Allemagne : le chancelier Scholz à la recherche d’un nouveau souffle

A mi-mandat, la coalition au pouvoir, conduite par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz, est en recul dans les sondages. Il lui faut trouver un nouveau souffle pour tenter de regagner la confiance des électeurs. La droite classique étant elle-même affaiblie, le grand gagnant est aujourd’hui le parti d’extrême droite AfD (Alternative für Deutscland). Notre collaborateur Detlef Puhl analyse le rapport des forces entre les principaux partis à la veille de plusieurs échéances électorales importantes.

Olaf Scholz en 2021
Jens Büttner/dpa

Olaf Scholz est en vacances. Néanmoins, sous la présidence du vice-chancelier Robert Habeck, le Conseil des ministres vient d’annoncer, le 26 juillet, une nouvelle „stratégie nationale d’hydrogène“ qui fait suite à celle présentée en 2020. Elle est destinée à accélérer la mise en place des infrastructures et des procédés administratifs nécessaires pour réaliser la transition écologique du pays, pièce maîtresse du programme de la „coalition de progrès“, formée en décembre 2021 et qui arrive à mi-mandat. Les prochaines élections législatives auront lieu en septembre 2025. La coalition „feu tricolore“ essaye de démontrer sa capacité d’agir et de poursuivre son programme ambitieux – même en l‘absence physique du chancelier. Finies les bagarres entre les „petits“, les Verts et les libéraux ? Finis les doutes concernant le leadership du chancelier, qui fait preuve de sa confiance en ses partenaires et les laisse faire sans lui ?

Non, ce gouvernement aux grandes ambitions a besoin de faire preuve de son unité et de la cohérence de sa politique. Il a perdu la confiance des électeurs. Dans les sondages actuels, le chancelier et le vice-chancelier atteignent leurs scores les plus bas depuis leur prise de fonction. Et 75-80% des sondés, selon les instituts, ne sont pas satisfaits de la performance du gouvernement. Aujourd’hui, cette coalition n’obtiendrait plus la majorité. Le SPD, parti du chancelier, est tombé en dessous de 20% des sondés (résultat des élections : 24,1%), dépassé même par l’extrême droite de l’AfD. Les Verts du vice-chancelier, qui comptaient devenir la première force politique de gauche et conquérir la chancellerie en 2025, sont retombés au niveau de leur résultat de 2021, qui était de 14,8% (sondages actuels entre 13 et 16%). Et les libéraux du FDP, en charge, entre autres, du ministère des finances, restent toujours bien en dessous de leur score de 2021, qui était de 11,5% (sondages actuels entre 6 et 7%).

D’un point de vue politique, la coalition ne va pas bien. Il n’est pas surprenant que ses représentants essayent de démontrer le contraire. Grand optimiste comme toujours, Olaf Scholz a quitté la scène berlinoise pour l’été en se moquant des questions des journalistes : il ne veut pas entendre parler d’un bilan de „mi-mandat“ ; il n’est qu’“au début de mon activité à la chancellerie“, a-t-il dit aux journalistes de la capitale. Les mauvais résultats dans les sondages ne lui font pas peur. Il ne se voit guère menacé, car le grand parti d’opposition démocrate-chrétien (CDU et CSU) ne profite pas de la faiblesse de la coalition ; il reste, lui, en dessous des 30% et ne trouverait pas de partenaire pour gouverner. Le grand gagnant, en cet été 2023, c’est l’AfD, l’extrême droite.

La droite classique face à l’extrême droite

La droite classique, elle, se trouve coincée entre son rôle d’opposition parlementaire au gouvernement et le besoin de plus en plus urgent de répondre avant tout à la question de savoir comment elle peut faire barrage à l’AfD – ou plutôt, pourquoi elle n’a pas réussi à lui faire barrage. Friedrich Merz, quand il a élu président de la CDU en février 2022, a annoncé qu’avec lui, la CDU pouvait réduire l’AfD à la moitié de son électorat. Aujourd’hui l’extrême droite prouve le contraire ; elle a réussi à doubler ses chiffres. La rentrée politique en septembre s’annonce intéressante.

D’abord, parce qu’il y a des échéances électorales qui seront difficiles pour la coalition, mais aussi pour l’opposition. Le 8 octobre seront élues les assemblées régionales en Hesse et en Bavière. Les dégâts politiques prévisibles seront encore limités. Pour les uns, le SPD, le chancelier risque de se retrouver avec la défaite de sa ministre fédérale de l’intérieur, Nancy Faeser. Celle-ci tente de détrôner le ministre-président à Wiesbaden (Hesse), Boris Rhein de la CDU, qui forme une majorité avec les Verts. Ce sera dommage pour Mme Faeser et le SPD – sans plus. Pour la branche bavaroise de „l’union“, la CSU, qui gouverne la Bavière depuis une éternité, son grand chef, le très ambitieux Markus Söder, pourrait rester en dessous des 40%, ce qui risque de le freiner dans ses ambitions ultérieures. Surtout, la CSU apporte une partie importante des voix des conservateurs au niveau fédéral. Chaque affaiblissement de son score en Bavière réduit son poids politique à Berlin. Ce sera dommage pour M. Söder et la CSU – sans plus.

Mais une échéance beaucoup plus importante inquiète le monde politique à Berlin déjà – celle des trois élections régionales de l’année prochaine. En Thuringe, en Saxe (1er septembre) et au Brandebourg (24 septembre 2024), l’extrême droite de l’AfD constitue maintenant la première force politique au niveau de la région – selon les sondages, entre 28 et 34%. C’est pourquoi la question de la position que prendra la CDU par rapport à l’AfD, qui se veut un „parti bourgeois“, représente un énorme défi pour les amis de Friedrich Merz. L’AfD, qui vient de tenir son congrès, confirme qu’elle veut gouverner. Mais avec qui ? La droite classique serait la seule option.

