Enfin ! La nouvelle coalition des chrétiens-démocrates (CDU et CSU, 28,6% des voix) avec les sociaux-démocrates (SPD, 16,4%), qui n’est plus "grande“ commeautrefois, peut commencer son travail. Le 30 avril, le secrétaire général du SPD a annoncé le résultat du vote des militants : 84,6% des votants (56% des inscrits) se sont prononcés pour le contrat de coalition du 9 avril, qui leur avait été présenté. Le 28 avril, une grande majorité des délégués de la commission fédérale“ (petit congrès) de la CDU l’avait approuvé. Le 10 avril, le bureau de la CSU avait déjà donné son accord. Ce contrat est signé le 5 mai. Le 6 mai, Friedrich Merz est élu chancelier par le Bundestag. le 7 mai, il sera reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron, puis par Donald Tusk à Varsovie. L’Allemagne peut redémarrer.
Ce nouveau gouvernement à Berlin se trouve devant trois défis majeurs : la stagnation de l’économie qui se poursuit ; la gestion des problèmes concernant les migrations qui créent des divisions au sein de la société ; la guerre de la Russie contre l’Ukraine qui menace la sécurité européenne et fragilise les dirigeants politiques face à la montée de l’extrême droite, qui profite d’une morosité de l’électorat pour monter dans les sondages et gagner du terrain dans les bureaux de vote.
Répondre aux trois défis majeurs
Devant les trois défis qui seront encore à discuter, la nouvelle coalition doit démontrer rapidement qu’elle se met au travail tout de suite. En même temps elle doit démontrer qu’elle change de méthode par rapport à la coalition précédente, qui a fini par échouer parce qu’elle n’arrivait pas à trouver d’accord précis pour tenir ses promesses de progrès faites en début de mandat pour la décennie à venir. La nouvelle coalition se veut modeste et efficace, assumer la responsabilité pour l’Allemagne. Les résultats des partenaires, CDU, CSU et SPD, aux élections du 23 février sont restés bien en-dessous de leurs ambitions respectives, aussi ces partis sont-ils condamnés à réussir par manque d’alternatives démocratiques.
Malgré un contrat de coalition en 5 chapitres sur 144 pages, les trois défis s’imposent comme prioritaires, et doivent être relevés d’urgence : Il faut vite arriver à relancer l’économie ; il faut vite arriver à tenir compte visiblement des soucis concernant une migration illégale ; il faut que ce nouveau gouvernement confirme dès le premier jour son soutien sans faille à l’Ukraine contre l’agression russe, car non seulement la population ukrainienne souffre (et les soldats, russes aussi), mais la volte-face des Etats-Unis de Donald Trump a cassé ce qui a été l’architecture de sécurité européenne et transatlantique.
Est-ce que ce sera l’économie d’abord (chap. 1 et 2) ou bien la migration (chap 3), comme l’a annoncé le secrétaire général de la CDU, le parti du nouveau chancelier ? Ou faut-il d’abord refaire surface sur la scène internationale (chap 5) où l’Allemagne s’est montrée plus effacée pendant les dernières semaines ? Ce sera à la nouvelle équipe de bien coordonner les capacités et les sensibilités politiques, au niveau national, comme à celui européen et international. Ce sera difficile et compliqué.
Relancer l’économie
L’économie d’abord. Depuis trois ans, l’économie allemande n’a pas connu de croissance, ou presque pas. C’était le contraire de ce que Olaf Scholz avait promis quand il avait commencé son mandat de chancelier fin 2021. La transformation écologique de l’économie, grand projet de la coalition tricolore pour faire face au réchauffement climatique, allait produire un autre miracle économique avait-il promis. C’était avant l’attaque de l’Ukraine par la Russie, trois mois plus tard ! Depuis tout a changé, les prix de l’énergie surtout. Le gouvernement d’Olaf Scholz n’a pas su trouver d’accord sur les mesures à prendre pour relancer une économie en état de choc.
Maintenant le temps presse. Et pour le nouveau gouvernement il ne s’agit pas “simplement“ de faire remonter le taux de croissance par des mesures de politique économique classique. Il s’agit de relancer une dynamique de croissance, de "réparer" son infrastructure, ses chemins de fer vieillissants, ses ponts qui risquent de s’écrouler, ses écoles qui ont besoin d’entretien et, surtout, ses télécommunications qui ne sont toujours pas à jour dans un monde digitalisé. Cela présente des obstacles majeurs pour l‘économie, mais aussi pour les administrations publiques en charge de planifier et de surveiller des projets d’investissements dans la construction et la modernisation. C’est vrai aussi pour la transformation écologique de l‘économie qui n’a pas disparu de l’ordre du jour.
