La double gifle de Netanyahou à la France et au sionisme

Après les déclarations du Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyaou, appelant les juifs français à s’installer en Terre sainte, l’historien Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël à Paris, a vivement réagi contre ce geste "embarrassant", contraire, selon lui, aux promesses du sionisme.Cet article a été publié le 13 janvier par le site d’information israélien en langue française i24news.

Elie Barnavi
By Ji-Elle via Wikimedia Commons

L’appel aux Juifs de France du Premier ministre Benyamin Netanyahou à faire leurs bagages et à venir toutes affaires cessantes joindre leurs frères d’Israël est embarrassant à plusieurs titres.

Sur le plan diplomatique, il fait fi de la simple décence de mise entre peuples et gouvernements amis. Il faut avoir un petit esprit pour ne pas voir que le moment était particulièrement mal choisi pour inciter une catégorie de citoyens français à tourner le dos à leur pays. La France vient de subir un assaut brutal contre deux des composantes essentielles de son être collectif, naturellement, logiquement liées dans l’esprit des tueurs : dans l’ordre de l’apparition sur la scène de l’horreur, un journal satirique, représentant volontaire et évident des libertés dont la République est garante ; et la communauté juive, symbole éminent entre tous de la diversité de ses citoyens unis autour de ses valeurs.

Ce n’est pas un hasard si le Premier ministre français Manuel Valls a déclaré, étonnantes paroles, que “La France sans les Juifs de France n’est plus la France”.

Sur le plan des simples faits, c’est encore pire. Il faut rappeler à M. Netanyahou et aux agités qui invitent Tsahal à préparer une nouvelle « opération Moïse » que la France n’est pas l’Ethiopie. C’est une démocratie ancienne et puissante, où vit la deuxième plus grande communauté juive de la Diaspora, et ce n’est certainement pas un accident de l’Histoire.

Que ce pays abrite aussi la plus grosse communauté musulmane d’Occident, dont une fraction n’a que faire des valeurs de la République et concentre sa détestation sur les Juifs, c’est un fait. Que ladite République n’ait pas encore trouvé le moyen d’apaiser les tensions communautaires qui la déchirent, c’est un autre fait. Mais la France n’est pas la seule dans ce cas, même si sa configuration démographique particulière, son engagement militaire sur des théâtres d’opérations lointains et un certain désenchantement que les Français nomment « déclinisme », la rendent plus sensibles que d’autres aux menaces qui pèsent sur l’ensemble de l’Europe.

Aussi bien, l’appel du Premier ministre, à l’évidence plus intéressé par sa campagne électorale que par les réalités d’outre-mer – ah ! l’admirable jeu de coudes qui lui a permis de se propulser au premier rang de la manifestation du 11 janvier, aux côtés du président du Mali Ibrahim Boubacar Keïta, et juste devant Mahmoud Abbas, moins habile que lui –, n’a pas manqué de susciter au sein de la communauté juive française et européenne un malaise que ses dirigeants ne se sont pas privés d’exprimer.

Les trois promesses du sionisme

Enfin, l’appel paniquard du Premier ministre est une gifle infligée à l’idéologie nationale du peuple juif. Le sionisme a fait trois promesses : transformer un vieux peuple en une nation et créer pour cette nation un Etat souverain ; assurer un refuge aux Juifs persécutés de par le monde, sujets de gouvernements despotiques de pays antisémites ; et pour tous les autres, offrir, pour la première fois depuis la chute du Temple, le choix entre une existence nationale pleine et les « pots de viande de l’Exil ». Ces trois promesses, il les a toutes tenues. L’Etat juif est là, et comment. Les judaïtés persécutées d’Union soviétique et d’ailleurs ont trouvé le chemin d’Israël. Il n’y a plus désormais de « Juifs du silence », seulement des communautés juives vivant dans des régimes démocratiques.

Et les Juifs de ces communautés font ce qu’ils veulent, et le plus souvent veulent rester là où ils sont. Sept mille Juifs français ont fait le choix de l’alya en 2014, et c’est tant mieux ; mais cela ne fait jamais que 1% du judaïsme français. Un sioniste conséquent, qui pense que la place des Juifs du monde entier est en Israël, regrettera qu’ils ne soient pas plus nombreux.

Mais le même, s’il n’est pas aveuglé par les préjugés et ne méprise pas les faits, admettra que la « montée » en Israël doit être le choix de la conscience plutôt que celui de la panique. Celui-là se retrouvera dans les mots dignes et simples de Joël Mergui, président du Consistoire central israélite de France : « Je ne veux plus jamais entendre que les Juifs ont peur. Les Juifs doivent savoir qu’ils ont à choisir avec leur cœur. Ils aiment la France. S’ils choisissent Israël, il ne faut pas que ce soit par peur ».

Au fait, le sionisme avait fait une quatrième promesse, qui lui reste à réaliser : normaliser la question juive une fois pour toutes, en assurant à l’Etat qu’il a porté sur les fonts baptismaux la paix avec ses voisins. Car après tout, le pays où les Juifs se trouvent le plus en danger de mort n’est pas la France, mais Israël.

Et si les princes qui nous gouvernent, au lieu d’agacer les goyim avec des déclarations inopportunes, s’inquiétaient aussi un tantinet de cette promesse-là ? Qui sait, peut-être les communautés de la Diaspora, celle de la France incluse, en tireraient-elles quelque avantage ?