L’Europe au défi de l’enseignement de l’histoire

Le développement de l’enseignement de l’histoire à l’école a accompagné celui de l’Etat-nation au XIXe siècle. Aujourd’hui, dans une Europe en paix, et alors que la discipline a évolué, il est nécessaire de réfléchir à la manière de faire émerger la conscience de l’appartenance à un ensemble européen commun. Président de l’Observatoire européen de l’enseignement de l’histoire, président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schuman, l’ancien député européen Alain Lamassoure invite les Européens à débattre de leur passé pour construire, à partir de leurs récits nationaux, un destin partagé.

Erasme
Peinture de Quentin Metsys, 1517/Wikipedia

Sans attendre la béatification de Robert Schuman par l’Église, beaucoup considèrent le principal résultat de la construction européenne comme un miracle. Contrairement à ce qui est souvent dit, la première des réussites de cette construction n’est pas la paix : il serait puéril de prétendre que, sans le traité de Rome, une troisième guerre mondiale aurait vu le jour à partir du Vieux Continent. En revanche, la vraie réussite, que l’on peut qualifier de miracle parce qu’elle n’a aucun précédent historique, nulle part, c’est la réconciliation entre des peuples voisins qui s’étaient considérés pendant des siècles comme des ennemis héréditaires.

La paix européenne, une pax europeana profondément originale, n’est pas une simple absence de guerre. C’est bel et bien la paix des cœurs. Nos pères se haïssaient à mort, nos enfants convolent en justes noces. Non seulement plus personne n’imagine un conflit armé entre nos pays, mais une sorte de pacifisme informulé est devenu tellement naturel aux générations actuelles que le simple fait d’associer « Europe » et « paix » les fait bâiller d’ennui. Au point, d’ailleurs, de compliquer la mise en place d’une Europe de la défense, dont nous avons pourtant besoin … parce que le reste du monde, lui, n’est pas du tout vacciné contre la guerre. Mais rien n’est éternel sous le soleil et surtout pas les miracles. Notre devoir est de le consolider et de l’enraciner.

L’histoire naît avec la nation

Cela exige d’abord d’en transmettre le récit et les enseignements à la jeune génération. Donc, par l’enseignement de l’histoire à l’école. L’introduction de l’histoire comme discipline scolaire a été concomitante à la floraison des nations au XIXe siècle. Ce n’est pas un hasard : pour enflammer, exalter ou, au moins, consolider le sentiment d’appartenance à une même communauté nationale, rien de tel qu’un récit fondateur, puisant volontiers dans la légende, voire le mythe. Exaltant les héros nés de la terre ancestrale ou y reposant à jamais. Et démontrant le caractère exceptionnel du destin de la nation. S’agissait-il d’une grande puissance ? Le récit montrait comment elle avait dominé l’Europe, voire le monde, et comment son déclin n’avait été dû qu’à la jalousie de ses adversaires coalisés ou/et à la trahison interne. S’agissait-il d’un petit pays ? La nation avait subi des siècles de domination impériale, pouvant aller jusqu’à un martyre christique sans équivalent, sauvant, par son sacrifice, la civilisation européenne de la barbarie. Exaltation de la gloire passée ou surenchère victimaire inspiraient l’édification de la jeunesse nationale.

Ce terreau s’avéra hélas fertile pour passer du patriotisme de bon aloi aux plus extrêmes des nationalismes. Deux guerres mondiales plus tard, toutes deux nées en Europe, avec leur cortège de tragédies indicibles, suivies de la décolonisation, de la fin de la guerre froide et de la mise en place d’un ordre mondial bâti tant bien que mal sur les grandes valeurs universelles de paix et de respect des droits de l’Homme, le récit du passé ne peut plus du tout être le même.

Raconter le passé à l’âge de la paix : le dilemme

La conception même de la discipline et, naturellement, le contenu et l’esprit des programmes ont dû être entièrement revus. Ce fut le cas au lendemain de la guerre en Europe occidentale, puis après la disparition des dictatures au sud et celle du communisme totalitaire à l’est. On s’est alors rendu compte qu’enseigner l’histoire dans un monde qui se veut en paix et particulièrement sur un continent qui a réconcilié ses peuples, est infiniment plus complexe qu’à l’époque où la guerre apparaissait comme un mal incurable, inhérent à la condition humaine.