Les jeux tactiques de Friedrich Merz

Or, Friedrich Merz est en train de se perdre dans des jeux tactiques. D’une part, il a cru bon d‘appeler son parti, la CDU, une „alternative pour l’Allemagne avec substance“ („Alternative pour l’Allemagne“, c’est le nom de l’AfD). D’autre part, dans une interview télévisée le dimanche 23 juillet, le chef de la CDU vient de constater qu’une coopération avec l’AfD dans des conseils municipaux, qui n’ont pas de pouvoir législatif, n’était pas exclue – pour rappeler le lendemain, que la CDU avait établi la règle que toute coopération avec l’AfD est exclue à tous les niveaux. Depuis, la tête de la CDU se trouve dans un vrai dilemme.

C’est de ses propres amis que Friedrich Merz a reçu les critiques les plus sévères pour ses paroles, surtout à Berlin et à l‘ouest. Mais c’est aussi par ses amis au niveau local, en Thuringe et en Saxe, par exemple, qu’il est soutenu. Pour eux, voter avec l’AfD au cas par cas, c‘est tout à fait normal. Pour le chef de l’opposition au Bundestag, qui veut remplacer Olaf Scholz à la chancellerie en 2025, ces déclarations ont créé le doute : est-ce avec l’actuel chef de la CDU que la CDU/CSU peut battre la coalition en place ?

La préparation des élections européennes

Les défis sur la scène politique allemande cet été ne s’arrêtent pas là. L’AfD vient de désigner ses candidats aux élections européennes, l’autre grande échéance électorale le 9 juin prochain. A cette occasion, Björn Höcke, le représentant de l’aile droite de l’AfD, désormais largement majoritaire, a déclaré : „L’UE doit mourir pour que la vraie Europe puisse vivre.“ En tête de liste, l’AfD a nommé Maximilian Krah (Saxe), qui siège déjà au Parlement européen, un des plus radicaux. Un député d‘extrême droite qui a été suspendu deux fois par son propre groupe „Identité et Démocratie“, auquel appartient le Rassemblement national de Marine Le Pen, parce qu’il était trop radical. Au lieu de soutenir Marine Le Pen en 2022 dans la campagne présidentielle francaise, comme on l‘aurait attendu, il a préféré de se prononcer pour Eric Zemmour.

Ce „spitzenkanddiat“ de l’AfD fait appel aux „vrais hommes“ : Un „vrai homme“ ne regarde pas des films pornos et ne vote pas pour les Verts ; un „vrai homme“ n’est pas faible, il est fier et il est de droite ; un „vrai homme“ est patriote – ce sont des slogans qu’il présente sur TikTok. Il appelle cela une stratégie de clarté ; modérer ses paroles, cela ne rapporterait pas de voix. Le programme de l’AfD pour l’Europe ? Il va suivre. La co-présidente du parti, Alice Weidel, a affirmé que l’AfD, avec ses partenaires européens pour une „Europe des patries“, veut construire la „forteresse Europe“. Tel est le message le plus récent de l’extrême droite allemande pour l’Europe.

Il ne faut pas oublier non plus, qu’un bon score des partis de l’extrême droite aux élections européennes peut très bien créer une situation de blocage au Parlement européen qui dispose pourtant d’un pouvoir législatif non négligeable. La capacité d’agir de toute l’Union européenne serait menacée. Et la CDU discute pour savoir si oui ou non elle peut coopérer avec ce parti ? Dans les „länder“ de l’Est, où on vote l’année prochaine, ce sera bien la question. A Berlin, elle se pose déjà.

Un nouveau souffle

En attendant, à mi-mandat le gouvernement d’Olaf Scholz a grand besoin d’un nouveau souffle. Ce n’est pas seulement la coalition qui ne va pas bien. Le pays ne va pas bien non plus. La transition écologique peine à démarrer. La guerre de la Russie en Ukraine a certainement détourné l’attention politique et des moyens importants. Le besoin, surtout, de remplacer vite le gaz russe pour les ménages et pour l’industrie a laissé ses traces – dans l’économie une hausse des prix de l’énergie plus importante que dans beaucoup de pays voisins, un retard important dans l’installation des énergies renouvelables et des lignes électriques ; dans la population le sentiment d’être soumis hâtivement à un nombre de mesures coûteuses, mal expliquées et mal préparées.

Pour la rentrée, le chancelier et son gouvernement doivent présenter un programme nouveau et surtout cohérent, ainsi qu‘une équipe soudée qui sache bien gérer les affaires s’ils veulent regagner la confiance. Pour éviter que l’Allemagne ne redevienne „l’homme malade de l’Europe“ il faudrait que le gouvernement se mette d’accord pour investir davantage – dans la transition énergétique, dans la digitalisation du pays, dans l’infrastructure, dans l’éducation et le développement, voire recrutement de main d’œuvre à l’étranger qui fait défaut dans beaucoup de secteurs de l’économie. Egalement, il faut qu’il réussisse une réforme du système sanitaire et celle des aides sociales pour celles et ceux qui seront débordés par les coûts de cette transformation tous azimuts du pays. Elle va coûter cher. Cela ne marchera pas si la population n’a pas confiance en celles et ceux qui gouvernent.

La guerre en Ukraine a, certes, permis un investissement extraordinaire dans la défense qu’il aurait fallu faire tôt ou tard ; et qui ne va pas suffire. Ce défi va continuer à peser, peut-être longtemps encore. Mais les grands défis de société, celui du climat, de la migration, de l’informatique, de l’équilibre social, n’ont pas disparu. Que le chancelier et son équipe se reposent bien ! Une lourde tâche les attend.