterie. Le résultat est dévastateur.
Aucune sortie de crise n’aura été aussi longue et chaotique. Tsahal se retire de Gaza, le 2 août, ne voulant pas continuer à exposer ses troupes. Elle affirme avoir détruit tous les tunnels "offensifs" mais rien n’est pourtant réglé. Le gouvernement israélien exige la démilitarisation de la bande de Gaza comme préalable à tout accord de cessez-le-feu, tandis que pour le Hamas, la priorité est non seulement la reconstruction des quartiers détruits par les bombardements israéliens mais aussi la levée du blocus terrestre, maritime et aérien de ce territoire et la libération de ses membres arrêtés en Cisjordanie. Plusieurs réunions infructueuses se tiennent au Caire. Les hostilités reprennent, le 19 août, à l’initiative des Palestiniens. Lorsque l’on s’engage dans une guerre sans définir au préalable des objectifs précis et réalistes, il est difficile de la maîtriser et de s’en désengager au moment opportun.
Le 26 août, le Hamas accepte après de multiples tentatives infructueuses la proposition égyptienne d’un cessez-le-feu illimité. Celui-ci prévoit dans un délai d’un mois la tenue d’une conférence qui s’attacherait à résoudre les principaux différends. Israël suit. Chacun des belligérants crie victoire – ici, la continuité l’emporte ! –, mais nous sommes pourtant bien face un match nul, au sens propre comme au figuré. Cette guerre n’avait rien d’inévitable. Tsahal n’a pas réussi à vaincre militairement le Hamas. Elle l’a seulement affaibli. L’économie israélienne a également été affectée. Tsahal a perdu 64 hommes, les pertes les plus importantes depuis que l’armée affronte le Hamas. La cote de popularité du Premier ministre Benyamin Netanyahou a chuté de plus de vingt points.
Le Hamas, quant à lui, s’est lancé avec légèreté dans cette aventure et sort exsangue de ces cinquante jours de guerre. C’est lui, et non Israël, qui a finalement accepté le premier le cessez-le-feu du 26 août, sans autre garantie qu’une vague promesse de voir ses demandes traitées d’ici un mois. En revanche, il a réussi à entraîner Tsahal à tirer sur des zones habitées, suscitant une réprobation internationale. Aucun des deux camps n’a atteint les objectifs maximalistes qu’ils s’étaient fixés.
Les négociations qui vont s’ouvrir au Caire sont-elles pour autant condamnées à l’échec ? Rien ne garantit que le Hamas acceptera de désarmer ni qu’Israël consentira à la construction d’un port et d’un aéroport à Gaza. Mais pour la première fois pointe une (faible) lueur d’espoir. Le maximalisme des revendications est paradoxalement révélateur d’une prise de conscience des limites de la force armée. Personne ne veut se satisfaire d’un compromis bancal comme par le passé. Il y a un net sentiment de fatigue partagé. C’est un premier pas vers la raison. Le second serait de reconnaître que les revendications sont des objectifs à court terme et que sans un accord prévoyant le règlement politique du conflit, les éventuels arrangements qui seront mis en place demeureront nécessairement fragiles.