Or, si de nombreuses organisations internationales multiplient les conseils et recommandations – UNESCO, Conseil de l’Europe, Union européenne, OCDE ou OSCE –, la responsabilité de l’éducation demeure entièrement une compétence nationale : s’il est un domaine où le mot « souveraineté nationale » a encore un sens, c’est bien celui qui concerne la transmission du savoir à la génération suivante. Sur l’enseignement du passé, chacun de nos pays se heurte désormais à un dilemme originel. D’un côté, nous voulons consolider cet acquis miraculeux de la construction européenne : la paix des cœurs, la réconciliation entre nos peuples. Nos enfants n’imaginent pas une seconde combattre qui que ce soit et ils considèrent l’espace Erasmus comme leur terrain de jeu naturel. Le récit du passé doit être évidemment conçu pour renforcer ce sentiment. La tentation est alors forte de gommer les épisodes douloureux, les personnages controversés, voire la face sombre du passé, national ou européen. Allant jusqu’au risque de perdre le fil du récit par peur de ne pas pouvoir faire comprendre le contexte différent des périodes, qui est l’essence même de l’histoire.

Mais, de l’autre, à l’âge de la mondialisation, jamais le besoin d’appartenance à un groupe familier, d’affirmation d’une identité collective, de recherche de ses racines, de connaissance et de reconnaissance des « siens », n’a été aussi fort. Or, non seulement chacun a besoin de connaître ses ancêtres mais, quelque part aussi, il a besoin d’en être fier. Au moins d’avoir quelques raisons de fierté, même si le passé le plus récent n’a pas toujours été irréprochable. Et là, revient la tentation d’un récit quelque peu chauvin, voire gentiment animé d’un narcissisme national. En Europe, la nation reste la communauté d’appartenance la plus naturelle. Pour ceux qui ne s’y reconnaissent pas, la quête d’une autre communauté idéale – un fondamentalisme religieux, idéologique, ou néo-national – revêt des formes passionnelles, voire violentes, qui remettent en cause le « vivre ensemble ».

Comment espérer faire vivre l’Europe comme une famille de peuples si chacun de ces peuples est lui-même déchiré ? Car si la réconciliation est acquise, si la guerre nationale est bien morte en Europe, son premier lieu de naissance, le vrai mal originel, n’est pas exorcisé : celui de l’instinct de la violence, celui de la recherche d’un bouc émissaire, la méfiance de « l’autre », la recherche d’une identité collective dans la haine d’un ennemi commun. A partir de là, comment trouver le juste équilibre entre la formation de citoyens et la formation de patriotes ? Et s’agit-il de citoyens de la démocratie nationale, de citoyens de l’Europe ou de citoyens du monde ? Forme-t-on des patriotes régionaux, nationaux ou européens ? Quel dosage faire, dans le récit du passé, entre la fierté des heures de lumière et le remords de la face sombre ? Entre le sec rappel des faits et l’invitation au jugement qui comporte, évidemment, une dimension morale, faut-il alors recourir aux standards de l’époque, à ce que les historiens appellent la « contextualisation », ou à nos idéaux contemporains, d’une exigence quasi illimitée ? Puisque, implicitement, l’histoire est un passé enseigné aujourd’hui pour préparer un futur meilleur. Mais au fait, le futur de qui, et meilleur, en quoi ?

Défis et opportunités du siècle

À ce dilemme originel viennent s’ajouter de nouvelles difficultés propres à la discipline historique en ce XXIe siècle. Et d’abord la pénurie du temps disponible. Dans un horaire d’enseignement fatalement limité, avec l’inévitable priorité donnée aux sciences exactes et le développement des autres « sciences » sociales (économie, droit), il est difficile de ne pas donner à l’histoire une portion congrue en heures de cours et/ou en coefficient de notation. Sans oublier la multiplication des attentes des familles à l’égard de l’éducation : initiation au secourisme, à la protection de l’environnement, à la tolérance envers les minorités, à la prévention des pratiques addictives et des maladies transmissibles, sans parler de la politesse et de la sociabilité.