Friedrich Merz et Lars Klingbeil, le chef du SPD, se sont mis d’accord pour une action rapide. Ils ont réussi à faire voter le 18 mars au Bundestag déjà dissous, mais encore en charge (et le 21 mars au Bundesrat), un changement de la Constitution permettant la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros sur 12 ans pour soutenir la modernisation du pays. En dehors de cela, Friedrich Merz annonce, comme première mesure à court terme, une facilitation d’amortissements pour les entreprises afin qu’elles puissent investir rapidement et contribuer à une croissance accélérée. Une réduction d’impôts est prévue pour 2028. Le nouveau ministre des finances Klingbeil va veiller à ce que les dépenses supplémentaires profitent aussi aux" gens qui se lèvent tôt le matin pour travailler dur“.
La politique commerciale chaotique de Donald Trump ne facilite pas la tâche dans un pays et une économie fermement intégrée dans l‘économie mondiale. Il s’agit alors également de peser sur les réponses que l’Union européenne doit donner, car c’est elle qui est compétente en la matière. Il faut que Berlin soutienne la Commission pour qu’elle puisse agir vite et que l’Union reste unie.
Une immigration nécessaire et difficile à contrôler
La migration ensuite. A partir du premier jour tout migrant "illégal" serait refoulé à la frontière allemande vers le pays d’où il vient. C’est l’annonce qu’a fait le nouveau ministre de la chancellerie Thorsten Frei, une sorte de secrétaire général de la chancellerie avec rang de ministre. Ses paroles répondent aux problèmes causés par l’accueil et l’intégration d’un grand nombre de migrants, dont la plupart sont des réfugiés. Mais ici, l’urgence est moins évidente. D’une part, parce que le pays a besoin de migrants, pour relancer l’économie. Dans beaucoup de cas, il manque de main d’œuvre qualifiée : beaucoup de services ne peuvent déjà pas fonctionner sans l’appui d’une main-d’œuvre venue de l’étranger. Un nombre grandissant d’entrepreneurs de PME regrettent et condamnent les discours anti-migrants voire xénophobes, parce que cela freine l’établissement d’étrangers dont ils ont besoin et qui souhaitent s’intégrer.
D’autre part, parce que les paroles du ministre inpliquent un pouvoir d’action que le gouvernement n’a pas. En fait, le "Code frontières Schengen" de l’UE, un règlement de droit européen directement applicable, interdit les contrôles permanents aux frontières internes de l’UE – ce qui est le cas pour l’Allemagne qui est entourée de pays membres de l’UE. Or, le refoulement automatique d’étrangers à la frontière suppose qu’il y ait un contrôle permanent. Mais, le rétablissement de contrôles aux frontières internes, bien que possible sous certaines conditions, a été soumis à des limitations strictes par une mise à jour du règlement en 2024 (17/7/2024). Ce serait alors illégal de la part du gouvernement allemand, de prévoir des contrôles ne répondant pas au règlement en vigueur et ne respectant pas les limitations qu’il impose.
C’est pour cela que le contrat de coalition prévoit que le contrôle de la migration se fera "en coordination avec nos voisins européens". Toute action unilatérale violerait la loi européenne. L’Autriche et la Pologne ont déjà fait savoir qu’elles refuseraient tout refoulement d’étrangers vers leur territoire par les autorités allemandes. Les Pays Bas et la Hongrie ont demandé un „opt-out“ du „régime commun d’asile européen“, adopté le 14 mai 2024, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Le droit d’asile allemand, un droit individuel garanti par la Constitution à toute personne, n’est pas touché. Une personne se réclamant de ce droit à la frontière allemande ne peut pas être refoulée.
Il y aura donc encore beaucoup de travail à faire avant que ce gouvernement puisse déclarer "la fin de la migration illégale". Il devra se mettre d’accord avec les pays voisins, mais aussi avec les instances européennes qui sont chargées de garantir l’application de la législation en place ; et s’accorder aussi au sein même de la coalition, où les différences d’approche en la matière persistent. Le contrat de coalition prévoit la création, auprès de la chancellerie, d’une fonction de ’ministre d’Etat’ (secrétaire d’Etat) pour les questions de migration, des réfugiés et de l’intégration – le seul poste qui serait attribué au SPD. Les paroles (CDU/CSU) sont encore loin des actes (CDU/CSU/SPD).
