"Europe XXL" : les débats de Lille

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, l’Union européenne, élargie aux anciens pays communistes, est-elle capable de retrouver l’élan et le dynamisme qui furent les siens dans les années 80 ? Oui, sans doute, à condition de mobiliser les opinions publiques autour d’un projet européen renouvelé et de leur faire comprendre les richesses d’une « grande Europe » forte de sa diversité. Une série de manifestations organisées à Lille, de mars à juillet, sur le thème de « l’Europe XXL » vise précisément à relever ce défi.

« Je souhaite qu’au cours de ces quatre mois nous redonnions à chacun confiance dans l’Europe, que nous levions certains préjugés, que nous suscitions la réflexion », a déclaré Martine Aubry, première secrétaire du PS, maire de la ville, en exprimant sa volonté de « montrer l’Europe dans ce qu’elle a de plus fort », en particulier « la multiplicité de ses cultures ». Une Europe qui, a-t-elle dit, « ne doit pas céder à la tentation de se refermer sur elle-même ». Pour elle, en effet, « l’Europe XXL est une façon de dire que nous devons nous ouvrir vers les autres ».

Ce thème était au centre d’un vaste colloque organisé les 6 et 7 mai dans le cadre des manifestations lilloises. Des intellectuels venus de Pologne, de République tchèque ou de Roumanie y rencontraient des historiens et des sociologues de l’Ouest dans un passionnant brassage culturel. Des échanges entre les uns et les autres, devant un public nombreux, naissait la vision d’une Europe enrichie par ses différences et vivifiée par les regards croisés. 

Une Europe prête à s’élargir encore, comme le prouvait la présence de plusieurs intervenants turcs, de l’écrivain Nedim Gürsel à l’anthropologue Nilüfer Göle, en passant par le politologue Cengiz Aktar. Face aux récentes déclarations de Nicolas Sarkozy contre l’adhésion de la Turquie à l’UE, les organisateurs avaient choisi, sous l’impulsion de Martine Aubry, d’affirmer résolument leur soutien à la candidature turque. 

Cette Europe élargie, qui n’a pas su gérer « de manière assez audacieuse », selon l’ancien ministre italien Tommaso Padoa-Schioppa, la fin de la guerre froide et la « réunification inachevée » de 2004, affronte certes de nombreuses difficultés : la crise économique, le retour des nations, le conflit des mémoires, la question des minorités, la montée des populismes. Les Européens sont conscients de ces problèmes et ils cherchent des réponses.

Le retour des nations

L’Europe contre les nations ? L’Union européenne ne se construit pas contre les nations, a rappelé Eneko Landaburu, directeur général des relations extérieures de la Commission européenne, mais avec elles, dans le cadre de la « fédération des Etats-nations » prônée par Jacques Delors. « Je n’ai jamais pronostiqué la fin de l’Etat-nation », précise l’ancien président de la Commission européenne. 

La concurrence des mémoires 

De même que l’Europe doit prendre en compte les nations dont elle est issue, de même doit-elle aussi s’approprier son passé pour mieux en assumer les zones d’ombre. Cet effort, souvent douloureux, les Européens commencent à l’accomplir, comme l’ont montré à Lille les témoignages d’Elie Barnavi, un des initiateurs du Musée de l’Europe à Bruxelles, d’Ana Blandiana, fondatrice du Musée-mémorial des victimes du communisme à Sighet, en Roumanie, et de Cengiz Aktar, premier signataire d’une demande de pardon lancée sur Internet à l’intention des Arméniens. 

La crise économique 

L’Union européenne doit se donner les moyens d’affronter la mondialisation sans renoncer à son modèle social, comme l’ont souligné les économistes Jean Pisani-Ferry et Philippe Rollet, en dialoguant avec le syndicaliste roumain Bogdan Hossu. « Les principes néo-libéraux ont démoli pas à pas le modèle social européen », a affirmé ce dernier en appelant à la fixation de règles communes contre le dumping et les délocalisations. 

Par delà les divergences d’analyse, qui reflètent en partie la diversité des expériences vécues, ces discussions sont utiles. Elles ne débouchent pas sur des solutions toutes faites mais elles permettent de mieux définir les enjeux de l’Europe de demain.