En face de cette pénurie, surgit le tsunami des sources d’information. La révolution internet submerge tout, de la recherche historique la plus pointue au débat en salle de classe. Par l’explosion des documents écrits, filmés, numérisés, et par l’accès à distance à toutes les bibliothèques du monde ; et par la multiplicité des récits eux-mêmes : à partir des meilleures universités européennes, mais aussi américaines et demain asiatiques et africaines, des regards extérieurs viennent scruter nos histoires nationales, avec d’autres ambitions, d’autres exigences et, sans doute, d’autres préjugés que les nôtres. La seule encyclopédie en ligne Wikipédia a renvoyé le manuel et le dictionnaire de Papa à l’âge du jurassique.

Un autre embarras provient de la relation entre ce qui est enseigné à l’école, dans le contenu et l’esprit, et ce que montre « l’école de la vie » : les souvenirs familiaux, les discours politiques, les médias, le cinéma, les commémorations civiques. Toutes les écoles de France invitées à participer aux commémorations du 11 novembre pendant cent ans, c’est une leçon d’histoire plus forte que tous les manuels – et réjouissons-nous que la pédagogie républicaine soit passée peu à peu de l’éloge de la « revanche » au plaidoyer pour la paix. De leur côté, les régimes autoritaires ont fait la preuve que le bourrage de crâne était impuissant face au sentiment profond d’un peuple ; mais n’y-a-t-il pas des formes plus subtiles pour orienter les esprits à partir des émotions du cœur ?

Embarras encore sur la part d’oubli qui est nécessaire à l’apaisement et à la réconciliation quand on relate une histoire contemporaine douloureuse. Tous les peuples ont besoin d’un temps, sinon d’oubli, au moins de brouillard précautionneux, de sfumato – qu’il faut éviter de traduire par « enfumage » : les Russes, sur la face la plus sombre de la période communiste, les Espagnols sur les affres de la guerre civile. Après la Libération, les Français ont eu d’abord besoin d’une phase, disons de pudeur, sur la période de l’Occupation, puis sur la guerre d’Algérie, et aujourd’hui sur les conséquences de la décolonisation. De même qu’un individu a besoin du « temps du deuil », un peuple doit pouvoir se reposer de ses souffrances, se distraire, regarder ailleurs, vivre, oublier. Comment ? Pour combien de temps ? Et comment en sortir ? Ce n’est jamais simple. Chaque cas est différent. Le pardon délivré de l’oubli ne peut venir qu’avec le changement de génération, mais il n’est pas rare que la troisième génération veuille rouvrir les tombes fleuries par la précédente.

Quelques regards hors de l’hexagone

Ces difficultés sont communes à tous les États. S’y ajoutent les particularités propres au passé de certains pays. En France, nous avons la chance d’hériter d’une longue histoire nationale, pleine de bruit et de fureur, mais dont la présentation rétrospective peut être relativement linéaire, malgré les accidents de parcours les plus variés. La présentation du passé, même assez lointain, pose des questions beaucoup plus complexes pour certains de nos partenaires. Juste quelques exemples. Comme ses voisins baltes, la Lituanie est devenue un État indépendant au XXe siècle avant même d’être une nation. Doit-elle insister aujourd’hui sur la gloire du Grand-Duché de Lituanie, qui s’étendit de la mer Baltique à la mer Noire au XIVe siècle, ou sur son histoire proprement nationale, certes valeureuse mais plus modeste, et aux frontières élastiques ? Sa capitale actuelle, Vilnius, a été historiquement « la Jérusalem du nord », la ville juive de Vilna, avant de devenir la polonaise Wilno, où nul ne parlait lituanien avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et sa promotion de capitale nationale d’un pays né sans elle.

Comment la Pologne peut-elle échapper à un long récit victimaire – trois fois dépecée entre ses trop grands voisins au XVIIIe siècle, deux fois détruite et saignée à blanc au XXe, et occupée successivement par les deux grands totalitarismes modernes ? Quand je parle de la Deuxième Guerre mondiale à un Polonais, mon interlocuteur « pèse » 6, 5 millions de morts, soit dix fois plus que moi, alors que nos pays ont commencé et fini la guerre le même jour : lequel de nous est en mesure de donner des leçons à l’autre sur la période ? Ce qui ne donne pourtant aucun brevet de légitimité au récit qu’en fait le parti polonais au pouvoir. Comment la Serbie et le Kosovo peuvent-ils réconcilier facilement le récit de leur naissance, les Serbes considérant la défaite du « Champ des Merles » (Kosovo Polje) du 15 juin 1389 comme le sacrifice mystique fondateur de leur nation, alors que la victoire ottomane a débouché sur le peuplement du Kosovo par 90% d’Albanais islamisés ? Il y a des peuples « accablés d’histoire ».

