La France doit retrouver sa place au Moyen-Orient

A la veille d’une importante échéance politique française, le groupe Avicenne a entrepris une réflexion sur ce monde en plein bouleversement et plus précisément sur la région qui, du Maroc à l’Iran en passant par la Syrie est la plus affectée par cette évolution et propose des orientations qui marquent une inflexion de la politique étrangère menée depuis dix ans. Le Groupe Avicenne est un groupe de réflexion qui réunit depuis 2007 des chercheurs, des diplomates et des journalistes de sensibilités politiques différentes, qui s’intéressent au Maghreb et au Moyen-Orient.
Le texte ci-dessous — le titre est de Boulevard-Exterieur — est le résumé du rapport.

Du Sahel à l’Indonésie, un arc de crise s’est formé : la plupart des pays musulmans sont confrontés à des troubles, des violences voire des situations de guerre. Si le Moyen-Orient est l’épicentre de ces violences et est devenu avec l’Etat islamique et Al Qaïda un vivier proliférant de terroristes, ces violences essaiment en Afrique comme en Europe et affectent la sécurité de nombreux pays, dont la France touchée à de nombreuses reprises par des attentats djihadistes. En fait cette zone connait de profondes mutations dont le mal nommé printemps arabe n’est qu’une des manifestations.
Les sociétés sont profondément affectées par la modernité et par le processus de mondialisation. On assiste tout à la fois à un rejet de l’Occident et à une contestation de l’autorité, qu’elle soit politique ou sociétale. Le slogan « L’islam est la solution » sert de programme aux mouvements islamistes qui apparaissent comme une alternative. Une frange radicalisée bascule dans le djihad et représente une menace terroriste qui risque d’affecter encore longtemps la sécurité du monde, en particulier de l’Europe, proche de cette région.
Or nous sommes liés au Maghreb et le Moyen-Orient par une histoire partagée, par la proximité géographique, par des intérêts culturels et économiques mutuels. Les événements qui s’y déroulent ne peuvent nous laisser indifférents.

Un arc de crises qui menace notre sécurité.

La situation sur le terrain est complexe avec de nombreux acteurs régionaux ou extérieurs à la région, ayant des objectifs différents et développant des politiques souvent déstabilisatrices. Globalement, cette région connaît de fortes turbulences, qui vont des violences intermittentes à de véritables guerres. Le nombre d’Etats faillis augmente tandis que de plus en plus de pays, y compris ceux où apparemment l’ordre règne, présentent des fractures et des fragilités.
Cette situation a des conséquences graves qui dépassent cette région : une nouvelle donne géopolitique au détriment de l’Occident ; une menace terroriste grave qui affecte directement notre pays ; des flux de réfugiés d’une ampleur sans précédent, attirés vers l’Europe ; une remise en cause des frontières.
Ces turbulences ne sont pas nées du hasard. Elles résultent de la conjonction d’événements ou d’évolutions qui ont profondément affecté l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, parfois depuis plus d’un siècle : le poids de l’Histoire, ces pays longtemps sous la domination ottomane puis celle de la colonisation, ayant acquis leur indépendance souvent dans le ressentiment ; la faillite de leur gouvernance quand ils sont devenus indépendants ; la montée de l’islam radical depuis une trentaine d’années ; l’échec, sans doute provisoire, des révolutions arabes ; l’affrontement par procuration entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui instrumentalisent l’opposition pluriséculaire entre chiites et sunnites qui se manifeste sur de nombreux champs de bataille ; les interventions occidentales à répétition, notamment celle des Etats-Unis en 2003 en Irak, particulièrement déstabilisatrice. file:///C:/Users/DV/Downloads/RAPPO...f