Les menaces sur la sécurité
La sécurité avant tout. Pendant que la classe politique allemande était en campagne électorale et s’occupait d’elle-même, Donald Trump a récupéré la Maison Blanche et commencé à faire des cadeaux à Vladimir Poutine accusé de crimes de guerre par la Cour Pénale Internationale. L’Allemagne était pratiquement absente de la scène internationale. Pour le gouvernement’’aux affaires courantes" à Berlin, les affaires internationales ne semblaient pas en faire partie. Et pourtant, les actions du président Trump en vue d’imposer une fin à la guerre en Ukraine - sans succès -, son comportement insultant et humiliant envers le président ukrainien devant les caméras (sans précédent), ses annonces de vouloir imposer des droits de douanes punitifs à tous les pays, y compris à ses alliés (sans stratégie), son refus de s’engager pour la sécurité en Europe (sans intérêt pour l’Amérique) – tout cela a changé fondamentalement la scène internationale en quelques semaines, en particulier pour ce qu’on avait appelé "le monde occidental".
Dans ce domaine aussi Frierich Merz et Lars Klingbeil ont agi vite avant même de commencer leurs négociations pour former un gouvernement. Par un autre changement de la Constitution voté par le Bundestag dissous mais toujours en charge et par le Bundesrat ils ont fait adopter le 18 et le 21 mars une modification du "frein à l’endettement" qui permet d’exempter le financement de la défense des limitations inscrites dans le texte constitutionel. Il y aura donc l’argent qu’il faut pour réarmer la Bundeswehr, remplacer le matériel donné à l‘Ukraine et moderniser les forces armées qui doivent se préparer à faire face à une menace directe par la Russie – comme le stipule le contrat de coalition.
Bien qu’ils aient créé les conditions matérielles pour que l’Allemagne puisse jouer son rôle dans la sécurité européenne, ils sont restés plus discrets en ce qui concerne l’avenir. Oui, l’Allemagne va continuer, avec ses amis, à soutenir l’Ukraine pour obtenir une "paix durable". Mais, en ce qui concerne les garanties de cette paix,Berlin parle de "garanties matérielles et politiques" et continue à éviter de parler d’un élément militaire, comme le proposent la France ou la Grande Bretagne. Pour la défense, l’OTAN et les relations avec les Etats-Unis ont une "importance primordiale", y compris la "participation nucléaire"
dans le cadre de l’Alliance.
Oui, Berlin veut développer la coopération entre l’OTAN et l’UE et renforcer le „pilier européen“ au sein de l’OTAN. A cette fin, la coalition parle même d’une "Union européenne de défense" qui serait à créer. Et une „souveraineté stratégique et technologique" européenne fait désormais partie du programme du gouvernement.
Mais comment y arriver ? La coalition propose une réforme de l’UE, une "Europe à vitesses variables" et se prononce, si nécessaire, pour un changement des traités selon la procédure de l’article 48 du Traité de Lisbonne, dite "méthode simplifiée", appliquant la "clause passerelle" du traité quand c’est possible. Même si cette "méthode simplifiée" n’est pas si simple que ça, elle n’est pourtant pas applicable pour des décisions "ayant des implications militaire ou dans le z de la défense". Pour que l’UE puisse devenir un vrai acteur géopolitique, une puissance (Macron : Europe Puissance) qui compte (Kaja Kallas, iHte Représentante de l’UE) avec des moyens militaires à sa disposition, il reste encore un long chemin à faire. Ou à trouver un autre format. La question reste ouverte. géopolitique, une puissance (Macron : Europe Puissance) qui compte (Kaja Kallas, Hte Représentante de l’UE) avec des moyens militaires à sa disposition, il reste encore un long chemin à faire. Ou à trouver un autre format. La question reste ouverte.
Le cahier des charges pour ce gouvernement est bien lourd, les défis importants. La montée de forces politiques nationalistes et autoritaires autour de l’Europe, mais aussi au sein même de celle-ci, y compris l’Allemagne et la France, avec l’ambition de domination, pousse les gouvernants à faire vite et à faire bien. L’avenir de l’Europe, d’une Europe démocratique, en dépend.