Pour la Grèce contemporaine, le défi est d’apparaître comme autre chose que le musée de l’illustrissime Hellade. Depuis son unification, l’Italie est toujours à la recherche d’un modèle politique contemporain qui ne soit pas indigne de la Rome impériale, ni des Républiques urbaines de la Renaissance ; et d’un leader qui lui redonne une fierté nationale euro-compatible, dont cette démocratie parlementaire originale a autant besoin que nous. De son côté, l’Irlande ne sera en paix avec son long passé douloureux que lorsque sera supprimé – dans quel sens ? – le point d’interrogation suspendu sur une réunification de l’île. À l’autre bout de l’Europe, la remarque vaut de la même manière pour Chypre, alors même qu’il est difficile d’imaginer passés aussi différents que ceux de la verte Erin et de l’île d’Aphrodite. D’autres peuples ont été ballottés par les mensonges successifs et contradictoires imposés par des régimes totalitaires, ou simplement autoritaires, dans le récit du passé. Pendant des décennies, le « révisionnisme » périodique des programmes y a été la règle. Les héros morts se succédaient au panthéon symbolique au même rythme que les dirigeants nationaux sur le trône : peuple, voici ton nouveau maître et les seuls fantômes que tu dois désormais chanter ! Or, pour un peuple, le libre choix de ses héros est au cœur d’un régime de liberté. Un libre choix aussi difficile à conquérir, puis à conserver, que ce régime lui-même.

Le cas le moins simple est assurément celui de l’Allemagne. Le 9 novembre 1989, venue de Berlin-Est, une marée de jeunes enthousiastes a submergé Checkpoint Charlie avant d’attaquer le Mur à la pioche. Mettons-nous à la place des historiens allemands : comment pouvait-on donner à ces jeunes la fierté de leur pays et d’eux-mêmes, en leur enseignant que leurs pères étaient des « salauds » – au sens sartrien – parce que communistes, et leurs grands-pères des « salauds » parce que nazis ? Et pourtant, il n’est pas d’identité sans fierté de soi-même et des siens ! Comprenons enfin que nous ne pouvons pas avoir la même mémoire des grandes dates de notre histoire commune. Le 11 novembre, la France célèbre l’armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale, comme une victoire douloureuse. L’Allemagne se souvient d’un coup de poignard dans le dos donné à son armée qui, à l’époque, bien que submergée par le nombre, occupait encore le sol français. Tchèques et Slovaques se réjouissent de leur première indépendance et la Roumanie célèbre quelques jours plus tard, le 1er décembre, son élargissement à la Transylvanie, précédemment hongroise. Quant aux Autrichiens, débonnaires, ils se consolent de la disparition de leur empire séculaire en ayant fait du 11 novembre le premier jour de carnaval ! De même, pour les Européens de l’ouest le 8 mai et pour les Russes le 9 mai sont des jours de gloire, souvenir de la capitulation de l’Allemagne nazie. Mais pour toutes les anciennes « démocraties populaires », ces dates n’ont marqué que le passage d’une tyrannie totalitaire à une autre.

Le point de départ : un observatoire

Faut-il donc chercher le fil d’un récit commun ? Non point, mais s’assurer que chacun peut écouter celui de l’autre. Le « narratif commun », en quoi Paul Ricoeur voyait l’identité européenne, n’est pas un récit unique, mais une symphonie de récits, qu’il nous appartient d’accorder. Il n’est pas un pays européen où l’enseignement de l’histoire ne soit considéré comme en crise. Il n’en est guère où la communauté nationale ne traverse un temps de malaises identitaires que traduisent l’émergence de nouveaux partis xénophobes et nationalistes et la montée aux extrêmes de la violence des débats politiques. La concomitance des deux phénomènes n’est pas une coïncidence. Nos sociétés peuvent-elles se réconcilier avec elles-mêmes, comme entre elles, en se réconciliant avec leur passé ? Mais comment s’y prendre, alors que l’éducation est fondamentalement une compétence nationale et qu’aucun pays, à commencer par le nôtre, ne supporterait une ingérence extérieure en la matière ?