Une région prioritaire pour la politique étrangère

Ce diagnostic offre des pistes de réflexion qui pourraient orienter notre politique étrangère au Maghreb et au Moyen-Orient, en prenant en considération les intérêts fondamentaux de la France sur le long terme. Le groupe Avicenne est bien conscient de la difficulté de l’exercice, compte tenu de la complexité et de la fluidité de la situation qui apparaît souvent hors contrôle et de la diversité des parties prenantes, y compris d’acteurs non étatiques disposant de la force armée.
Par ailleurs, il est toujours plus facile de poser un diagnostic que de définir des lignes d’action concrètes et opérationnelles. De plus la marge de manœuvre et la capacité d’influence dont disposent les pays occidentaux, notamment la France, ne sont plus ce qu’elles étaient. Mais la France ne peut pas négliger cette région qui représente son environnement immédiat et où elle a de forts intérêts économiques
et culturels. Elle dispose d’atouts que sa diplomatie sait utiliser souvent avec efficacité. Elle reste une puissance d’influence grâce notamment à sa position de membre permanent du Conseil de sécurité et à sa place au sein de l’Europe.
Les propositions qui sont ainsi faites doivent respecter les principes fondamentaux qui, dans le passé, ont animé notre politique étrangère : l’indépendance, le dialogue
avec tous et le rôle d’« honnête courtier », la recherche de l’intérêt national dans une perspective à long terme, la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays souverains et, en dernier recours, des interventions militaires, subordonnées à l’accord des gouvernements légaux ou avalisées par le Conseil de sécurité.
La France doit développer une politique étrangère, conforme à ses intérêts à long terme, avec trois objectifs : contribuer à la sécurité de notre pays, travailler à la solution des principales crises régionales, établir avec les sociétés civiles du sud des partenariats porteurs de paix.

