Il y a vingt ans, l’assassinat d’Yitzhak Rabin

Près de 100 000 Israéliens se sont massés, samedi 31 octobre, sur l’ancienne place des Rois d’Israël, au centre de Tel-Aviv, où Yitzhak Rabin a été assassiné le 4 novembre 1995 et qui porte désormais son nom. Israël, qui n’avait pas connu un tel rassemblement des partisans de la paix depuis longtemps, vit, depuis le début du mois d’octobre, de graves événements. Des Arabes israéliens commettent des attaques au couteau contre leurs concitoyens juifs israéliens, faisant plusieurs dizaines de victimes de part et d’autre.

L’enterrement d’Yitzhak Rabin
Israel Valley

Vingt ans après l’assassinat d’Yitzhak Rabin par Yigal Amir, un extrémiste juif d’origine yéménite, le camp de la paix, anéanti par l’effondrement du processus de négociation, la multiplication des colonies et la montée de la violence, a voulu démontrer qu’il existe encore. La présence à la tribune de l’ancien président des Etats-Unis, Bill Clinton, et le message du président actuel Barack Obama, diffusé sur écran géant, ainsi que le discours du président israélien Réouven Rivlin, membre du Likoud, ont donné à cette manifestation une touche consensuelle qui pourrait paraître dérisoire face au climat de violence et de tension qui prévaut entre les deux communautés, juive et arabe.

Une rupture

C’était il y a vingt ans, le 4 novembre 1995, alors que le camp de la paix était encore réuni pour un concert sur la place des Rois d’Israël à Tel-Aviv. Yitzhak Rabin rejoignait tranquillement sa voiture pour rentrer chez lui. A 73 ans, le Premier ministre, considéré par les Israéliens comme l’un des héros de la guerre d’indépendance de 1948 et de la conquête de Jérusalem en 1967, avait surmonté sa réserve légendaire en chantant devant 130 000 personnes réunies pour célébrer la paix signée quelques mois plus tôt avec un adversaire palestinien devenu partenaire.
Trois projectiles tirés dans le dos par Yigal Amir ont suffi pour briser le rêve. Israël ne s’en n’est jamais remis. Mais si le rêve s’est effondré, le peuple israélien, figé dans la douleur, n’a pas réglé ses comptes comme on pouvait le craindre. Victime expiatoire d’une paix qui paraissait si lointaine, Yitzhak Rabin a, au-delà de la mort, réussi à sauvegarder l’essentiel de son héritage politique : la solidarité du peuple juif face à l’adversité.
Mais l’événement a durablement marqué une rupture. On estime désormais à 15% les partisans de la paix au sein de la population juive israélienne. Quant aux Arabes israéliens, qui représentent 18% de la population, et qui auraient pu constituer un trait d’union entre Israël et la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza, ils se sont, au contraire, radicalisés face à la pression de plus en plus forte qui pèse sur eux. C’est d’ailleurs le principal échec dû à la violence qui s’accroît depuis vingt ans et qui menace de fragmenter plus encore la société israélienne.

Paix et sécurité

Le 23 juin 1992, les électeurs israéliens assuraient une large victoire au parti travailliste, le Mapaï, et à son allié le Meretz. Les élus arabes de la Knesset s’associent à cette majorité. Yitzhak Rabin est nommé Premier ministre. Dans son discours devant les élus, il martèle deux slogans : paix et sécurité. « Ce n’est pas à nous qu’on apprendra ce que c’est la sécurité », affirme l’ancien général, chef d’état-major et ministre de la Défense. « Israël doit conduire à son terme le conflit israélo-arabe », poursuit Rabin. « Le choix est entre les mains des Palestiniens des territoires ».
Pour ceux qui n’imaginent pas le déni dans lequel se trouvaient les Palestiniens jusqu’au début des années 1990, il faut savoir que ces mots ont agi comme une déflagration. Il y a un peuple palestinien et le gouvernement israélien lui tend la main pour construire la paix.
Ce fut le début du processus de négociations qui a conduit à ce qu’on a appelé « Les accords de paix d’Oslo ».
Doté d’une confortable majorité parlementaire, d’un soutien sans réserve de Washington, d’une coopération sans faille de l’Egypte et de la Jordanie, Yitzhak Rabin met en place une solide équipe de négociateurs face à l’équipe de Yasser Arafat qui comprend ses plus proches collaborateurs. La loi interdisant tout lien entre un citoyen israélien et l’OLP est aussitôt abolie par la Knesset. Et, le 13 septembre 1993 à Washington, à l’occasion d’une cérémonie solennelle pour la signature de l’accord de principe, c’est la poignée de mains entre Rabin et Arafat, un geste historique même s’il parait un peu forcé de la part du Premier ministre israélien.

Une mise à mort annoncée

Quelques mois plus tard, le 24 février 1994, dans un lieu sacré pour les fidèles des trois religions monothéistes, le caveau des Patriarches à Hébron, Baruch Goldstein, un médecin juif extrémiste d’origine américaine, massacre de sang-froid à la mitraillette des musulmans réunis pour la prière, faisant 29 morts et 125 blessés. Cet attentat, condamné fermement par Yitzhak Rabin, est salué par certaines organisations extrémistes. La prière de malédiction « Poulsa de Noura » pour la mort d’un homme honni est récitée par certains rabbins.
Le 5 octobre 1995, la surenchère politique agite la Knesset. L’opposition, portée par Yitzhak Shamir et Benyamin Netanyahou, invective Rabin, le traitant de traître, tandis que des manifestants extrémistes sillonnent le centre-ville de Tel-Aviv au cri de « A mort Rabin ! », agitant un mannequin affublé d’un uniforme de SS à l’effigie du Premier ministre israélien. C’est une mise à mort annoncée.
Un mois plus tard, le 4 novembre, le camp de la paix réagit en se réunissant massivement sur la place des Rois d’Israël. « La violence ronge les fondements de la société israélienne », affirme Rabin. « Nous avons trouvé un partenaire pour la paix », poursuit-il. « La voie de la paix est préférable à celle de la guerre », ajoute-t-il avant d’entonner avec le chanteur Aviv Guefen et l’ensemble de la foule le Chant de la paix, hymne de ralliement des pacifistes israéliens, longtemps interdit par l’armée.
Puis ce fut la mise à mort…dans le dos.
« C’est la fin du processus de paix ! », s’inquiétait aussitôt Yasser Arafat auprès d’un diplomate français.
C’était effectivement la fin !
Mais l’histoire n’est pas finie. Elle est en suspens.