Devant une exigence nécessaire et impossible, la meilleure approche est celle de la méthode Monnet-Schuman : proposer un premier pas modeste dans la direction souhaitée. Un pas tellement modeste que nul ne peut raisonnablement y objecter – même si tous n’y donnent pas suite immédiatement. Mais un premier pas conçu de manière à ce que sa réussite rende nécessaire un second, puis un troisième : et voilà la marche engagée ! Le premier pas a été la création d’un Observatoire européen de l’enseignement de l’histoire. Son objectif est simplement de faire un état des lieux de cet enseignement dans les pays européens : qui enseigne quoi et comment, à l’école, du primaire à la fin du secondaire ? Quelles sont les connaissances que l’on attend d’un futur citoyen à la sortie de la période d’enseignement obligatoire ? Il s’agit de dresser une photographie, objective et complète, depuis la conception des programmes jusqu’à la nature des examens, en passant par la formation des enseignants ou le statut des manuels.

L’Observatoire a été créé, il y a un an, sous l’égide du Conseil de l’Europe, par 17 pays fondateurs, à l’initiative de la France, et notamment de son ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer. Ses travaux sont conduits sous la responsabilité d’un conseil scientifique de 11 historiens, enseignants, muséologues choisis pour leurs références professionnelles reconnues et pour leur indépendance personnelle. L’Observatoire a commencé de collecter toutes les informations, les « pixels », de la photographie d’ensemble. Il faudra ensuite les traduire dans toutes les langues et en donner une présentation d’ensemble harmonisée pour faciliter les comparaisons entre les pays. Une photographie complète, exacte, certifiée, mais dépourvue du moindre commentaire critique : l’Observatoire observe, décrit, publie, il ne juge pas. La première publication du tableau complet aura lieu en 2023.

De l’observation au débat : le choc de la photo

C’est alors que s’engagera le second pas, déjà en préparation : le débat. Ou plutôt les débats. Académies, universités, administrations, associations d’enseignants, parents d’élèves, médias, ONG et, naturellement, parlementaires européens et nationaux seront invités à commenter le paysage d’ensemble et à émettre des avis, jugements, conseils ou critiques. L’effet de choc sera garanti devant la découverte des différences énormes entre les systèmes nationaux : horaires hebdomadaires variant entre 2h et 8h ; enseignement conçu, tantôt comme une acquisition de connaissances, tantôt comme une acquisition de compétences ; récit centré sur la seule histoire nationale, ou traitement de grands thèmes transversaux dépourvus de chronologie ; matière obligatoire ou matière à option pour l’examen final ; liberté entière d’édition des manuels et du matériel pédagogique, ou manuel unique obligatoire ; discipline à part entière ou fusionnée avec d’autres sciences humaines ; enseignants formés à la pédagogie et à la didactique, ou invités à les apprendre par eux-mêmes. Pour ne citer qu’un exemple, la réaction du Parlement européen devrait être très vive lorsqu’il constatera que, dans la moitié des Etats membres de l’Union, y compris parmi certains pays fondateurs, la construction européenne, ses « Pères fondateurs », ses traités de base, ne figurent même pas au programme d’histoire contemporaine…

Attention ! Le but final n’est pas de parvenir à un « roman européen » uniformisé, aseptisé, présentant une version commune « politiquement correcte » de notre passé commun. Redisons-le : l’éducation restera une compétence nationale. Mais conformément aux nombreuses recommandations adoptées périodiquement, tant par le Conseil de l’Europe que par l’Union, et aussitôt oubliées par leurs signataires, les systèmes nationaux sont tenus de respecter trois principes. Le récit du passé doit être fondé sur des faits scientifiquement vérifiés : les légendes peuvent y avoir leur place, mais comme légendes. Les récits nationaux doivent être compatibles les uns avec les autres, chacun tenant compte du récit de l’autre, garantissant que l’esprit de l’enseignement est de renforcer la réconciliation entre nos peuples et non d’entretenir les ressentiments anciens. Enfin, de ces dizaines de récits nationaux différents, doit émerger la conscience de l’appartenance à un ensemble européen commun – Civilisation ? Culture ? Famille ? En tout cas, une destinée commune, assurément.