Six orientations majeures

Sur la base de ces objectifs, nos propositions sont les suivantes.
Agir en concertation avec l’Allemagne et nos principaux alliés européens.
Face aux bouleversements que connaissent le Maghreb et le Moyen-Orient et au terrorisme, la France et l’Allemagne sont également concernées. Aucun pays européen ne dispose seul des moyens d’apporter des réponses solides aux défis de l’arc de crise. Nos deux pays comptent également une population importante venant de cette région. Seule une politique concertée, conçue et mise en œuvre par la France et l’Allemagne, et étendue à nos proches alliés européens, est de nature à
permettre dans la durée une action ambitieuse.
Dialoguer avec tous les acteurs qui comptent dans la région.
Parmi les acteurs présents dans la région, dont certains ont été trop souvent négligés, on doit compter la Russie redevenue un acteur majeur dans cette zone où elle a étendu son influence au-delà de celle de l’URSS. Si ses intérêts ne coïncident pas toujours avec les nôtres, nous partageons le même souci de lutter contre le terrorisme. La Chine est de plus en plus présente avec des objectifs politiques qui
dépassent largement les préoccupations commerciales initiales. Tout aussi important est l’Iran qui a étendu son influence sur le Moyen-Orient arabe : son action peut être déstabilisatrice, mais elle a besoin en même temps de stabilité pour mobiliser tous ses moyens pour rétablir la croissance de son économie. La France peut contribuer à encourager l’Iran et l’Arabie saoudite à normaliser leurs relations, car leur rapprochement est une condition essentielle d’une véritable normalisation de cette
zone sensible. Le dialogue politique doit également s’intensifier avec les acteurs non-étatiques de plus en plus influents, tout au moins ceux qui sont « fréquentables » et qui doivent être définis au cas par cas. A cet égard une diplomatie informelle de type Track II doit être développée dans la discrétion.
Agir plus efficacement auprès des sociétés civiles
La France doit poursuivre et renforcer sa politique de consolidation des Etats, à travers sa coopération dans le domaine militaire comme dans celui de la gouvernance. Elle doit plus encore accroître son action auprès des sociétés civiles en pleine mutation, qui éprouvent un fort ressentiment envers l’Occident et sont le plus souvent en grand désarroi. Elle dispose déjà des outils nécessaires : réseau des lycées français à l‘étranger, Instituts français de recherche à l’étranger, centres culturels, programmes de personnalités d’influence, octroi de bourses, audiovisuel extérieur, coopération universitaire. Mais ces outils ne sont pas à la hauteur des problèmes. Il convient de les dynamiser et d’augmenter substantiellement leurs moyens. D’autres instruments sont à mettre en place : un Erasmus méditerranéen, des centres de réflexion plus spécialement dédiés à cette région, un soutien
aux coopérations privées à caractère professionnel, une plus forte concertation avec les ONG nationales ou internationales.
Contribuer à la solution des crises régionales.
Nous devons réaffirmer notre intérêt prioritaire pour le Maghreb avec lequel nous avons des liens particulièrement forts. En Libye, dont la situation d’anarchie a des conséquences directes et graves sur les pays du sud de l’Europe et le Sahel, il convient d’œuvrer pour le rapprochement entre les forces
politiques et militaires qui s’affrontent d’afin de rétablir les structures étatiques et administratives indispensables à la stabilisation du pays.
Il faut également mettre fin à la tragédie syrienne. La situation actuelle ne saurait être réglée par la voie militaire. Seule une solution politique peut permettre le retour de la paix. La voie sera longue, difficile, mais une fenêtre d’opportunité peut s’ouvrir. La Russie, qui a déjà engrangé les fruits de son intervention brutale, a tout intérêt à imposer une solution politique à Bachar al-Assad malgré les réticences de son allié iranien qui n’a pas les mêmes objectifs. Après avoir gelé la situation par un
véritable cessez-le-feu, accompagné d’une aide humanitaire massive, une solution politique paraîtrait possible sur les bases acceptées de façon consensuelle dans la résolution 2254 du 18 décembre 2015.
La création de l’Etat palestinien reste un objectif majeur. Seule la solution des deux Etats est de nature à assurer la sécurité d’Israël et répondre aux aspirations des Palestiniens. Or elle est gravement menacée par la politique d’annexion de la Cisjordanie mise en œuvre par le gouvernement israélien.
La France doit rappeler son attachement à cette solution qui doit déboucher sur sa reconnaissance d’un Etat palestinien et préserver le statut de Jérusalem comme capitale des deux Etats.
Enfin il faut veiller à la bonne mise en œuvre de l’accord nucléaire avec l’Iran, qui reste fragile : il doit être respecté par toutes ses signataires.
Promouvoir un pacte de sécurité pour le Moyen-Orient.
Par-delà ces actions spécifiques à chaque pays, il est suggéré, à l’initiative des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la réunion d’une conférence pour promouvoir un pacte de sécurité au Moyen-Orient, qui permettrait d’apaiser l’affrontement entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Ce pacte qui pourrait s’inspirer du précédent de l’OSCE, mais sans sa lourdeur, serait assorti d’un mécanisme de
suivi et de garanties. S’agissant de l’Ouest méditerranéen, la structure informelle qui existe, le 5 + 5, pourrait être renforcée et élargie au nord par l’inclusion de l’Allemagne, et au sud par la participation de l’Egypte.
Mettre en place un Conseil de sécurité au niveau de la Présidence.
Dans l’esprit de la Constitution, le Président de la République est en charge de l’essentiel. L’institution et celui qui l’incarne ont montré leur engagement lors des attentats de l’année 2015. Avons-nous pour autant auprès du président de la République les structures de délibération, de décision et de coordination qu’appellent les situations actuelles ? La réunion hebdomadaire, à la Présidence de la
République, des ministres responsables des sujets de sécurité nationale, en plus des conseils de défense, en est l’amorce. Ce nouveau conseil de sécurité regrouperait les ministres régaliens – défense, intérieur, affaires étrangères, économie – accompagnés des chefs des services de renseignements placés sous leur autorité : tous sont concernés par les problèmes de sécurité. Les délibérations et les
décisions de ce conseil seraient préparées par une structure légère, placée auprès du président de la république, dirigée par une personnalité de haut niveau. Cet organisme regrouperait les différentes cellules élyséennes spécialisées : l’état-major particulier, la cellule diplomatique, les cellules intérieures et économie, le coordinateur national du renseignement.
Certes l’avenir demeure très incertain et risqué. Parmi les incertitudes, figure en premier lieu la politique américaine qui est aujourd’hui en pleine gestation voire confusion. Mais les Etats-Unis ne peuvent pas se désintéresser d’une région où ils ont encore des intérêts importants. Les incertitudes sont également liées au fait que les révolutions arabes ne sont pas terminées, que les sociétés civiles sont en pleine mutation et que la menace terroriste, qu’elle vienne de l’Etat islamique ou des groupes se réclamant d’Al-Qaïda, va perdurer pendant de nombreuses années. Malgré cela, la France doit conserver toute sa place dans le « Grand jeu » diplomatique et sécuritaire, complexe et difficile, qui se déploie actuellement, compte tenu des intérêts majeurs qu’elle a dans cette région sensible et des
menaces qui pèsent sur sa sécurité.
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